Commentaire de Vivre est un village
sur Le virus de la prise de conscience ?


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Vivre est un village Vivre est un village 14 mars 2020 09:44

@Vivre est un village

- La mutation du citoyen en guerrier

[...]C’est que les peurs collectives se développent par la force du discours politique et médiatique bien avant d’être fondées sur des faits. Ainsi, le matraquage d’un discours prétendu « économiquement correct » insinue dans nos esprits une logique de guerre économique toujours plus redoutable qu’elle n’est en réalité. Des politiques, des patrons, des gourous, des journalistes économiques se relayent pour fustiger en permanence l’archaïsme de la protection sociale, la crispation sur les acquis sociaux, la peur de la mobilité, les charges fiscales et sociales, la réduction du temps de travail, l’indemnisation trop généreuse du chômage, etc. On nous rabâche que nos défenses passées ont déjà été enfoncées par les assauts de la compétition mondiale ; la sécurité est obsolète, c’est la combativité qui est moderne, et l’attaque constituerait désormais la seule défense possible. On fait l’éloge des « risquophiles » et l’on dénigre les « risquophobes », médiocres ringards ou parasites vivant « aux crochets de la société ». Nous sommes dans un monde sans filet, où l’avenir de chacun est incertain, sauf sur un point : il faudra se battre. Voilà le message ![...](p129)

[...]Dans une société où il a sa place, un individu peut au minimum espérer une vie décente sans combat ; sur un marché, il se sent marchandise qui devra sa survie au fait d’être plus fort que les autres ou l’esclave des plus forts. Dans une société, on vit ; sur un marché, on se bat. Dans une société, la personne se définit par ses liens ; sur un marché, l’individu se définit par ses talents, ses pouvoirs, son capital- bref, tout ce qui détermine sa compétitivité. Dans une société, on apprécie quelqu’un ; sur un marché, on le mesure. Dans une société, l’important, c’est d’aimer ; sur un marché, l’important, c’est d’être fort. La culture du marché est une culture de combattants engagés dans une drôle de guerre, sans armées constituées et solidaires, où notre ennemi se cache souvent dans la même tranchée que nous, où nous avons tous au fond le même ennemi intime : la peur de l’autre ; une peur qui paradoxalement nous pousse à nous affronter au lieu de nous unir pour avoir moins peur. Le règne du marché, c’est avant tout la victoire de la peur.[...](p131)

[...]On ne peut à la fois traiter les gens comme des marchandises, les inciter à se traiter les uns les autres comme des produits rivaux et vouloir qu’ils se comportent en citoyens.[...] Une société qui dit à ses enfants que la vie n’est pas une entreprise collective mais une compétition individuelle permanente récolte ce qu’elle a semé : des jeunes qui se battent les uns contre les autres.[...](p131)

[...]L‘anthropologie et l’ethnologie nous enseignent en effet que les échanges servent à fonder et entretenir des liens, et même que c’est là leur fonction première, mais uniquement dans les sociétés où l’économie est régie par les conventions sociales .[...](p132)

- du « doux commerce » à la guerre incivile

[...]Le contresens de l’idéologie du « doux commerce » consiste donc à inverser la filiation entre les liens et les biens. C’est l’existence préalable d’une société qui engendre l’échange et confère aux biens une fonction sociale et symbolique. Le contresens néolibéral est aussi d’imaginer des individus primitifs, rivaux égoïstes et prédateurs, qui, soudain, par la magie de l’échange et de la libre concurrence, se comporteraient comme des frères dans une simple partie de Monopoly.[...] C’est la société qui adoucit la violence du commerce et non l’inverse.[...](p132)

[...]Même l’école est gagnée par le culte de la compétition et, consciemment ou non, les parents la conçoivent désormais comme un camp d’entraînement où l’on acquiert des armes pour entrer dans la jungle des adultes. Et cela parfois, nous le verrons, au détriment de la santé physique et psychique des enfants, voire au prix de « méthodes pédagogiques » qui frisent la torture. Dans le meilleur des cas, l’école se trouve à la fois sommée de corriger à elle seule l‘explosion des inégalités et de l’exclusion sociale, et privée des moyens humains et financiers qui seraient nécessaires pour seulement contenir ces fléaux. Elle tend alors à devenir le lieu de reproduction, le reflet et la caisse de résonance des sélections, des ségrégations, des frustrations et des violences nées et entretenues par la société de compétition généralisée.[...](p134)


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