Commentaire de Orélien Péréol
sur Modérer le tourisme, à partir de maintenant ?


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Orélien Péréol Orélien Péréol 4 juillet 2020 18:19

Delphine Batho : LA PREMIERE DES LIBERTES C’EST DE RESTER VIVANT  ! « Un quota carbone individuel pour organiser la diminution du trafic aérien »  ! « On ne peut plus accepter l’impuissance et l’inertie », estime l’ancienne ministre de l’Ecologie, qui dépose une proposition de loi pour limiter drastiquement les trajets de loisir. Entretien.

Delphine Batho a déposé, avec son collègue député François Ruffin, une proposition de loi institutant un « quota carbone individuel » limitant les voyages en avion. « Un changement conceptuel dans la lutte contre le changement climatique », explique l’ancienne ministre socialiste, désormais présidente de Génération écologie.

- Vous proposez de limiter l’usage de l’avion au moyen d’un « quota carbone individuel ». Comment cela fonctionnerait-il ?

Il faut d’abord expliquer sa raison d’être. Nous sommes dans une situation où le niveau d’émission des gaz à effet de serre augmente. Il y a urgence à agir, on ne peut pas continuer avec le niveau actuel de trafic aérien. Il faut au contraire organiser sa diminution.

Or, le secteur ne s’inscrit pas du tout dans cette perspective. Il parle seulement de « neutraliser la hausse future des gaz à effet de serre », ce qui revient à conserver le niveau actuel des émissions de CO2. Et comment ? Par une fausse neutralisation basée sur la compensation carbone. Autrement dit, on va planter des arbres, ce qui est une vue de l’esprit, ou bien on va recourir aux agro-carburants, qui entraînent la déforestation.

- Le gouvernement a pourtant débloqué 1,5 milliard pour soutenir la recherche d’un avion bas carbone. Vous n’y croyez pas ?

Je suis pour la recherche et développement. Mais on ne peut pas s’en remettre à une sorte de bluff technologique qui consisterait à poursuivre la recherche en pensant que, peut-être, un jour, on trouvera un avion sobre. C’est de l’ordre de la croyance, ce n’est pas sérieux ! Lorsqu’on interroge les spécialistes, ils répondent tous que la perspective d’un avion à hydrogène en 2035 ne tient pas la route deux secondes.

Il faut trouver une solution efficace et juste socialement. D’où notre proposition d’organiser la diminution progressive de l’usage de l’avion. La proposition que nous mettons en débat, c’est de passer à un système de quota carbone qui soit le même pour chaque personne, et qui permette de faire un voyage de loisir de temps en temps - mais pas tout le temps.

- Un voyage de temps en temps ? C’est-à-dire ? C’est un aller-retour en Europe par an ? Un voyage en Asie tous les 3 ans ?

Le quota est fixé annuellement pour une période de cinq ans. Il diminuerait par tranche de cinq ans afin d’atteindre les objectifs de neutralité carbone à l’horizon 2050. Ce quota doit être fixé dans le cadre de la stratégie nationale bas-carbone de l’Etat.

Pour bien comprendre, l’empreinte carbone d’une citoyenne ou d’un citoyen en France, c’est 11 tonnes par an. Mais c’est une moyenne. En réalité, certains sont bien au-dessus des 11 tonnes, tandis que les personnes des catégories moins fortunées ont une empreinte de 7 ou 8 tonnes. Le rapport du Giec nous dit qu’il faut passer à 2 tonnes.

- Si on vise 2 tonnes, c’est la fin du tourisme de masse. Cela signifie qu’on ne peut plus passer ses vacances là où l’on veut…

La première des libertés, c’est de rester vivant. Je suis favorable à l’ouverture culturelle et je pense que des solutions alternatives doivent être déployées pour permettre de grands voyages - par exemple, en relançant le train de nuit en Europe. Mais oui, on doit s’orienter vers une relocalisation du tourisme et avoir conscience que le grand voyage ne peut pas être la norme.

- Vous parlez uniquement des voyages de loisir ? Les voyages vers l’Outre-mer ne seraient pas concernés ?

Evidemment, tout ce qui lié à la continuité territoriale de la République ne peut pas être concerné, pas plus que les voyages liés aux droits fondamentaux de la personne humaine, comme les liens familiaux, lorsque plusieurs membres d’une même famille habitent dans différents pays.

Aujourd’hui, 28 % des déplacements aériens ont lieu pour motifs professionnels, et 23 % pour d’autres motifs comme les visites à la famille. Tout le reste, c’est de l’usage de loisir.

- En quoi le principe du quota est-il différent de celui d’une taxe carbone ?

Parce qu’il est juste socialement. Une taxe, cela consiste à renchérir le prix des billets. Ce n’est pas parce qu’il y aura une taxe que les personnes les plus privilégiées, celles qui ont un usage intensif de l’avion, changeront de comportement. Vous aurez toujours des personnes qui auront les moyens de se payer des dizaines de voyages par an. Ça ne résout pas le problème et c’est injuste.

Le quota carbone, lui, est le même pour tous. Il est cumulable dans le temps, ce qui permet de cumuler son quota pendant plusieurs années pour faire tel ou tel voyage. Mais le quota n’est pas transférable.

- Vous voulez dire qu’on ne pourrait pas vendre son quota à une autre personne ? Il n’y aurait pas une bourse des droits à polluer ?

Surtout pas. Il est beaucoup plus juste.

- Votre proposition de loi est déposée avec le député François Ruffin (France insoumise). Avez-vous des espoirs qu’elle soit adoptée ?

Cette proposition de loi s’inscrit dans le prolongement de celle que nous avions déposée il y a un an, pour la suppression des liaisons aériennes inutiles entre des villes desservies par le TGV. On nous avait alors dit que notre proposition était loufoque. Je constate qu’aujourd’hui, cette proposition est reprise par la Convention citoyenne sur le climat ; que le gouvernement lui-même y vient ; qu’Air France reconnaît que ces liaisons aériennes n’ont pas de rentabilité et qu’il faut les supprimer.

Notre proposition nouvelle de quota carbone suscite les mêmes quolibets, mais je pense que l’idée fera son chemin. Nous avons bien conscience que l’idée d’un quota carbone pour chacun est un changement conceptuel dans la lutte contre le changement climatique. Mais si on considère avec sérieux les données scientifiques, il va falloir réduire notre empreinte carbone et donc trouver des solutions nouvelles qui soient justes socialement.


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