Commentaire de scylax
sur Qui est Charlie ? d'Emmanuel Todd


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scylax 1er octobre 2015 11:15

Interrogeons-nous sur le phénomène de l’ainsi nommée « Dissidence » à la française, portée par une fraction grandissante des bobos. Il existe deux types bien caractérisés de Bobos dissidents à ne pas confondre, même si l’on observe des convergences de plus en plus évidentes.

 

Le concept de bobos (bourgeois-bohèmes) a été popularisé par l’essayiste américain David Brooks dans un livre paru en 2000, « Bobos au Paradis ». Philippe Muray parlait d’Homo festivus : « Festivus festivus existe, je l’ai rencontré, vous aussi. On les a appelés élites urbaines. Ou bourgeois-bohèmes ». (Festivus festivus, 2005). En fait, l’expression « bourgeois-bohème » a été créée par Claire Bretécher dans le tome 3 de la bande dessinée « Les Frustrés », publié en 1978. Contrairement à l’usage polémique qui en est fait, le terme ne désigne nullement une idéologie politique univoque qualifiée de « socio-libérale » (?) et intégrée au « système ». Il s’agit en fait d’un statut social regroupant deux sociotypes très différents professionnellement et politiquement. Ils sont néanmoins très difficiles à différencier au premier abord, jusque dans l’accoutrement. A la terrasse d’un café, on repère le bobo. Est-il du genre cadre parvenu ou du genre socio-éducatif (lire ci-dessous) ? Et puis est-il « intégré » ou « dissident » ? Nous allons nous borner à la sphère dissidente qui affecte les deux sociotypes.

 

1) Le bobo dissident version socio-éducatif se caractérise par une aisance matérielle médiocre et une forte dose d’individualisme, mais aussi par un souci éthique affiché. Il exerce dans les professions sociales et enseignantes, ou dans des métiers créatifs (chercheurs, artistes). Régis Debray les a caractérisés comme « basse intelligentsia » en référence au bas-clergé d’Ancien Régime, sorte de semi-intellectuels en opposition avec les authentiques intellectuels de haut vol. Les bobos dissidents socio-éducatifs constituent une partie de la population pour qui le capital culturel (assez élevé) à plus d’importance que le capital économique (médiocre). Raisonnablement diplômé, ils se vivent comme injustement traités (et rémunérés) en comparaison des cadres industriels et financiers traditionnels, s’estiment supérieurs moralement car désintéressés, et manifestent un syndrome obsidional de « raté ». Leur principale force est d’être en phase avec la société telle qu’elle évolue spontanément, avec les rapports sociaux fondés sur la communication. Ils sont paradoxalement à la fois hédonistes et altruistes. Ils sont de fervents adeptes de l’école publique, de l’audiovisuel public, des transports publics, des hôpitaux publics, du théâtre public. A Paris, il vont au cinéma voir les films français (psychologisants). Dans les transports en commun, ils lisent des Prix Goncourt écrits avec compassion pour ceux qui souffrent, ou des romans d’autofiction dépeignant une femme libérée se masturbant compulsivement. Ils sont très concernés par les menaces de la mondialisation, le réchauffement climatique global, la brevetabilité du vivant, ou les dangers des OGM. Ils signent des pétitions contre les mauvais traitements infligées aux animaux, aux Gazaouis, aux femmes afghanes et contre les interventions américaines où qu’elles soient. Ils habitent un appartement exigu à Paris ou en proche banlieue. Ils adorent les journées sans voiture, la fête de la musique et la Gay-Pride. Ils voudraient vivre dans un monde plus festif où l’individu est à la fois déchaîné (au sens étymologique) et pris en charge par la collectivité, car ils détestent l’entreprise privée par principe.

 

Le bobo dissident socio-éducatif est bien entendu affilié au Front de Gauche, au NPA ou chez les Verts, plus rarement chez Soral (mais ça progresse, en même temps que l’antijudaïsme). Il méprise les « beaufs » sans les connaître vraiment. C’est un peu en touriste qu’il prône la mixité ethnique, car il se garde bien de la vivre au quotidien. Ses enfants sont scolarisés dans les meilleurs établissements publics des métropoles, où l’on pratique au moyen de tuyaux appropriés, la préférence nationale, voire la préférence de classe, tout en étant en paroles contre la sélection scolaire. Il est foncièrement social-libertaire, et affectionne les idées provocatrices dites « progressistes ». Il est contre les prisons, pour les théories du « genre », ouvert à toutes les expériences pourvu qu’elles ne remettent pas en cause son confort. A priori hostile aux frontières, il en érige par ses propres moyens pour lui-même : il peut habiter dans un loft avec plusieurs codes d’entrée, tout en continuant à tenir un discours en faveur des bienfaits de l’immigration. 

 



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