Commentaire de lloyd henreid
sur Le Monde tacle Agoravox et votre serviteur


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lloyd henreid lloyd henreid 25 août 2011 00:17

J’aime l’argument de la riposte uniquement en cas de légitime défense : c’est pas pour tirer sur les manifestants, c’est juste pour dégommer ceux qui taperaient sur les flics. Dit comme ça, c’est vrai que ça semble presque normal.

Imaginons maintenant la situation suivante.

Les salaires sont gelés, voire revus à la baisse. Le chômage gronde et l’emploi dit « stable » agonise : nous sommes à l’heure de la main d’œuvre jetable, celle qui ne peut faire strictement aucun projet de vie. Les vieux veulent des retraites ; les jeunes veulent du travail. Le logement devient un luxe, et pour certains, la bouffe aussi. Le prix du pétrole n’en finit pas de grimper (mais graduellement, comme la petite grenouille dans sa marmite), comme celui de tous les produits de consommation de base. La crise suit son cours, et l’on nous annonce encore d’autres restrictions ; la santé deviendra bien vite un luxe, elle aussi. C’est déjà le cas pour des tas de malades chroniques, notamment les vieux dont les médicaments sont de moins en moins remboursés ; et à qui, ironie du sort, l’on refuse le droit de mourir dignement (que beaucoup appellent de leur vœux, passé un certain âge).

Des tas de problèmes devraient entraîner des tas de réponses logiques dont nous discutons, mais que nos gouvernants refusent d’envisager. Nous sommes trop stupides, nos visions sont trop simplistes. Les leurs, en revanche, sont tellement grandioses qu’un jour — grâce leur en soit rendue —, la crise s’évaporera, nous laissant béats d’admiration pour leur sagesse. Sauf qu’en attendant, pour que l’eau devienne vapeur, il faut d’abord que la température monte ; et elle monte !

La petite grenouille commence à s’agiter. Les tensions sociales sont palpables à tous niveaux : on a pu voir défiler non seulement les « gauchistes », les cheminots (ceux qui prennent le pays en otage), ces fainéants de profs, des fonctionnaires (à qui l’on a décidé de geler les salaires), mais aussi des médecins, magistrats, ou encore policiers — tous mécontents de leur sort !

Tu m’étonnes que ça flippe et que ça prépare sa « défense » : la stigmatisation, « diviser pour mieux régner », ça marche un moment ; mais passé ce délai, les gens commencent à comprendre. Pendant qu’on tapait sur le dos du voisin, de la cousine germaine, ou du grand-père (le salaud, qui a l’audace de ne pas vouloir mourir), la bande à Nico tapait sur tous en même temps. Maintenant que tout le monde lui jette un regard plein d’amertume, il faut bien qu’il prépare sa « légitime » défense (lui et sa bande hein, je veux dire).

Nous avons vu de bien belles images de manifestations en Espagne, ces derniers temps... indignés, à juste titre. Quand des flics en armure (faute de voile) « intégrale » balancent leurs matraques dans la tronche de lycéennes sans défense, qui ne font qu’« occuper » le terrain, c’est de la légitime défense ? Je suppose que non : c’est pour ça qu’en pareil cas, on utilise des armes « non létales » (matraque, flashball, tazer, et autres réjouissances). Par contre, la nénette qui vient de s’en prendre un bon coup, alors qu’elle ne faisait, proprement, qu’« être là » ; elle, en revanche, subit une véritable agression. Rien ne justifie le coup que lui assène l’homme en armure. Elle devrait donc pouvoir riposter en état de « légitime défense », et bénéficier du soutien des forces de l’ordre. Sauf que non : en pareil cas, les forces dites « de l’ordre » ne se soutiennent qu’entre elles ; et la violence gratuite envers le citoyen est tolérée. Mieux, même : elle est ordonnée.

Dans la première vidéo — qui a été supprimée —, on voyait le même genre de scène : une nénette se prend un coup de matraque dans la tronche, sauf qu’à côté, son malabar de petit copain réagit. Il fait mine de réagir, pour être exact : on le voit perdre la boule, avancer, puis finalement se retenir. Il se retient parce que s’il en colle une au mec en armure, il y en a quatre, cinq, peut-être une dizaine d’autres qui lui tomberont dessus. Coups de pieds, matraques, tazers — rien que du non létal, mais c’est déjà de la violence. S’il lève la main sur l’homme qui a frappé son amie, alors il est sûr de dormir à l’hôpital.

Cette loi dont le Monde nous parle avec tant de légèreté, permet qu’au lieu d’investir une chambre d’hôpital, notre homme puisse être envoyé direct à la morgue (paraît qu’il faut désengorger les hôpitaux). Elle autorise clairement les hommes en armure à ouvrir le feu, non seulement sur le citoyen récalcitrant, mais aussi (pour ceux à qui ça aurait échappé) sur tous les bons manifestants situés derrière (car oui, autant le savoir : les balles traversent les gens). S’il s’ensuit un mouvement de panique susceptible de faire en sorte que les forces de l’ordre se sentent « menacées », alors elles pourront continuer de tirer dans le tas. Elles parleront ensuite de « légitime défense », face à une bousculade de civils en débâcle.

Deux ou trois fois comme ça, et tout le monde aura la trouille d’aller manifester. Les gens seront mécontents mais ça se verra moins... c’est pas beau, la démocratie ?

J’attends avec ferveur le moment où ces hommes en armure comprendront qu’ils servent d’abord le peuple, et non ses dirigeants. Le jour où ils comprendront que l’ennemi, ce n’est pas le peuple ; ce sont ses dirigeants. Où sont les De Gaulle d’aujourd’hui ? Collaborer avec l’oligarchie financière, se résigner à accepter les règles qu’elle nous dicte, c’est comme tolérer l’occupation en quarante. Quelle dignité pour ces dirigeants qui expliquent au peuple que c’est comme ça : on souffre, mais « c’est la crise », on n’y peut rien du tout ? « Les Allemands sont plus forts, on n’y peut rien : rendons-nous, collaborons ! »

Je vois d’ici les commentaires crachant que « c’est pas pareil, les Nazis tuaient des civils » ; la belle affaire. La malnutrition, le mal-logement tuent aussi ; et si l’on s’obstine à accepter, à se résigner, alors nos vies ne vaudront bientôt plus grand-chose. C’est déjà le cas pour des millions d’entre nous.


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