Commentaire de HORCHANI Salah
sur Les Ramadan, père et fils, les États-Unis d'Amérique, le Qatar et les sursauts arabes


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HORCHANI Salah HORCHANI Salah 13 juin 2013 10:52

Maghreb : à quoi joue le Qatar ?

 

Maniant pression et gros chèques, le Qatar cherche à peser sur la politique régionale en surfant sur son soutien au Printemps arabe. Une omniprésence qui le rend de moins en moins populaire.

Début mars, le Nil a failli en tomber de son lit : le Qatar serait sur le point de racheter les pyramides et le canal de Suez, symboles égyptiens par excellence ! « Combien d’accusations infondées porte-t-on contre nous  ? » s’insurge Hamad Ibn Jassem, le puissant Premier ministre et ministre des Affaires étrangères du micro-État, contraint de démentir. Une anecdote révélatrice des fantasmes et des soupçons qu’éveille l’émirat gazier en Afrique du Nord. Hyperactif et hypermédiatisé, le Qatar, soutien inconditionnel des révolutions, s’est immiscé dans tous les rouages politiques, économiques et sociaux des pays concernés. Omniprésent, il se voit prêter toutes les intentions.

« Les Qataris apprennent la communication. Leur image leur a échappé », analyse Mohammed El Oifi, maître de conférences à Sciences-Po Paris et spécialiste de la chaîne qatarie Al-Jazira. L’assassinat, le 6 février, du Tunisien Chokri Belaïd, leader du Parti des patriotes démocrates unifié (PPDU) ? « Nous n’excluons pas l’implication d’un État de la monarchie du Golfe [sic] », suggère Mohamed Jmour, numéro deux du PPDU, le 2 avril. En Mauritanie, nombre de médias ont vu l’ombre de l’émirat derrière les tirs qui ont blessé le président Ould Abdelaziz en octobre 2012. « L’assassinat politique n’est pas dans la culture du Golfe », objecte le chercheur Naoufel Brahimi El Mili.

« Votre tour viendra ! »

Des soupçons d’ingérence inspirés par le comportement même de la monarchie multimilliardaire. Enivré par « ses » victoires révolutionnaires en Égypte, en Tunisie et en Libye, l’émir, Hamad Ibn Khalifa Al Thani, a pu s’y croire en terrain conquis. Rien n’est pourtant moins vrai. Dès novembre 2011, le représentant de la Libye révolutionnaire aux Nations unies, Abderrahmane Chalgham, tempêtait : « La Libye ne sera pas un émirat dirigé par le calife du Qatar ! » Et quand, à Tunis, les autorités déroulaient le tapis rouge au souverain, en janvier 2012, l’avenue Bourguiba grondait « Dégage ! ». Il en faut pourtant plus pour refroidir les ardeurs qataries. En témoignent les déclarations de l’émir, en visite officielle en Mauritanie en 2012, incitant Mohamed Ould Abdelaziz à se rapprocher du parti d’opposition islamiste Tawassul et brandissant la menace d’une révolution. Ou l’avertissement adressé à deux reprises - fin 2011 puis début 2013 - par Hamad Ibn Jassem aux autorités algériennes hermétiques à sa politique syrienne : « Votre tour viendra ! » Cette arrogance agace et, du Caire à Tunis, les drapeaux du Qatar flambent.

Tissés bien avant les événements de Sidi Bouzid, les réseaux de l’émirat lui ont permis de se réserver les meilleures places aux banquets des révolutions. Ami de Kaddafi, entretenant des relations cordiales avec Ben Ali et Moubarak, Hamad Ibn Khalifa Al Thani n’en accueillait pas moins leurs opposants. On pouvait ainsi croiser à Doha Youssef al-Qaradawi, le prédicateur star d’Al-Jazira, d’origine égyptienne ; le religieux libyen Ali Sallabi ; ou encore le gendre du Tunisien Rached Ghannouchi (leader du parti islamiste Ennahdha), Rafik Abdessalem, qui dirigeait le département des recherches au centre d’études d’Al-Jazira avant de rentrer en Tunisie et d’y occuper le poste de ministre des Affaires étrangères (de fin 2011 à mars 2013). Pas de quoi rassurer Alger et Nouakchott, capitales épargnées par le Printemps arabe : l’émir n’offre-t-il pas asile à l’Algérien Abassi Madani, cofondateur du Front islamique du salut (FIS), ainsi qu’à l’ancien président mauritanien Maaouiya Ould Taya, chassé du pouvoir par l’actuel chef de l’État ?

Car Sa Majesté n’accorde pas droit de cité aux seuls militants de l’islam politique. Des figures des régimes déchus ont également trouvé refuge
-  au moins un temps - sur ses terres, comme le Libyen Moussa Koussa, ancien chef des renseignements et ministre des Affaires étrangères du « Guide », ou le Tunisien Sakhr el-Materi, gendre de Ben Ali. Le paradoxe n’effraie pas l’émirat : ce paradis fiscal, où nombre de figures des régimes déchus ont placé leur fortune, a vu son procureur général, Ali Ibn Fetais al-Marri, chargé par les Nations unies de coordonner les enquêtes sur les fonds détournés par les dirigeants arabes renversés.

Paralyser

« Ceux qui considèrent le Qatar comme un État-nation traditionnel ne pourront que se tromper », explique Mohammed El Oifi. Petit et faiblement peuplé, l’émirat doit, pour exister, s’imposer à l’extérieur. Et le Printemps arabe lui en a apporté l’occasion sur un plateau : il a paralysé les derniers grands de la diplomatie régionale, Égypte et Syrie, alors que l’Irak déchiré n’a plus guère de poids et que l’Arabie saoudite reste empêtrée dans ses problèmes de succession. La Ligue arabe est ainsi tombée sous l’emprise qatarie. Les caisses de l’Égypte sont à sec ? L’émirat y déverse quelques milliards de dollars. La zone grise du Sahel, déstabilisée par la guerre libyenne, a vu débarquer ses convois humanitaires. Et, fin 2012, Hamad Ibn Khalifa Al Thani est allé se faire acclamer à Gaza, déserté par les chefs d’État arabes depuis 2007.

De quoi confirmer, pour certains, le soupçon d’un agenda impérialiste caché. C’est la thèse des journalistes Jacques-Marie Bourget et Nicolas Beau dans Le Vilain Petit Qatar : le Printemps arabe ne serait que l’aboutissement d’un grand projet panarabe à teinte islamiste fomenté par Doha. Plus mesuré, Naoufel Brahimi El Mili considère plutôt le petit émirat comme le bras agissant d’une Amérique qui a vu dans les révolutions l’occasion d’édifier le « Grand Moyen-Orient » démocratique que George W. Bush avait échoué à imposer. Mais pour Mohammed El Oifi, l’activisme qatari ne s’inscrit pas dans une stratégie préméditée : « La seule obsession de ce petit État coincé entre Iran et Arabie saoudite est d’agir pour exister et d’exister pour survivre. » Emportée par son instinct de survie, la machine qatarie ne finirait-elle pas par échapper au contrôle de ses pilotes ?

Source :

http://www.jeuneafrique.com/Articles/Dossier/JA2734p024-031.xml0/diplomatie-libye-egypte-mauritaniemaghreb-a-quoi-joue-le-qatar.html

 


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