Commentaire de Christian Labrune
sur Le sens de l'humain
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" L’humanisme, dans notre perspective, consiste donc en la manière dont nous considérons le Salut et sa possibilité. Le fait de juger le Salut impossible, qui revient donc à estimer la vie humaine sans valeur et à souhaiter ne jamais avoir été tiré du néant où nous retournerons un jour, est par conséquent un anti-humanisme.«
Rougalashinga,
La notion de salut s’articule implicitement, dans ce que vous écrivez, avec l’idée de la vie éternelle. Pour les religions, et comme dirait Rimbaud, »la vraie vie est ailleurs« , sauf qu’elle n’est pas sur un autre continent où faire s’échouer le Bateau ivre, mais dans la Jérusalem céleste. Pour l’athée que je suis, qui a déjà vu beaucoup de cadavres et qui passe une heure ou deux toutes les semaines à se promener au Père-Lachaise, il n’y a aucune raison d’imaginer qu’on puisse jamais sortir du trou et retrouver quelque chose qui ressemblerait à une conscience. Là encore, si on se souvient du principe d’Ockham, la vie éternelle est un concept parfaitement inutile, et plus une rêverie qu’un concept.
Quand vous écrivez »Le fait de juger le Salut
impossible, [...] revient donc à estimer la vie humaine sans valeur« je n’hésiterai pas à dire que vous vous fichez du monde. Parce qu’enfin, il faudrait que vous puissiez illustrer ça par quelques exemples pris dans la réalité. Il faudrait à tout le moins que vous puissiez prouver que les grands assassins, les tyrans sanguinaires, étaient tous des athées qui jugeaient sans valeur la vie humaine et en disposaient comme on fait de celle des bêtes qu’on mène à l’abattoir. Ca vaudrait peut-être pour un Staline, un Maozedong ou un Pol Pot. Et encore ! quand on est dans l’eschatologie communiste, on est enfoncé jusqu’au cou dans une forme de mysticisme. Mais si vous considérez nos actuels islamistes, lesquels induisent des adolescents un peu crédules à se faire sauter directement de l’autobus en paradis avec une ceinture explosive, on peut douter qu’ils aient une très haute idée de la vie humaine.
Vous voulez être philosophe. Est-ce que vous trouverez parmi les philosophes athées beaucoup de gens qui, en raison de leur athéisme, ont prétendu qu’on pouvait faire n’importe quoi de son semblable ? Il y a bien Sade, mais ce n’est pas un philosophe. Il y a bien Heidegger, le philosophe nazi, lequel définit l’homme »un être pour la mort« , mais il a commencé par une thèse sur Duns Scot, et il était resté très marqué par la théologie médiévale. Certes, Brentano, qui fut son maître, était catholique, mais la phénoménologie husserlienne qui dérive aussi de l’enseignement de Brentano est tout à fait résolument athée, même si c’est une obsession chez les intellectuels catholiques comme Marion de vouloir la récupérer. Or, vous ne me direz pas qu’un philosophe comme Husserl considère que la vie humaine puisse être sans valeur. Elle a la valeur qu’on lui donne, et la tâche de toute grande philosophie, c’est précisément la donation de valeur, c’est le développement de la Connaissance, même si la tâche promet d’être infinie et toujours à recommencer.
Bayle, à la charnière des XVIIe et XVIIIe siècle, dans une société qui ne pouvait encore se définir que dans le cadre de la pensée chrétienne, avait déjà examiné la question de savoir si une société d’athées était concevable. Et il répondait que les vices et les vertus n’y seraient ni mieux ni plus mal répartis, qu’il suffirait pour que ça marche d’y punir les vices et d’y récompenser les comportements altruistes. La France, laïque dès 1905, c’est-à-dire définie hors de toute perspective transcendante, n’est peut-être pas meilleure que la France de Louis XIV, mais elle n’est pas pire non plus. En tout cas, l’esclavage y est interdit, l’état dispose moins commodément des citoyens dans une république qu’il ne disposait des »sujets" à l’époque classique. La peine de mort a disparu. La vie humaine semble donc avoir aujourd’hui, du moins dans les principes, plus de VALEUR que jamais, même si cette valeur n’y est aucunement garantie par je ne sais quel dieu.