Commentaire de Christian Labrune
sur Nommer la perversion dans une société néolibérale déshumanisée


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Christian Labrune Christian Labrune 8 janvier 2018 23:18

@Philippe Vergnes
Très intéressant, votre article. J’avais eu un peu de mal, dans les précédents, avec la notion de deuil, mais là je vous suis très bien, et j’étais déjà en train de penser au totalitarisme lorsque j’ai vu apparaître cette notion que les descriptions du début appelaient nécessairement.

Il ne fait aucun doute qu’en France, même si on ne risque pas d’être réveillé la nuit pour se retrouver dans quelque Lubianka, on est bien dans une sorte de totalitarisme vague où l’individu, parce qu’il ne veut pas se sentir rejeté par la collectivité, en adopte d’une manière de plus en plus mimétique les modes de pensée et croit très vite et très sincèrement la même chose que le groupe où il s’est greffé, Aucune nécessité de la distance critique puisque ce que l’on recherche, c’est précisément son contraire : une heureuse fusion dans le groupe, ce que les Allemands appellent Gemütlickeit, et qui doit ressembler un peu à la relation du bébé qui vient de naître avec sa mère.

Cette forme de régression est fort éloignée d’un idéal du sujet pensant libre et autonome que la philosophie a toujours rêvé, et malgré une certaine vulgarisation actuelle de la philosophie et ces émissions « pour les nuls » que je ne supporte plus d’entendre le matin sur France Culture, on n’a jamais été aussi éloigné qu’aujourd’hui des exigences minimales d’une pensée libre et rigoureuse. A la fin, vous évoquez Kant. Eh bien oui, après l’état des choses que vous venez de décrire, cette référence s’impose parce qu’on est là, indiscutablement, à l’opposé de la perversion, mais je suppose que n’importe quel pervers narcissique saura quand même faire très bien ses choux gras de la morale kantienne, la porter même au pinacle, l’utiliser habilement comme un dispositif pratique destiné à contraindre l’autre et dont on peut aisément s’affranchir soi-même.

Dans les états totalitaires, il n’y a qu’un seul modèle à imiter. Dans nos sociétés, ils sont légion. Par exemple, vous évoquez les lanceurs d’alertes, mais je ne suis pas aussi sûr que vous qu’ils soient tous des remèdes à la corruption générale. Je serais même plutôt tenté de penser que beaucoup incarnent aussi à la perfection des comportements pervers extrêmement contagieux puisque chacun d’eux, dans un monde voué au mensonge et à la trahison, s’y présente un peu comme le détenteur d’une vérité vraie qui ne tardera pas à devenir une Pravda que nombre de croyants ne tarderont pas à vouloir suivre aveuglément.


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