Commentaire de Renaud Bouchard
sur La France et son mirliflore
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Aux Lecteurs.
Intéressante analyse de G. Brustier
Source : http://www.liberation.fr/debats/2017/05/08/repreneur-inattendu-ou-syndic-de-faillite-de-la-ve-republique_1568162?xtor=EPR-450206&utm_source=newsletter&utm_medium=email&utm_campaign=quot
E. Macron. Repreneur inattendu ou syndic de faillite de la Ve République ?
Elu à 39 ans président de la République, Emmanuel Macron a pris soin d’afficher sa liberté par rapport aux us et coutumes de la vie politique de la Ve République. N’ayant jamais été élu auparavant, ayant créé son mouvement politique voici un an seulement, démissionnaire à grand spectacle d’un gouvernement où l’avait propulsé un président qu’il s’apprêtait à contraindre à l’abdication, le destin d’Emmanuel Macron tient selon ses thuriféraires de la chanson de geste dédiée à révolutionner notre République, mais présente toutes les caractéristiques d’une révolution de palais. Cette croisade démocratique au service des Français tient de la révolution par en haut, de la révolution passive.
Du quinquennat à venir, on ne peut prévoir que l’imprévisibilité. La crise de régime s’aggrave et fragilise un peu plus la Ve République. Emmanuel Macron apparaîtra-t-il in fine comme le repreneur de cette République affaiblie mais restructurée par ses soins ou bien comme l’impuissant syndic de faillite d’un régime politique dont le système partisan vient d’imploser sous nos yeux ?
Emmanuel Macron comme dernière chance de la Ve République, c’est évidemment loin de la révolution démocratique annoncée. De dynamiteur affiché d’un système politique grippé, en deviendrait-il en fait le vigilant conservateur ? Emmanuel Macron n’a, en fait, pas défié le « système » politique. Il est, au contraire, la parfaite incarnation des élites techniciennes de la Ve République. Après l’échec des quinquennats de Nicolas Sarkozy et de François Hollande, Emmanuel Macron remplit une fonction : préserver les fondamentaux du régime de 1958. Les soutiens d’Emmanuel Macron rappellent d’ailleurs les très riches heures des différentes familles politiques ayant gouverné depuis des décennies. Giscardiens, chiraquiens, mitterrandiens, rocardiens, deloristes, hollandais, un ancien dirigeant du PCF, un ancien leader de Mai 68 et un ancien d’Occident, militant passionné d’un libéralisme total. Venus ainsi du PS, du RPR, de l’UDF, du PCF, ces soutiens du nouveau président de la République correspondent aux sédimentations successives des élites du pouvoir de la Ve République. Solidaires des grands choix stratégiques opérés depuis le septennat Giscard, tant en ce qui concerne l’intégration européenne que la place de la France dans le concert des nations ou la déréglementation des marchés financiers, ils défendent un héritage transpartisan « et de droite et de gauche », leur œuvre, leur legs.
Un régime politique ne se résume pas à sa Constitution. Il organise les rapports entre gouvernants et gouvernés, détermine comment ses élites sont sélectionnées, participe d’une vision du monde et d’une certaine définition des rapports sociaux. L’actuelle crise de la représentation est une des conséquences de la crise de 2008, dont on retrouve d’autres exemples en Espagne, en Italie ou même en Autriche. Emmanuel Macron, pour sauver le régime, l’ampute de son antique système partisan davantage gangrené par l’impuissance politique que par les affaires. Que toutes les têtes changent pour que rien ne change.
Pour réussir cette opération, il faut s’appuyer sur une coalition sociale. Le groupe social aisé et diplômé qui forme le cœur de la coalition macronienne a pour objectif de demeurer le groupe social dirigeant et dominant en France. Autour de ce groupe social s’agglomèrent d’autres groupes, généralement porteurs d’une vision optimiste de l’avenir du pays, généralement plus répandue dans l’Ouest de la France que dans le Nord ou le Nord-Est, durement frappés en trois décennies par la désindustrialisation, dans les métropoles que dans le périurbain. Electorat plutôt diplômé, très favorable au traité de Maastricht en 1992 ou au projet de Constitution européenne en 2005, ses bastions électoraux se situent au cœur des métropoles, où la crise a installé un conflit social désormais traduit en termes politiques et électoraux.
Emmanuel Macron doit aussi être l’artisan d’une politique d’adaptation de notre pays aux standards du capitalisme en devenir. Pour cela, il doit susciter - point essentiel - le consentement des Français à ce projet. A l’heure des réseaux sociaux et des flux d’information continue, Emmanuel Macron incarne l’intellectuel organique du nouveau capitalisme directement porté à la tête d’un Etat pour exercer cette fonction.
Le quinquennat d’Emmanuel Macron s’annonce incertain. Substituer un personnel politique nouveau à un autre, favoriser des majorités d’idées au cœur d’une crise qui déstructure les clivages autant qu’elle affaiblit les identités politiques anciennes est un pari audacieux. La crise de régime rend la situation politique durablement magmatique. Les campagnes de Jean-Luc Mélenchon et de Benoît Hamon ont, en outre, révélé l’existence d’un bloc électoral alliant les diplômés précarisés des métropoles et des classes populaires sur le chemin du retour à gauche. La crise de régime va continuer de propager ses effets. Une course contre la montre est désormais engagée. Le président Macron, soutenu par une France aisée et diplômée, optimiste en raison de la situation de certaines régions (Ouest), favorable à l’intégration européenne, réussira-t-il à susciter le consentement et l’adhésion de groupes sociaux de plus en plus contestataires et qui tendent à faire défection par rapport au régime ?