Commentaire de Sylvain Reboul
sur L'anti-libéralisme français


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Sylvain Reboul Sylvain Reboul 24 février 2006 18:11

Dans votre très stimulante présentation des différences entre l’évolution du Royaume Uni et de la France, vous oubliez, me semble-t-il l’importance de la période Cromwell qui fut une révolution violente et vit la conquête extrêmement sanglante de l’Irlande, période suivie de l’instauration d’une monarchie constitutionnelle plus équilibrée qui inspira Montesquieu, mais que Hobbes et beaucoup de penseurs anglo-saxons avaient refusé pour leur part au nom de la cohésion nécessaire du pouvoir léviathanesque de l’état absolu, seul capable , selon eux d’écarter, tout risque de guerre civile et de résister victorieusement aux agressions extérieures.

Inversement, en France, outre Montesquieu, il faut signaler Benjamin Constant et sa lutte contre le despotisme napoléonien et sa critique théorique percutante du rousseauisme et de la notion de « volonté générale » et une bonne partie de l’histoire française de la révolution jusqu’à nos jours qui met toujours en présence deux courants un centralisateur et monarchique/républicain « absolu » sous le concept commun d’une souveraineté de l’état fermé sur lui-même et transcendant les droits individuels en vue d’instituer une vision uniformisée et uniformisante de la paix civile et l’autre libéral et pluraliste au sens où vous l’entendez.

Tout cela pour dire que les jeux n’ont jamais étaient faits d’avance entre les deux courants, ni en France, ni au Royaume Uni. Si l’évolution est divergente c’est en grande partie à l’influence dans les esprits et les cœurs des t deux empires au pouvoir relativement antidémocratique et des penseurs et philosophes en France qui, au nom d’une idée mythologique de la liberté collective et unanimiste des anciens et afin de sauver la grandeur de l’état face à ses ennemis de l’intérieur et de l’extérieur (de l’Ouest et de l’Est) ont refusé l’individualisme libéral moderne (B.Constant) et/ou l’on réduit à n’être qu’un adjuvant de la puissance étatique sous le couvert de la « volonté populaire » étatisée absolument souveraine s’exerçant sur les volontés individuelles politiquement et même juridiquement méprisées et tenues pour méprisables.

L’histoire française est en cela héritière du catholicisme monarchique absolu qui a conduit à la fonctionnarisation d’une grande partie des activité sociales et plus tard à une vision étatiste du socialisme visant à faire de la justice sociale l’affaire exclusive de l’état contre les droits individuels et les libertés économiques liés à la propriété privée des biens de production et d’échange, dénoncée comme l’expression d’une liberté égoïste, voire immorale...Il s’agit alors, pour beaucoup de penseurs républicains et socio-nationaux de substituer à la religion papiste moralisatrice une religion républicaine ou civile égalitariste donc morale, alors que pour les anglo-saxons libéraux il est tout simplement « inhumain » de prétendre moraliser l’homme contre son égoïsme spontané ; il vaut toujours mieux faire en sorte que cet égoïsme soit tenu par la concurrence et la compétition réglée à satisfaire les intérêts mutuels plutôt que communs, du reste déjà chez Hobbes et les philosophes anglo-saxons la notion même de volonté générale et d’intérêt commun est suspecte, car potentiellement négatrice des intérêts individuels inséparables de l’idée d’autonomie personnelle. Seul les individus ont des intérêts propres car seuls ils ont des désirs suffisamment motivants et économiquement efficaces ; il convient donc de faire en sorte d’instaurer un système d’échange régulé par le contrat permettant d’obliger chacun, pour satisfaire son intérêt propre et ceux de ses proches qui incluent l’honorabilité sociale et l’estime de soi dans les relations aux autres, à répondre librement aux désirs privés des autres. Cette différence se marque dans la culture académique par le grand mépris que de grands penseurs français, au contraire des penseurs anglo-saxons, ont du commerce et de l’économie en général (alors que les physiocrates ont été parmi les fondateurs de la pensée économique, mais ils refusaient, il est vrai, de voir dans le commerce une des source de l’accroissement des richesses)

Ainsi l’intérêt général pour un libéral n’est en rien l’intérêt commun et encore moins le bonheur collectif, mais rien d’autre que la paix civile et l’ensemble des droits permettant à chacun de poursuivre son propre bonheur sans nuire à celui des autres... L’idée d’un bonheur politique collectif qui imposerait le sacrifice de soi aux autres est pour tout libéral liberticide. Au même titre que l’idée de changer les hommes pour les rendre fondamentalement moraux et altruistes et de faire de la politique non avec ce que sont les hommes mais avec ce qu’on voudrait qu’ils soient ou deviennent sous la férule de l’état, substitut du pouvoir salvateur et moralisateur de Dieu.. Et sur ce point je vous rejoins tout à fait : notre conception transcendantaliste de l’action de l’état est au fond religieuse et théocratique et le fait d’avoir chassé Dieu de la république implique, pour que les hommes deviennent moraux, chez nombre de penseurs français, que la république doit être divinisée (religion civile) (cf aujourd’hui Finkelkraut)..Ainsi, pour nombres d’intellectuels français, au fond la république ne peut être « chose commune », au contraire de la plupart des penseurs anglo-saxons aujourd’hui, que contre la démocratie, où l’on retrouve la vieille idée platonicienne des philosophes rois ou de l’état philosophique tout puissant luttant contre la tyrannie démocratique de l’opinion, toujours menaçante..

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