Commentaire de HORCHANI Salah
sur La nouvelle tendance du Ministère tunisien de l'Enseignement Supérieur !


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HORCHANI Salah HORCHANI Salah 14 février 2012 08:22

« Nouvelles de la Faculté des Lettres de la Manouba (Tunisie)
(Tunis, le 12 février 2012)

Par Habib Mellakh
universitaire, syndicaliste
Département de français, Faculté des Lettres de la Manouba

Réaction syndicale contre les déclarations de Monsieur Moncef Ben Salem : une grève de protestation de deux heures à la Manouba

Les dernières déclarations du ministre de l’enseignement supérieur et de la recherche scientifique publiées dans le Nouvel Observateur du 2 février et dans l’hebdomadaire Al Akhbar du 9 février ont suscité un tollé général chez les universitaires et plus particulièrement chez les enseignants de la Faculté des Lettres, des Arts et des Humanités de la Manouba. De nombreux collègues m’ont fait part de leur ahurissement, sidérés qu’ils étaient de l’incompréhension manifestée par l’autorité de tutelle. Quoi ! Deux mois perdus d’un travail titanesque où ils ont réussi à convaincre l’opinion publique du bien fondé de leurs positions après avoir démontré dans tous les médias, sur les ondes des radios, sur tous les plateaux de télévision, dans les journaux électroniques, sur les colonnes de la presse écrite, dans les textes émanant du conseil scientifique et dans les motions syndicales que leur combat était apolitique, que leur doyen n’avait pris aucune décision de son propre chef, qu’il ne faisait qu’appliquer les décisions prises par le conseil scientifique à partir des recommandations de la base des enseignants comme en témoignent les documents et la chronologie des différentes réunions, pour aboutir à ce gâchis ! Ils avaient beau intervenir en chœur pour signifier que la motivation essentielle de leur résistance était, en termes très banals, le souci de donner un enseignement valable dans les cours, les séances de travaux dirigés, les séances de travaux pratiques. Mal leur en prit puisque l’autorité de tutelle ne les a pas entendus et qu’elle a même pris parti pour les frondeurs alors qu’elle avait cultivé l’ambiguïté jusque là.

Pourquoi leur ministre n’a-t-il pas épousé le point de vue du Président de la République et du Président de la Constituante qui sont pourtant des hommes de gauche comme leur doyen mais qui ont pris fait et cause pour les universitaires non par parti pris politique ou idéologique mais en tant qu’anciens enseignants de la Faculté de médecine convaincus, grâce à leur longue expérience, que le contact visuel et la communication non verbale sont des éléments essentiels dans la transmission du savoir ? Monsieur Moncef Ben Salem, qui est un excellent mathématicien dont la réputation a dépassé les frontières du pays, sait mieux que quiconque que l’apprentissage des mathématiques, par exemple, nécessite beaucoup d’interaction pédagogique à cause de la complexité des notions et des abstractions mathématiques et de la nécessité de la multiplication des exercices ? S’il ne consent pas à l’affirmer dans les médias et dans un texte qui validerait la position pédagogique de tout enseignant, c’est lui qu’on doit suspecter de motivations politiques.

Pourquoi n’admet-il pas que les professeurs sont mus par l’impératif de sauvegarder les valeurs universitaires, leurs prérogatives pédagogiques et scientifiques, les libertés académiques ou leur nie-t-il ce qui est en même temps un devoir et un droit ? Ces exigences, conditions nécessaires de l’efficience pédagogique, ne peuvent-elles pas être défendues sans qu’on accuse les universitaires de parti pris politique ? Ne doivent-elles pas être renforcées par toute université digne de ce nom ? Le principe de libertés académiques défini par le Comité des droits économiques, sociaux et culturels (CDESC) des Nations Unies comme « la liberté pour l’individu d’exprimer librement ses opinions sur l’institution ou le système dans lequel il travaille, d’exercer ses fonctions sans être soumis à des mesures discriminatoires et sans crainte de répression de la part de l’État ou de tout autre acteur (…) »et celui de l’autonomie institutionnelle considérée comme « le degré d’indépendance dont [un établissement] a besoin pour prendre des décisions efficaces, qu’il s’agisse de ses travaux, de ses normes, de sa gestion ou de ses activités connexes », principes dont le respect est exigé des Etats, ne sont-ils pas garantis par le droit tunisien et les textes en vigueur relatifs à l’enseignement supérieur en Tunisie ? Pourquoi le ministre ignore-t-il tous ces textes et se projette-t-il dans un futur dont seuls les devins seront capables de dire de quoi il sera fait, à moins qu’il n’envisage avec le parti au pouvoir de remettre en question ces acquis de l’université tunisienne, comme le laissent présager ses dernières déclarations ? Ne sait-il pas que les lois tunisiennes en vigueur ainsi que les recommandations internationales, comme celle relative à la condition du personnel enseignant de l’enseignement supérieur, adoptée par la Conférence générale de l’UNESCO en 1997, prévoient que les États ont l’obligation de protéger les institutions universitaires des menaces envers leur autonomie, quelle que soit leur origine et qu’ils sont aussi responsables de la sécurité des étudiants, des professeurs du personnel ouvrier et administratif ?

Ce sont les réflexions formulées, en ce vendredi 10 février, par les collègues abasourdis que l’autorité de tutelle prenne non seulement la défense d’un groupuscule qui a fait d’une banale histoire de respect d’un règlement intérieur et d’un code vestimentaire universel, une histoire de liberté de croyance et une affaire politique mais qu’elle adopte aussi et surtout ses positions et légitime sa violence alors que le bon sens politique et le bon sens tout court auraient dû pousser le ministre à obliger ce groupuscule à respecter le règlement car, pour éviter les perturbations et parfois l’anarchie dont la FLAHM a été le théâtre, on aurait dû veiller à l’application de la loi en vigueur, même si l’on pense qu’elle est injuste et qu’elle peut être abrogée dans une année.

- Le ministre serait-il mal informé ? Serait-il sous l’influence de l’aile dure de son parti ? se demande un collègue profitant de la pause café pour commenter les déclarations du ministre, devenues le sujet privilégié de discussion des enseignants, des fonctionnaires et des ouvriers en cette fin de semaine.

- Mais non ! Il fait partie de l’aile dure de son parti, rétorque un autre, gêné que la discussion prenne cette tournure politique.

- C’est la position du ministre qui est entachée de considérations politiques, renchérit un troisième, et non la nôtre !

Sur les pages Facebook apparaît le même abasourdissement qui dénonce le dialogue de sourds ou l’autisme des autorités. « C’est à s’arracher les cheveux », « plus autiste que moi, tu meurs ! » et des formules équivalentes figurent parmi les commentaires les plus lus. Un facebooker, vraisemblablement mal informé sur la position syndicale, s’inquiète : « Pourquoi le syndicat ne réagit-il pas ? ».

De fait, la réaction du syndicat ne s’est pas faite attendre. Le lendemain, les deux bureaux syndicaux de la FLAHM décrètent un arrêt de travail de deux heures le mardi 14 février 2012, à partir de 10h30 pour protester contre le diktat d’un groupuscule qui veut déposséder les enseignants de leurs prérogatives pédagogiques et scientifiques et leur imposer ses conceptions pédagogiques saugrenues, oubliant que la liberté vestimentaire s’arrête au seuil de la classe et même de l’université et que les enseignants sont les seuls maîtres à bord quand il s’agit de décider des modes de transmission de la connaissance et des codes vestimentaires assurant l’efficience pédagogique. Le communiqué syndical publié à cet effet dénonce « la poursuite par les étudiantes portant le niqàb et par le groupe qui les appuie à l’intérieur et à l’extérieur de la faculté, de la transgression du règlement intérieur », l’irruption violente dans les salles de classe, « la préméditation de la perturbation et de l’annulation de plusieurs cours » et la connivence des autorités actuelles avec partisans du niqàb. Au lieu d’imposer les règles de la transmission du savoir à visage découvert, éprouvées par plusieurs générations d’enseignants et d’élèves, le ministre encourage par ses déclarations la rébellion en ne protégeant pas le personnel de la faculté contre ses agresseurs, en soutenant ostensiblement et sans équivoque les frondeurs et en ne validant pas le règlement intérieur en vigueur dans toutes les facultés. Le communiqué recourt à un ton indigné et acerbe pour critiquer « la persistance de l’autorité de tutelle dans sa position irresponsable à l’égard des violations continuelles de l’espace universitaire, des atteintes à l’intégrité physique et à la dignité de ses différentes composantes et le refus de Monsieur le Ministre, en dépit de toutes les infractions commises, de publier un texte, imposant à tous ceux qui fréquentent l’établissement le dévoilement du visage dans l’enceinte universitaire et pendant toute la durée de leur présence en son sein » et « [ses] déclarations successives …….dans lesquelles il essaye de déformer la réalité en présentant les agresseurs comme des victimes et en considérant les enseignants comme des gens intransigeants, responsables de l’escalade, ignorant l’autorité de tutelle et complotant contre elle ».

Cette grève de deux heures sera mise à profit par les deux syndicats pour organiser une assemblée générale qui étudiera les mesures et les actions à entreprendre pour défendre l’université et pour « pousser le ministère à assumer ses responsabilités dans la protection de l’établissement contre les violations et dans la garantie de son fonctionnement normal par le biais du respect de son règlement intérieur et la garantie de la sécurité de son personnel ». Cette assemblée se tiendra sous l’égide de l’URT de la Manouba et de la FGESRS dont le secrétaire général a mis en garde, dans Assabah Al Ousboui du 6 février l’autorité de tutelle contre les risques de dégradation de la situation en raison du refus par le ministère d’appuyer la position des universitaires sur le port du niqàb. ».

Salah HORCHANI


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