Commentaire de Analis
sur Après Kadhafi, Saddam... Assad !


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Analis 1er septembre 2015 11:24

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Geopolitika : Est-ce que le général Sissi et son armée résistent avec succès en Égypte et est-ce que la coalition britannique-US-qatari, qui en fait soutient les frères Musulmans, a subi une défaite dans la vallée du Nil ?

Thierry Meyssan : Le projet visant à placer au pouvoir, partout dans le monde arabe, la société secrète des Frères musulmans a échoué. Ils ont perdu l’Égypte et la Tunisie, ne parviennent pas à s’imposer en Libye, ont été balayés en Syrie et ont échoué à perpétrer un coup d’État en Arabie saoudite.

Au départ soutenus par le Qatar, ils le sont aujourd’hui par la Turquie. Le parcours de Khaled Mechaad est à ce sujet tout un symbole. Ce leader du Hamas incarnait la Résistance à Israël après que Tel-Aviv ait corrompu des dirigeants du Fateh et soit parvenu à ce qu’ils empoisonnent Yasser Arafat. Mechaal était réfugié en Syrie et y disposait d’un soutien sans faille. En 2012, considérant que le vent tournait et que les Frères allait l’emporter avec l’aide états-unienne, il a quitté Damas pour s’installer chez un des ennemis de la Syrie, le Qatar. Il a fait du Hamas la branche palestinienne des Frères et s’est allié à la fois à Al-Qaïda et aux Israéliens pour prendre le camp palestinien de Yarmouk, dans la banlieue de Damas, et assassiner les dirigeants palestiniens des autres factions dans le camp. Il a perdu. Aujourd’hui, il passe l’essentiel de son temps en Turquie et tente de se faire oublier. Sa trahison est un drame pour les Palestiniens.

Le général Abdel Fattah al-Sissi n’est pas libre. Son pays est économiquement ruiné et, pour nourrir sa population, il a besoin de l’aide saoudienne. Il est donc contraint de participer à la guerre au Yémen dans un camp qui n’est pas le sien. Et il ne peut venir aider la Syrie.

Geopolitika : En décembre vous avez annoncé la chute du président turque omnipotent, Tayyip Erdogan, en publiant des faits choquants de sa biographie… Quelle est la relation entre l’AKP turc et les Frères musulmans ? Que s’est-il vraiment passé après le mystérieux attentat contre le prince saoudien, Bandar ben Sultan ?

Thierry Meyssan : Recep Tayyip Erdoğan n’est pas un politicien, mais un ex-petit délinquant qui a réussi en politique. Il n’a pas de stratégie, juste un rêve —celui de créer un nouvel empire turc— et un grand sens de l’opportunité.

Après avoir laissé l’ambassade états-unienne gouverner son pays durant des années, il s’est laissé embarquer dans la guerre contre la Libye, bien que ce pays ait été un important partenaire économique de la Turquie. Puis, il a profité de la disparition du prince saoudien Bandar ben Sultan pour s’approprier les réseaux jihadistes internationaux. Bandar a été hospitalisé durant plus d’un an, suite à ses blessures après l’attentat en rétorsion de l’assassinat des membres du Conseil national syrien de sécurité. De même, il a profité de l’abdication de l’émir de Qatar pour récupérer la supervision des Frères musulmans. De sorte qu’il est aujourd’hui à la fois le parrain de la Confrérie secrète et le véritable chef de l’Émirat islamique.

Enivré par son succès, il s’est emparé du gazoduc Turkish Stream lorsque Vladimir Poutine est venu lui proposer de le construire, en décembre dernier. C’est évidemment une grave erreur car, ce faisant, il est devenu le partenaire économique privilégié de la Russie tout en étant, via l’Otan, un partenaire militaire des États-Unis. C’est pourquoi j’ai immédiatement pronostiqué sa défaite. Effectivement, l’ambassade des États-Unis a réorganisé son opposition et il a perdu les élections. Soit il fait amende honorable —ce qui va lui coûter cher—, soit il devra partir [2].

Geopolitika : Que pensez-vous de la situation en Ukraine, qui est devenue la raison pour une confrontation de plus en plus importante entre la Russie et l’Occident (les États-Unis et l’UE) ? Que pensez-vous de la politique de la Russie, sur le plan national et international, envers le monde, surtout concernant les sanctions que l’Occident a imposées à Moscou ? Beaucoup pensent que l’Ukraine est la vengeance des États Unis contre la Russie à propos de la Syrie.

Thierry Meyssan : Les États-Unis n’ont que faire de l’Ukraine, un pays ruiné et corrompu. Ils n’ont jamais souhaité qu’elle intègre l’Union européenne. Ils ont organisé la mise en scène de la place Maïdan non pas pour placer Petro Poroshenko au pouvoir, mais pour détruire l’État. Ce qu’ils sont parvenus à faire. La situation actuelle au Donbass et à Donetsk leur convient parfaitement.

La destruction de l’État ukrainien, comme celle de l’État irakien, correspond à leur grande stratégie : conserver leur supériorité mondiale en empêchant l’Union européenne, la Russie et la Chine de les concurrencer. Pour ce faire, premièrement, ils contrôlent les «  espaces communs » —les océans, l’air, et le cyberespace—, et, deuxièmement, ils coupent les possibles routes continentales. Détruire l’État irakien, c’est couper la « route de la soie » reliant la Chine à la Méditerranée. Détruire l’État ukrainien, c’est couper le projet de corridor Pékin-Berlin pour lequel la Chine vient de créer la gigantesque Banque asiatique d’investissement pour les infrastructures (AIIB).

Certes, l’unification de la Crimée et de la Russie est un mauvais coup pour Washington, mais il sera toujours possible de fermer le Bosphore et les Dardanelles. Cela ne change rien à l’échelle globale.

Geopolitika : La Grande-Bretagne et d’autres pays occidentaux ont essayé de faire passer à l’ONU une résolution sur Srebrenica, qui est directement dirigée contre la Serbie et les Serbes de Bosnie et d’Herzégovine, ce que la Russie a empêché par un veto. Que pensez-vous de la situation dans les Balkans, surtout en Macédoine, et pourquoi est-ce que la Serbie est toujours la cible de pressions sans fin, même si tous les gouvernements de Belgrade, après le coup d’État de 2000 et la suppression de Slobodan Milošević, ont énormément cédé aux demandes de l’Occident ?

Thierry Meyssan : Les Occidentaux sont spécialistes dans la réécriture de l’Histoire. Le massacre de Srebrenica est sans aucun doute un génocide, mais ce ne sont pas les Serbes qui ont débuté le nettoyage ethnique en Yougoslavie. Dans un monde normal, nous devrions condamner les individus croates, bosniaques, serbes, qui ont commis des génocides. Encore devrions-nous leur reconnaître, à tous, des circonstances atténuantes. Car la folie qui s’est emparée de la Yougoslavie lui a été inoculée par les États-Unis. À l’époque, le département de la Défense considérait ce pays comme un « laboratoire » où il pourrait expérimenter la possibilité de créer ex nihilo une guerre civile. La résolution qui a échoué au Conseil de sécurité montre, qu’une fois de plus, les Occidentaux ne veulent condamner que les Serbes, parce qu’ils sont orthodoxes et culturellement proches de la Russie.

Quoi qu’il en soit, ceci n’est pas la priorité de Washington. Aujourd’hui ce qui fait agir les États-Unis dans les Balkans, ce sont les projets russes de gazoduc. C’est pour s’y opposer que le général David Petraeus a investi dans la presse serbe, que la présidente croate Kolinda Grabar-Kitarović soutient l’indépendance de la Voïvodine et que la CIA a tenté d’organiser un coup d’État en Macédoine.

En outre, les Balkans sont toujours la seule base terroriste en Europe. Au début de la guerre contre la Syrie, la Turquie a organisé au Kosovo la formation de jihadistes d’Al-Qaïda. Actuellement, Daesh dispose de camps d’entrainement en Bosnie, à Gornja Maoča, Ošve et Dubnica.

Geopolitika : Que pensez-vous de la présence au Proche-Orient de votre patrie, la France, dont la politique, au début de la guerre en Syrie, s’est beaucoup distinguée dans le soutien aux « rebelles » ? Est-ce que la politique des affaires extérieures de la France concernant le Proche-Orient et l’Europe a commencé à s’améliorer, à avoir sa propre identité et à se rapprocher de la tradition diplomatique qu’avait dans l’histoire la République française ?

Thierry Meyssan : Malheureusement, la politique de Nicolas Sarkozy et de François Hollande répond aux intérêts d’un petit clan capitaliste français qui reste dans l’ombre. Ce sont ces gens qui ont poussé aux interventions militaires en Côte d’Ivoire, en Libye, en Syrie, au Mali et en Centrafrique. Les Français constatent que les deux présidents ont conduit exactement la même politique, que ce soit à l’extérieur ou à l’intérieur, pour la Défense ou pour l’Économie. Mais ils n’ont toujours pas compris qui tirait les ficelles.

Il existe pourtant des hauts-fonctionnaires, comme le secrétaire général de l’Élysée Jean-Pierre Jouyet, ou comme le chef d’état-major personnel du président, le général Benoît Puga, qui sont restés aux commandes malgré le vote populaire et le passage des « Républicains » aux «  Socialistes ». De même, les deux présidents ont dans leur cercle le plus intime des amis communs, comme le comte Henri de Castries, président des assurances AXA et du Groupe de Bilderberg.

Ce sont ces gens, et non pas les partis politiques, qui font la politique de la France contre les Français. Au XIXème siècle, nous avions connu une situation comparable avec un groupuscule de grands patrons, d’hommes politiques et de militaires, mêlant personnalités de droite et de gauche, qui se faisait appeler « le parti de la colonisation ». Après avoir pressuré la classe ouvrière, ils sont partis à l’assaut de l’Afrique du Nord, de la Chine… et de la Syrie.

Geopolitika : Enfin, Monsieur Meyssan, on ne peut pas résister, en sachant les connaissances et la perspicacité que vous possédez, à vous demander ce que vous pensez du référendum en Grèce et le destin des négociations entre Athènes et Bruxelles sur les finances de la dette grecque.

Thierry Meyssan : Les Grecs n’avaient pas le choix. Les Traités les empêchaient de quitter l’euro sans quitter l’Union européenne, et les États-Unis leur interdisaient de quitter cette dernière. Chacun se souvient du coup d’État de 1967 et de celui de 1974 à Chypre.

Le gouvernement Tsípras a donc d’abord obtenu une très large majorité pour rejeter le plan de la Troïka, puis a accepté ce même plan en échange d’une aide de 83 milliards d’euros négociée pour lui par les États-Unis.

L’opinion publique n’y comprends rien, mais Aléxis Tsípras ne pouvait pas faire mieux. La Grèce a été écrasée par ses partenaires européens qui ont tellement peur de se retrouver libres —je veux dire de se retrouver sans le carcan de l’Union européenne— qu’ils acceptent tout et n’importe quoi de l’Allemagne. En l’occurrence, le gouvernement Merkel défend les principes du capitalisme global actuel. Il exploite de manière insensée sa classe ouvrière, dont le pouvoir d’achat a reculé, et agit maintenant sans se préoccuper des conséquences humaines pour la Grèce.

Geopolitika : Merci beaucoup pour cet entretien et votre temps.

Slobodan Eric

Thierry Meyssan

Traduction

Svetlana Maksovic

Source

Geopolitika (Serbie)

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Il ne faut pas vraiment s’étonner du caractère apparemment contradictoire de certains agissements d’Obama ces derniers mois. Outre l’existence de sérieuses divergences entre certains éléments du Pentagone et lui, le fait qu’il continuait d’apporter un appui indirect à Daech tout en négociant un accord avec l’Iran au détriment de l’Arabie Séoudite (avec laquelle les relations sont au plus bas, en dépit d’une coopération minimale sur le Yémen), alors que logiquement cela aurait du se trahir par un abandon complet de l’EI, s’expliquait sans doute par une volonté cynique de conserver un moyen de pression sur ces deux parties tant qu’il n’avait pas obtenu cet accord. La France, de son côté, ne fait que se ridiculiser un peu plus.


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