Commentaire de Cowboydan
sur Logiciel libre : la grande illusion


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Cowboydan (---.---.235.52) 19 avril 2006 13:26

L’article que vous avez publié est intéressant dans la mesure où il cherche à remettre en question les logiciels libres qui font l’objet d’un engouement très important à l’heure actuelle. Cependant, je suis très déçu par la qualité des raisonnements et arguments avancés. Certains points ressemblent à s’y méprendre à l’avis d’une personne désabusée qui, faute d’être parvenue à trouver son bonheur dans les logiciels libres, se sent aigrie à leur égard.

« Sauf à prendre appui sur des convictions religieuses et défendre des valeurs idéales telles que la charité et le don de soi, personne de sensé ne peut croire que la « communauté des développeurs du logiciel libre » soit une association philanthropique dont le seul but serait le plaisir de développer gratuitement des logiciels pour « la beauté du geste » et le « bonheur de l’humanité » »

En prenant votre raisonnement par analogie, il serait donc parfaitement utopique de développer des associations à but caritatif ou des associations à vocation culturelle, sociale, etc. ? On dit que l’homme est un loup pour l’homme. A mes yeux le principe même de la vie en société est de lutter contre les dérives de cette loi du plus fort en y opposant la solidarité, le respect d’autrui, etc. Nous vivons en société civilisée et des gestes peuvent être désintéressés. Si toutes les actions étaient dictées par la recherche de satisfaction d’un intérêt personnel que serait le monde dans lequel nous vivons ? Les logiciels libres sont loin d’être des équivalents de systèmes de solidarité sociale que sont les associations caritatives ou socio-culturelles mais sont mûs par la même volonté d’agir de manière économiquement désintéressée.

Le but pour un développeur de contribuer à un projet de logiciel libre n’est pas obligatoirement de trouver un emploi sur la simple foi de sa contribution à un projet. Car vous semblez oublier que bon nombre de logiciels libres n’auraient pas leur place dans la sphère économique (ils ne seraient pas viables) et sont développés dans une toute autre vision. Que dire par exemple du développeur qui va mettre au point un simple script pratique et utilitaire (une galerie photo sur le web par exemple) et qui place cet outil en téléchargement car il pense qu’il peut être utile à d’autres, afin qu’ils évitent de perdre leur temps à (re)développer quelque chose qui existe déjà ? Il s’agit parfois d’un simple mouvement de mutualisation des développements selon les principes du logiciels libres.

« Bref, soyons clairs et surtout réalistes : ni vous ni moi ne pouvons mettre le nez dans des millions de lignes de code en nous disant « moi aussi je vais contribuer » ! »

Ceci me parait effectivement tout à fait vrai et même une vérité de La Palice. Pouvez vous ouvrir le capot de votre voiture et tout y réparer sans l’intervention d’un spécialiste en mécanique ? Pouvez vous réparer tout le système électrique ou d’évacuation d’eau de votre logement sans faire appel à un spécialiste (respectivement électricien et plombier) ? Pourquoi en matière numérique il en irait différemment ? Pourquoi vous, en tant qu’utilisateur d’un logiciel vous seriez en mesure de le modifier ? Ce raisonnement qui consiste à penser qu’à partir du moment ou un code source est disponible on peut nécessairement le modifier sans connaissances préalables est d’une prétention assez extraordinaire !

« Et comme le principe du développement de l’open source implique que l’on ne puisse tirer aucun revenu de sa prestation, il faut fondamentalement avoir une super motivation (et ne pas avoir besoin de travailler pour vivre)... »

Il suffit parfois simplement d’avoir la nécessité et le besoin d’utiliser un logiciel libre pour se plonger dedans. Lorsque l’on n’a pas les ressources nécessaires pour développer quelque chose de A à Z, il est moins couteux de se baser sur quelque chose d’existant et d’y apporter des modifications. Par exemple en matière de création de site web, il est plus simple et moins couteux de se baser sur un système de publication de contenus (CMS) existant et de l’adapter que de partir d’une feuille blanche et de tout développer de zéro. Il s’agit de bénéficier des développements d’autres personnes pour construire quelque chose.

Quand vous achetez une boite de Légo à vos enfants, vous ne leur demandez pas de concevoir des briques pour pouvoir construire leur chateau fort mais vous leur conseillez d’utiliser les briques à leur disposition pour construire le chateau fort. Et en utilisant leur imagination et ces briques, ils peuvent même construire autre chose qu’un chateau fort, en beaucoup moins de temps que s’ils devaient commencer par concevoir des briques. C’est une question de bon sens ...

« Mais la grande majorité des développeurs du logiciel libre sont des professionnels, qui touchent un salaire. »

Vous avez des statistiques à ce sujet ?

Les logiciels libres sont, pour partie, effectivement supportés par de grandes entreprises pour aider leur développement et le rendre plus rapide. Mais les grandes entreprises ne sont pas nécessairement derrière chaque logiciel libre, de la même façon que tous les logiciels libres ne visent pas à défaire le monopole de Microsoft. Quant aux « logiciels Internet » (dans lesquels vous mettez deux applications qui n’ont que peu de choses à voir avec Internet - Linux étant un système d’exploitation et SendMail un logiciel de gestion de l’envoi d’e-mail), vous semblez occulter que certains sont issus du monde universitaire. C’est notamment le cas pour le serveur web Apache. L’objectif de ce projet de logiciel libre n’est donc pas dicté par une recherche d’intérêt économique, pas plus qu’il n’est dirigé par des entreprises privées ...

« Échanger des fichiers implique aussi que des formats universels non propriétaires puissent être utilisés ; en plus du logiciel, il faut donc concevoir des passerelles, des modules de conversion, afin que tel logiciel puisse ouvrir le fichier produit par tel autre. Qui va les développer ? »

Eh bien il existe de telles plateformes qui sont gratuites (mais pas nécessairement libres) comme SourceForge par exemple, et il en existe d’autres qui sont ...libres !

« logiciel gratuit ne génère pas de profit. Cela a pour conséquence une dichotomie : il y a bien une version gratuite en open source, utile mais peu utilisable. Si vous voulez une version utilisable et confortable, il faudra payer. Et il faudra payer d’autant plus cher qu’on souhaitera des fonctionnalités précises. Et du coup, on saute du logiciel libre au logiciel sur mesure, qui est ce qu’il y a de plus cher ! »

Combien de logiciels libres fonctionnent sur ce mode ? Très peu. Seuls les logiciels libres d’une grande envergure peuvent parvenir à ce mode de fonctionnement (une version libre et une version payante) mais il y a une séparation nette entre l’organisme qui dirige le projet de logiciel libre (généralement une fondation) et l’écosystème d’entreprises qui proposent des services payants à partir de ce logiciel libre. Ces entreprises sont des Sociétés de Service en Logiciel Libre (SSLL) et constituent un secteur économique au même titre que les SSII. Ce procédé qui consiste à faire payer les développements spécifiques n’est cependant pas d’une inpetie totale. Lorsque vous avez besoin d’un service très précis et pointu, qui ne concerne que vous, pourquoi une communauté devrait en assumer le cout et le temps de développement ? Si vous avez le besoin spécifique de modifier une pièce de votre appartement pour en changer la fonction, est-ce au syndic de votre immeuble de payer ou à vous ? Qui aura l’utilité finale de cette pièce à part vous ? Il me parait utile de distinguer la recherche de l’intérêt général de la recherche de l’intérêt privé, et ceci est également vrai en matière de logiciel libre. Le déroulement de ces projets est démocratique : les fonctionnalités les plus demandées et les plus utiles sont développées par la communauté. Les fonctionnalités qui ne sont utiles qu’à une infime minorité ou à une seule personne sont à développer par ailleurs (soit par un développeur bénévole, soit par une entreprise).

Cela fait peu de temps que je consulte Agora Vox et j’avoue qu’à la lecture de cet article je commence à penser que si le concept de départ et l’outil sont intéressants, ils ne sont rien sans un minimum de sérieux et de responsabilité de la part de ses utilisateurs. Tout le monde ne devient pas journaliste du jour au lendemain ...


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