Commentaire de Ariane Walter
sur Une soirée au Metropolitan Opera de New York


Voir l'intégralité des commentaires de cet article

Ariane Walter Ariane Walter 15 novembre 2010 20:34

cher Easy,

 
Votre sujet m’invite à un surf sur quelques idées vagues

Wouah ! Quel début ! je vous suis à hawaï !

Oui un choeur, une messe, ça dégage une valeur qu’un individu seul ne dégage pas.
De là, l’homme plussiste se demande si un choeur géant, une messe géante ne produirait pas un effet encore plus riche, plus flamboyant. Et il se met à concevoir des systèmes géants.

Vous me rappelez l’opposition chez Nietszche entre apollinien et dyonisiaque. Dyonisiaque, le plaisir de la foule. A l’église, sur un stade, dans un théâtre, dans une boîte, quand il y a un évènement commun. Je pensais que quand on regarde un match on attend l’orgasme du but ; tandis que quand on regarde un opéra tout est tellement sublime si souvent que c’est un orgasme constant. Et le ressentir avec beaucoup d’autres, oui, c’est quelque chose car au demeurant nous sommes plus souvent seuls qu’accompagnés.

C’était une belle chose que la réalisation d’une chaîne de confiance entre 2 ou 3 financiers du temps des premiers voiliers. On empruntait ici, on remboursait là-bas. Mais alors que cette petite chaîne de confiance avait quelque chose de réjouissant pour tous, l’usine à gaz qu’est devenue la finance aujourd’hui n’est plus qu’un monstre profitable pour quelques uns et déprimant pour la grande majorité.

Pouvoir, en live ou en différé, voir un spectacle vivant qui se tient ou s’est tenu hors de notre vue directe, n’est possible que grâce à une usine à gaz technologique.
Elle semble apporter un plus. C’est par exemple ce qui permettrait à un Himba 
de découvrir ce qui se passe dans nos théâtres. C’est aussi ce qui nous permet à nous, de voir un peu comment vivent les Massaïs et les Korowaïs. En l’espèce, ça nous permet d’ici de voir le meilleur du Met. Le meilleur.

Plus d’information, plus de connaissance, plus de culture, plus d’ouverture, bla bli bla blo... des merveilles que tous ces plus avons-nous dit et répété, en particulier quand il s’agissait d’aller civiliser le monde.

Ce spectacle que permet l’usine à gaz cinématographique, nécessite de la part des spectateurs, un travail de transposition et même de transfiguration. On voit ce que l’on est, on voit ce qu’on a envie de voir et comme on est bon public, devant un film, on s’efforce de transposer, transfigurer pour avoir l’impression d’y être, d’être devant du vrai alors qu’on n’est que devant une image. « Ceci n’est pas une pipe » rappelait Magritte.

Mais au cinéma,

Très cher, j’attendais le « mais » ! je vous connais ! Vous auriez vraiment été parfait dans le rôle du rabatteur d’orgueil ,lors des défilés victorieux des césar ! Tu n’es que poussière et tu retourneras poussière avec tes grands spectacles en live du Met !!

 malgré cette transfiguration in petto, on n’y est pas. On ne peut pas applaudir sinon à l’adresse de l’acteur projeté dans notre petite salle de ciné intérieure. On n’applaudit donc qu’à ses projections, quà ses fantasmes, qu’à soi-même.

il est vrai qu’au théâtre ou ailleurs le contact avec les comédiens est tellement heureux et rien ne vaut le moment où ils approchent du public pour saluer. Quel échange alors !

 
Les banquiers non plus ne voient pas en ces endettés qui pendouillent au bout de leurs ficelles, des personnes en chair et en os. Eux aussi transfigurent et ne voient de leurs clients pendus que ce qu’ils veulent voir.

ne pas voir, c’est ne pas savoir ?

La vraie vie avec une vraie personne impose d’accepter et la beauté de ses iris et l’odeur de sa sueur, de ses pets. Automatiquement, pensant bien faire, au fil des millénaires, nous avons cherché à éliminer la sueur, la merde et les furoncles pour ne garder que la grâce, le sent bon et les caresses. Ce principe du tri sélectif, induit des pensées sélectives et on acquiert des automatismes sélectifs.
On trie sans y penser.


la nature est ainsi faite. Elle recherche le beau !
C’est elle la plus grande trieuse !

On ne voit de la vache que son fromage et son rumsteak ; on ne voit de la poule que son oeuf et sa cuisse ; on ne voit du pétrole que ce qui nous permet de nous déplacer.
On ne voit de l’actrice que ce qui nous est supportable et c’est bien plus facile à opérer au cinéma qu’au théâtre, plus facile au théâtre qu’à la maison. Un banquier, un grand patron ne voit des consommateurs, de ses employés, que ce qui lui est supportable et c’est bien plus facile à faire quand il ne les voit pas en chair et en os, quand il ne les voit plus qu’à travers une grosse tuyauterie.

A force de trier sans y penser, on n’accepte plus personne en son entier. On veut le parfait de A + le parfait de B + le parfait de C.
A la moindre imperfection on est sifflé, hué, jeté aux chiens (ça vaut pour Alagna comme pour Guerlain). On est si nombreux, un de jeté, dix de retrouvés.

Mort au triste
Vive le triisme et le jetage.

On se fait des idéaux composites en recourant à des machines et machinations (concrètes ou abstraites) de plus en plus labyrinthiques. Et, selon cette logique, une jeune personne offre tout de même une meilleure base qu’une vieille pour y projeter nos idéaux issus de triisme.

ben oui. that’s life ! Le spectacle de la beauté est une telle jouissance. un tel héritage ! Le monde est beau. Il nous a fait des yeux pour qu’on le voie !

Récemment, une équipe de yourteurs était venue nous parler de ce mode d’habitat. Ils nous semblent marginaux, ils nous semblent rétifs au progrès. Je pense qu’ils sont surtout moins trieurs, moins sélectifs, moins perfectionnistes, plus récupérateurs. Moins idéalistes, acceptant leur fragilité, ils ne rejettent rien ni personne. Ils n’applaudissent ni ne sifflent.

une yourte sent abominablement mauvais....Pour moi, cela fait partie de ces rêves qui s’effondrent.

Comment ne pas voir dans la standing ovation, son revers, le lynchage ?

Au moment où l’on se dresse ,émerveillé, je vous jure qu’on ne le voit pas.
Et puis , cher easy, ne savez-vous pas que vous vivez dans le monde du Yin et du Yang ? Et que la Tao n’est qu’une grande montagne russe ?

Tout est progrès sauf le progrès


Voir ce commentaire dans son contexte