lundi 15 novembre 2010 - par Ariane Walter

Une soirée au Metropolitan Opera de New York

Venez ! Je vous amène !

Cela ne coûte que 27 euros (avion compris) puisqu’il suffit d’y aller en voiture.

C’est une nouveauté.

Toute l’année, les grands complexes cinématographiques proposent, en live du Met, les plus grands opéras du répertoire. 27 euros , c’est quand même cher pour une séance de ciné, même chic. Mon amie, cantatrice, est désespérée : « Cela va être la mort des petites productions ! » Je me le demande. Le bien et le mal étant étroitement liés, cela va aussi, peut-être, séduire un nouveau public. Pas dans les banlieues, c’est sûr. Voilà ce qu’ils devraient faire dans les banlieues : amener les gamins gratis au Met. Je suis sûre que des rappeurs y trouveraient de nouvelles harmonies. Il faudrait essayer.

J’aime l’opéra.

Toute petite, mon père, journaliste à Montpellier, avait une loge qui lui était réservée. En fait, pas à lui. Mais comme personne n’en voulait de cette loge, il la récupérait et tous les dimanches, après la messe et le foot, j’allais à l’opéra. C’était la baignoire n°8. La première fois que l’on m’a dit que j’allais assister à un opéra dans une baignoire, j’ai réellement cru que c’était une vraie baignoire et je me demandais comment ils faisaient pour faire entrer quatre chaises là-dedans…

La séance commence à 19H.

Ce soir, c’est « Don Pasquale » de Donizetti.

 Cela ne me dit pas grand-chose, mais ayant vu deux navets récemment (« Les petits mouchoirs » et « Social network »), j’ai envie de me refaire, comme disent les joueurs de poker. Ai-je enfin la bonne carte ?

J’y vais donc tranquillement, me doutant bien, vu le prix, qu’il n’y aura pas une queue de deux cents mètres. J’arrive légèrement en retard, personne dans le hall, on me place, car pour ces séances il y a un certain décorum et là, surprise, la salle est quasiment pleine. Wouahhhh ! Moi qui passe mon temps à parler de la crise !...Le public est constitué de ces infâmes baby-boomers de 68 qui se sont gavés et continuent à le faire, les cochons ! Pendant que le peuple rame, eux ils sont à l’opéra ! Belle mentalité ! Seul avantage, je fais très jeune au milieu de la foule, ce qui n’est jamais à négliger.

Bon. Disons tout de suite que c’est très chouette d’être au Met de New-York.

Je pense à Woody Allen, à une scène de Two lovers où Gwyneth Paltrow avec son riche amant, plantent le malheureux et amoureux (ça rime) Joaquim Phoenix. Puis ils disparaissent dans les brumes de la New-York de Noël…

L’avantage de ces séances de ciné-opéra, c’est qu’on est bien placé. On est sur les genoux du ténor, entre les deux seins de la soprano.

 Tout est sublime. Les voix pour commencer. Le grand art se révèle, même aux ignorants. Quand, aux JO, on voit, sur un cheval d’arçon, quelqu’un faire une pirouette, s’il est brillant, on frissonne. Pourtant on n’y connaît rien. A l’opéra, c’est la même chose. Que c’est puissant, que c’est mélodieux, que c’est profond ! Je n’arrive pas à imaginer qu’un seul être humain puisse écouter cela sans être saisi, gratiné, cuit aux petits oignons du plaisir.

L’intrigue est légère. Une comédie de Molière. Un vieux grognon va se faire rouler par une jolie nana. Dans le rôle de la jolie nana, Norina, la cantatrice Anna Netrebko. Et ça, pour être jolie, chapeau ! Ce qu’elle est pulpeuse, ce qu’elle est à dévorer cette fille ! Dodue mais pas trop, avec des yeux à griller tous les saints même ceux qui l’ont déjà été ! Non seulement elle est belle, mais encore elle a une voix céleste. Même pas laide quand elle chante. A un moment elle nous la joue à la Sharon Stone. Elle écarte les jambes et nous révèle des zones d’ombre auxquelles le cameraman, le coquin, laisse tout leur mystère. Elle fait des cabrioles. Elle lance son contre-ut les jambes en l’air ! C’est chaud ! C’est beau !

Je voudrais tout de suite préciser que je n’ai strictement aucune attirance pour le sexe féminin en tant que sexe. Mais la beauté des femmes, c’est quelque chose quand même. Je plains les hommes. Les pauvres choux. Dès la naissance ils glissent entre les cuisses des femmes, ils passent leurs premiers mois leurs menottes serrées sur leurs seins. Ils vont pendant des années se faire cajoler, bécoter par ces douces chaudes. On comprend qu’ils soient intoxiqués pour la vie. Que c’est tentant une femme. De vraies gueuses avec leurs décolletés, leurs ceintures qui n’ont rien de chaste mais font exploser la ligne de leurs hanches. Ce qu’elle chante bien cette fille. C’est un rôle de coquine. Elle a la langue rose, les dents blanches, les lèvres appétissantes…On ne regarde même pas les sous-titres quand elle vocalise. Ce qu’elle dit c’est : «  Je suis belle, je suis belle, oublie tout, regarde-moi, tu es au paradis !  »

Et les hommes ? Ils sont trois. Ils chantent bien. Un vieux. Un gros. Un maigre. Mais question voix, encore une fois, ce sont des Maserati, que dis-je des Rolls, que dis-je des Ferrari !

Les décors sont splendides. Classiques. De ces décors qui font faire « Ohhh ! » au public quand le rideau se lève.

La mise en scène aussi est classique. Ouf !

Pas besoin de supporter les fantaisies de ces metteurs en scène qui veulent que les cantatrices soient enfermées dans des cages et les ténors, dans « la Walkyrie », habillés en kilt, à cheval sur un sexe qui se balance des cintres.

Lors de l’entracte, un peu de pédagogie. On nous montre comment les décors glissent et se mettent en place. C’est un bain d’autrefois. Un bain de ces anciens temps où même les pauvres étaient heureux puisqu’ils savaient, grâce à la religion, qu’ils finiraient premiers au paradis.

Parfois, je m’échappe de cette beauté. Des idées me traversent la cervelle. (Je préfère cervelle à cerveau, pour faire plaisir aux féministes, puisque c’est féminin.) A un moment les valets chantent et cancanent. Ils critiquent leurs maîtres. Cela me fait penser à nous tous, sur internet, déblatérant sur ces chiens de banquiers, de puissants qui se roulent dans le luxe et la volupté ! On peut bien critiquer tant qu’on veut ! Ce qu’ils s’en fichent, les autres, avec leurs nouveaux jouets, leurs avions, leurs nouveaux ordinateurs qui donnent des ordres en une ombre de nano-seconde.

 Mais que c’est beau un chœur. Que c’est beau des gens ensemble avec des voix différentes mais harmonisées.

Je pense aussi à cette fameuse idée : Faut-il que l’Etat se mêle de tout ? Il n’y a pas de grande harmonie sans chef d’orchestre. Si chacun part dans son coin avec son violon et son piano, si chacun joue sa partition, quand pourrons-nous entendre cette musique à l’unisson qui invente la beauté et l’offre à tous ?

A la fin du cinquième acte, notre belle Norina chante dans une petite chemise blanche du plus bel effet et lance son dernier refrain. Très moral. Elle dit : « Aussi, quand un vieux veut épouser une jeune, cela ne peut que finir en enfer !  » Et elle le répète plusieurs fois, comme à l’opéra : « Un vieux qui veut épouser une jeune… »

Je pense à tous les vieux qui, au Met, doivent être accompagnées de jeunes… Cela doit les mettre, peut-être, un peu mal à l’aise…

Une seule chose est triste dans ce genre de représentation. On ne peut pas applaudir. C’est là qu’on sait qu’on n’est pas au Met. Certes, certains tentent quelques « clap clap », mais c’est misérable. Dans la salle, la vraie, avec ses murs dorés d’un autre monde, ils sont debout, serrés les uns contre les autres, applaudissant et rugissant quand paraît la belle Norina.

Bientôt ils se retrouveront dans les rues de New-York. Time square. Où iront-ils manger ?

New-York, la ville des rêves...

America, America, où es-tu ?



17 réactions


  • Stupeur Stupeur 15 novembre 2010 10:12

    « C’est chaud ! c’est beau ! »
     
    C’est du Netrebko ! 

    Démonstration par l’exemple : 
     
    Anna Netrebko - Don Pasquale - The MET (26 oct 2010) 
     
    Bellini - I Puritani - Anna Netrebko (Vien, diletto, e in ciel la luna) - The MET, 2007 
     
    Anna Netrebko - La Bohème (Quando me’n vo’) de Puccini 
     
     
    Manon - Anna Netrebko & Roberto Alagna - Acte 2 - Opéra de Jules Massenet - Wiener Staatsoper (2007) 
     
    Merci Ariane ! 
     

  • Ariane Walter Ariane Walter 15 novembre 2010 10:37

    @ Stupeur
    Que vous êtes gentil de mettre ces liens. je voulais le faire mais je n’avais pas eu le temps.
    C’est vrai que cette fille est extraordinaire.

    A l’intention de tous.
    je voudrais tout de même préciser la distribution pour les amateurs d’opéra.
    Direction : james Levine
    Don Pasquale : John del carlo
    Ernesto : Matthew Polenzani
    Dr Malatesta : Marius Kwiencien

    En fait ces retransmisssions en live du Met ont commencé en 2007.
    Au Met le prix des places varie entre 40 dollars et 319.

    C’est 27 euros pour un opéra mais c’est moins cher pour trois opéras ou un abonnement à l’année.


  • Triodus Triodus 15 novembre 2010 10:40

    J’ai eu la chance d’apprécier l’opéra très tôt (ma cantatrice de mère chantait du Wagner sur scène en étant enceinte de moi), puis de passer ma petite enfance dans les coulisses, les loges, les machineries et tous les recoins de ces lieux magiques.

    Aujourd’hui encore, je retrouve à chaque fois le même émerveillement, intact.

    Et les émois d’un genre un peu moins musicaux que me procuraient mes visites curieuses dans les loges de ces belles cantatrices entre deux changements de costumes..


    • Ariane Walter Ariane Walter 15 novembre 2010 10:54

      Cher Triodus,

      Ah ! le charme des comédiennes et des cantatrices : poudre, parfum, robes qui glissent, éclats de rire.
      Avant une représentation , l’excitation est insupportable.
      Quand j’étais petite, mon père m’amenait dans les vestiaires après un match de foot. pas le même effet. (Je précise que je n’allais pas dans les douches !)
      mais j’ai gardé de ces visites une impression qui est une forme d’imprégnation. depuis ce temps, un homme est toujours pour moi, comme il l’était devant moi alors, plus grand et plus âgé.

      il s’en passe des choses dans les coulisses !

      Vous avez vu des réprésentations du Met au ciné ?


  • Triodus Triodus 15 novembre 2010 11:07

    Bonjour Ariane,

    C’est bien d’imprégnation qu’il s’agit..

    Quand au Met au ciné, non, je n’ai pas essayé. Et une question me taraude, vu que vous y avez assisté, quid de l’acoustique ?

    Il ne me semble pas que l’acoustique et les installations de sonorisation d’une salle de cinéma ait été conçue dans le même but..


    • Triodus Triodus 15 novembre 2010 11:09

      (désolé pour les fautes, je ne me relis pas)


    • Ariane Walter Ariane Walter 15 novembre 2010 11:13

      A triodus

      J’étais dans un complexe de dix salles.
      L’acoustique était excellente ;
      mais bon. je ne suis pas une grande spécialiste.
      On entend très bien et surtout on voit mieux ! ce qui fait qu’on entend mieux, je crois !
      Bien à vous.
      le prochain spectacle est « Don carlos » avec Alagna. j’ai vu des extraits . cela a l’air sublime.Fin novembre. l’occasion pour vous d’essayer.


    • Triodus Triodus 15 novembre 2010 11:28

      Je crois que je vais me laisser tenter ! 


  • Manuel Atreide Manuel Atreide 15 novembre 2010 12:48

    @ l’auteure ...

    hmm ; vous avez raison Ariana, à défaut de pouvoir assister en chair et en os aux opéras montés au Met, cette solution est intéressante. Il faut dire que l’opéra new yorkais propose à chaque saison une programmation qui me fait saliver d’envie, surtout lorsque je la compare avec ce que l’Opéra de Paris nous programme : les plus grandes voix se succèdent sur cette scène mythique et les opéras montés me font toujours regretter la frilosité de la maison parisienne : c’est quand même un comble de voir que l’opéra français est mieux accueilli outre atlantique que chez nous.

    Mais bon, foin de râleries, je vais aller me renseigner sur cette excellente initiative. Qui sait, nous pourrions nous croiser un soir, même si je gage que la distance créée par la retransmission me frustrera un peu. L’opéra est un art vivant ! smiley

    Cordialement,

    Manuel Atréide


    • Ariane Walter Ariane Walter 15 novembre 2010 13:02

      Cher manuel,
      Il faut reconnaître qu’ils font tout pour rendre ces séances agréables. le fait que du personnel joue les ouvreurs d’une manière diligente, surtout que 40 mn avant le début du spectacle, ils retransmettent ce qui se passe au Met.
      je vous donne le m^me conseil qu’à triodus, allez voir « Don carlo » de Verdi. malheureusement ou heureusement, je serai à Rome ce jour là !
      Bonne journée !!


  • easy easy 15 novembre 2010 13:33




    «  »«  »«  » Mais que c’est beau un chœur. Que c’est beau des gens ensemble avec des voix différentes mais harmonisées.

    Je pense aussi à cette fameuse idée : Faut-il que l’Etat se mêle de tout ? Il n’y a pas de grande harmonie sans chef d’orchestre. Si chacun part dans son coin avec son violon et son piano, si chacun joue sa partition, quand pourrons-nous entendre cette musique à l’unisson qui invente la beauté et l’offre à tous ? «  »«  »«  »« 

    Bonjour chère Ariane,

    Votre sujet m’invite à un surf sur quelques idées vagues

    Oui un choeur, une messe, ça dégage une valeur qu’un individu seul ne dégage pas.
    De là, l’homme plussiste se demande si un choeur géant, une messe géante ne produirait pas un effet encore plus riche, plus flamboyant. Et il se met à concevoir des systèmes géants. 

    C’était une belle chose que la réalisation d’une chaîne de confiance entre 2 ou 3 financiers du temps des premiers voiliers. On empruntait ici, on remboursait là-bas. Mais alors que cette petite chaîne de confiance avait quelque chose de réjouissant pour tous, l’usine à gaz qu’est devenue la finance aujourd’hui n’est plus qu’un monstre profitable pour quelques uns et déprimant pour la grande majorité.


    Pouvoir, en live ou en différé, voir un spectacle vivant qui se tient ou s’est tenu hors de notre vue directe, n’est possible que grâce à une usine à gaz technologique.
    Elle semble apporter un plus. C’est par exemple ce qui permettrait à un Himba 
    de découvrir ce qui se passe dans nos théâtres. C’est aussi ce qui nous permet à nous, de voir un peu comment vivent les Massaïs et les Korowaïs. En l’espèce, ça nous permet d’ici de voir le meilleur du Met. Le meilleur.

    Plus d’information, plus de connaissance, plus de culture, plus d’ouverture, bla bli bla blo... des merveilles que tous ces plus avons-nous dit et répété, en particulier quand il s’agissait d’aller civiliser le monde.


    Ce spectacle que permet l’usine à gaz cinématographique, nécessite de la part des spectateurs, un travail de transposition et même de transfiguration. On voit ce que l’on est, on voit ce qu’on a envie de voir et comme on est bon public, devant un film, on s’efforce de transposer, transfigurer pour avoir l’impression d’y être, d’être devant du vrai alors qu’on n’est que devant une image. »Ceci n’est pas une pipe" rappelait Magritte.

    Mais au cinéma, malgré cette transfiguration in petto, on n’y est pas. On ne peut pas applaudir sinon à l’adresse de l’acteur projeté dans notre petite salle de ciné intérieure. On n’applaudit donc qu’à ses projections, quà ses fantasmes, qu’à soi-même.

    Et pendant ce temps qu’on est là à se faire des films devant un écran, on n’est pas devant de vrais acteurs ou de vraies personnes en chair et en os qui ont besoin de notre présence physique bien réelle. Dans certains cas extrêmes, assister en live au spectacle d’un acteur révolté ou dissident, constitue un acte militant et peut lui sauver la vie (là je pense au militantisme d’Ariane Mnouchkine qui permet à des comédiens Afghans de ne pas être broyés)

    Les banquiers non plus ne voient pas en ces endettés qui pendouillent au bout de leurs ficelles, des personnes en chair et en os. Eux aussi transfigurent et ne voient de leurs clients pendus que ce qu’ils veulent voir.

    La vraie vie avec une vraie personne impose d’accepter et la beauté de ses iris et l’odeur de sa sueur, de ses pets. Automatiquement, pensant bien faire, au fil des millénaires, nous avons cherché à éliminer la sueur, la merde et les furoncles pour ne garder que la grâce, le sent bon et les caresses. Ce principe du tri sélectif, induit des pensées sélectives et on acquiert des automatismes sélectifs.
    On trie sans y penser.
    On ne voit de la vache que son fromage et son rumsteak ; on ne voit de la poule que son oeuf et sa cuisse ; on ne voit du pétrole que ce qui nous permet de nous déplacer.
    On ne voit de l’actrice que ce qui nous est supportable et c’est bien plus facile à opérer au cinéma qu’au théâtre, plus facile au théâtre qu’à la maison. Un banquier, un grand patron ne voit des consommateurs, de ses employés, que ce qui lui est supportable et c’est bien plus facile à faire quand il ne les voit pas en chair et en os, quand il ne les voit plus qu’à travers une grosse tuyauterie.

    A force de trier sans y penser, on n’accepte plus personne en son entier. On veut le parfait de A + le parfait de B + le parfait de C.
    A la moindre imperfection on est sifflé, hué, jeté aux chiens (ça vaut pour Alagna comme pour Guerlain). On est si nombreux, un de jeté, dix de retrouvés.

    Mort au triste
    Vive le triisme et le jetage.

    On se fait des idéaux composites en recourant à des machines et machinations (concrètes ou abstraites) de plus en plus labyrinthiques. Et, selon cette logique, une jeune personne offre tout de même une meilleure base qu’une vieille pour y projeter nos idéaux issus de triisme.


    Récemment, une équipe de yourteurs était venue nous parler de ce mode d’habitat. Ils nous semblent marginaux, ils nous semblent rétifs au progrès. Je pense qu’ils sont surtout moins trieurs, moins sélectifs, moins perfectionnistes, plus récupérateurs. Moins idéalistes, acceptant leur fragilité, ils ne rejettent rien ni personne. Ils n’applaudissent ni ne sifflent.

    Comment ne pas voir dans la standing ovation, son revers, le lynchage ?



    La sélection naturelle se réalise très progressivement et sur des milliers d’années sans que jamais un individu ne se sente rejeté.

    La sélection idéaliste, née de la perversion intellectuelle, exige une perfection immédiate, hors réalités ou contraintes naturelles. Follement sélective, elle élimine quasiment tout le monde. Il devient alors extrêmement difficile d’être accepté en son entier dans la réalité.

    En revanche, dans la fiction du cinéma, du théâtre, de la politique, c’est possible puisqu’on choisit son moment, son éclairage, son décor, son rôle. Tout est sous contrôle, au pet, à la chute d’un décor et au trou de mémoire près. C’est donc surtout par ce biais de la mise en scène, du contexte contrôlé qu’on va chercher à exister. Notre monde civilisé est devenu une grande Machinerie théâtrale où ne vaut que le spectaculaire, où chacun cherche à devenir acteur d’un rôle fantasmatique faute de pouvoir être apprécié en son entier vrai, banal et parfois triste.


    • Ariane Walter Ariane Walter 15 novembre 2010 20:34

      cher Easy,

       
      Votre sujet m’invite à un surf sur quelques idées vagues

      Wouah ! Quel début ! je vous suis à hawaï !

      Oui un choeur, une messe, ça dégage une valeur qu’un individu seul ne dégage pas.
      De là, l’homme plussiste se demande si un choeur géant, une messe géante ne produirait pas un effet encore plus riche, plus flamboyant. Et il se met à concevoir des systèmes géants.

      Vous me rappelez l’opposition chez Nietszche entre apollinien et dyonisiaque. Dyonisiaque, le plaisir de la foule. A l’église, sur un stade, dans un théâtre, dans une boîte, quand il y a un évènement commun. Je pensais que quand on regarde un match on attend l’orgasme du but ; tandis que quand on regarde un opéra tout est tellement sublime si souvent que c’est un orgasme constant. Et le ressentir avec beaucoup d’autres, oui, c’est quelque chose car au demeurant nous sommes plus souvent seuls qu’accompagnés.

      C’était une belle chose que la réalisation d’une chaîne de confiance entre 2 ou 3 financiers du temps des premiers voiliers. On empruntait ici, on remboursait là-bas. Mais alors que cette petite chaîne de confiance avait quelque chose de réjouissant pour tous, l’usine à gaz qu’est devenue la finance aujourd’hui n’est plus qu’un monstre profitable pour quelques uns et déprimant pour la grande majorité.

      Pouvoir, en live ou en différé, voir un spectacle vivant qui se tient ou s’est tenu hors de notre vue directe, n’est possible que grâce à une usine à gaz technologique.
      Elle semble apporter un plus. C’est par exemple ce qui permettrait à un Himba 
      de découvrir ce qui se passe dans nos théâtres. C’est aussi ce qui nous permet à nous, de voir un peu comment vivent les Massaïs et les Korowaïs. En l’espèce, ça nous permet d’ici de voir le meilleur du Met. Le meilleur.

      Plus d’information, plus de connaissance, plus de culture, plus d’ouverture, bla bli bla blo... des merveilles que tous ces plus avons-nous dit et répété, en particulier quand il s’agissait d’aller civiliser le monde.

      Ce spectacle que permet l’usine à gaz cinématographique, nécessite de la part des spectateurs, un travail de transposition et même de transfiguration. On voit ce que l’on est, on voit ce qu’on a envie de voir et comme on est bon public, devant un film, on s’efforce de transposer, transfigurer pour avoir l’impression d’y être, d’être devant du vrai alors qu’on n’est que devant une image. « Ceci n’est pas une pipe » rappelait Magritte.

      Mais au cinéma,

      Très cher, j’attendais le « mais » ! je vous connais ! Vous auriez vraiment été parfait dans le rôle du rabatteur d’orgueil ,lors des défilés victorieux des césar ! Tu n’es que poussière et tu retourneras poussière avec tes grands spectacles en live du Met !!

       malgré cette transfiguration in petto, on n’y est pas. On ne peut pas applaudir sinon à l’adresse de l’acteur projeté dans notre petite salle de ciné intérieure. On n’applaudit donc qu’à ses projections, quà ses fantasmes, qu’à soi-même.

      il est vrai qu’au théâtre ou ailleurs le contact avec les comédiens est tellement heureux et rien ne vaut le moment où ils approchent du public pour saluer. Quel échange alors !

       
      Les banquiers non plus ne voient pas en ces endettés qui pendouillent au bout de leurs ficelles, des personnes en chair et en os. Eux aussi transfigurent et ne voient de leurs clients pendus que ce qu’ils veulent voir.

      ne pas voir, c’est ne pas savoir ?

      La vraie vie avec une vraie personne impose d’accepter et la beauté de ses iris et l’odeur de sa sueur, de ses pets. Automatiquement, pensant bien faire, au fil des millénaires, nous avons cherché à éliminer la sueur, la merde et les furoncles pour ne garder que la grâce, le sent bon et les caresses. Ce principe du tri sélectif, induit des pensées sélectives et on acquiert des automatismes sélectifs.
      On trie sans y penser.


      la nature est ainsi faite. Elle recherche le beau !
      C’est elle la plus grande trieuse !

      On ne voit de la vache que son fromage et son rumsteak ; on ne voit de la poule que son oeuf et sa cuisse ; on ne voit du pétrole que ce qui nous permet de nous déplacer.
      On ne voit de l’actrice que ce qui nous est supportable et c’est bien plus facile à opérer au cinéma qu’au théâtre, plus facile au théâtre qu’à la maison. Un banquier, un grand patron ne voit des consommateurs, de ses employés, que ce qui lui est supportable et c’est bien plus facile à faire quand il ne les voit pas en chair et en os, quand il ne les voit plus qu’à travers une grosse tuyauterie.

      A force de trier sans y penser, on n’accepte plus personne en son entier. On veut le parfait de A + le parfait de B + le parfait de C.
      A la moindre imperfection on est sifflé, hué, jeté aux chiens (ça vaut pour Alagna comme pour Guerlain). On est si nombreux, un de jeté, dix de retrouvés.

      Mort au triste
      Vive le triisme et le jetage.

      On se fait des idéaux composites en recourant à des machines et machinations (concrètes ou abstraites) de plus en plus labyrinthiques. Et, selon cette logique, une jeune personne offre tout de même une meilleure base qu’une vieille pour y projeter nos idéaux issus de triisme.

      ben oui. that’s life ! Le spectacle de la beauté est une telle jouissance. un tel héritage ! Le monde est beau. Il nous a fait des yeux pour qu’on le voie !

      Récemment, une équipe de yourteurs était venue nous parler de ce mode d’habitat. Ils nous semblent marginaux, ils nous semblent rétifs au progrès. Je pense qu’ils sont surtout moins trieurs, moins sélectifs, moins perfectionnistes, plus récupérateurs. Moins idéalistes, acceptant leur fragilité, ils ne rejettent rien ni personne. Ils n’applaudissent ni ne sifflent.

      une yourte sent abominablement mauvais....Pour moi, cela fait partie de ces rêves qui s’effondrent.

      Comment ne pas voir dans la standing ovation, son revers, le lynchage ?

      Au moment où l’on se dresse ,émerveillé, je vous jure qu’on ne le voit pas.
      Et puis , cher easy, ne savez-vous pas que vous vivez dans le monde du Yin et du Yang ? Et que la Tao n’est qu’une grande montagne russe ?

      Tout est progrès sauf le progrès


    • easy easy 15 novembre 2010 21:31

      «  »«  »«  » Et puis , cher easy, ne savez-vous pas que vous vivez dans le monde du Yin et du Yang ? Et que la Tao n’est qu’une grande montagne russe ?«  »«  »

      Yin...Yang...Yin...Yang
      Oui...Mais...Oui...Mais...

       smiley


  • Fergus Fergus 15 novembre 2010 16:31

    Superbe texte, Ariane. Cela me donnerait presque envie d’y aller, moi qui, fan inconditionnel de musique classique, n’ai pratiquement jamais apprécié l’opéra (ou autres genres lyriques), exceptés La reine indienne, Les Noces de Figaro, La flûte enchantée ou Le Barbier de Séville.

    Ce n’est pourtant pas faute d’avoir essayé, d’avoir écouté du Donizetti (tiens !), du Puccini, du Verdi et tant d’autres, mais rien à faire, je coince et j’en reviens toujours à la musique instrumentale que je peux écouter des heures sans ennui.

    L’un de mes principaux problèmes avec l’opéra, ce sont les récitatifs. Ah, que ne les supprime-t-on pour en venir directement aux arias et aux choeurs ? Ce serait d’autant plus judicieux que le livret est le plus souvent affligeant rapporté à la musique.

    C’est pourquoi je me concocte mes propres CD en éliminant toutes ces scories à mes yeux (j’insiste sur ce point) inutiles. Dès lors, je me régale à l’écoute de certains chefs d’oeuvre, et cela sans le moindre état d’âme.


    • Ariane Walter Ariane Walter 15 novembre 2010 20:06

      Cher fergus,
      Allez-y ! Allez-y ! je ne donne que de bons conseils, alimentaires et autres !
      Nos goûts changent avec le temps et je ne peux manquer de vous conseiller « Don Carlo » de verdi pour le 11 décembre..
      certes ,il y a des longueurs dans « Don pasquale ». mais les deux premières heures étaient enchanteresses, ce qui est tout de même pas mal !
      Il y a aussi le fait de se retrouver admis dans ce temple qu’est le Met !

      Pour un soir abandonnez vos CD concoctés et allez vous baigner dans cet océan de musqiue et de couleur sur grand écran !
      Bonne soirée !


  • emile wolf 15 novembre 2010 18:03

    Du terrorisme encore du terrorisme, toujours du terrorisme !

    Moteur !

    Ariane, cavalière du grand écran, enfante dans un sublime avatar, le Danton du « Met », un raccourci très Harper’s Bazaar sous objectif avedonien pour désigner l’opéra de New York. 

    Un « Met » qui n’est plus guère swing sous la baguette ambrée de Léonard, mais s’identifie au Walhalla de ben Laden où les ceintures des souris font exploser la ligne des hanches dans l’eden public de Marthe Richard adolescente. Un paradis où des julots très Fa, expirent sur le Sol, le baryton en bandoulière, avant de prendre La clé des chants sous le vent du ténor pour s’évanouir dans la gueule démesu du trombonne en coulisse. Bref une symphonie de bons tons teintée d’opéra bouffe philarmonique financé par Mac Do Si vous entendez ce que j’ai Mi dans le poulet.

    Conclusion : une recette orchestrée par Walter à mettre dans toutes les bouches soprano de ceux qui, séquence après séquence, apprécient s’envoyer en l’air.

    Coupez !

    Quelle saveur ! Magnifique article et super pub Ariane ! J’applaudis.

    Vous devriez vous lâcher plus souvent . C’est éblouissant ! J’aime.

    On la refait ? Non elle est parfaite. On la visionne et on la monte.


  • Ariane Walter Ariane Walter 15 novembre 2010 20:12

    cher Emile,
    On la monte ? heu.. ;heu...Nebretko ? Là, je vous assure , vous ne perdriez pas votre temps !!!

    merci pour votre grand air du V, votre sens de la mise en scène et votre goût pour le vocabulaire vocalisé !!!

    J’apprécie beaucoup votre patinage savant sur glace musicale ! Bravo à vous aussi !


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