Commentaire de Mélusine ou la Robe de Saphir.
sur La possibilité d'une société fraternelle


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Mélusine ou la Robe de Saphir. Mélusine ou la Robe de Saphir. 6 juillet 2020 10:50

Une nouvelle utopie : « Dans presque tous les mythes fondateurs, personne n’a de pire ennemi que son frère, si ce n’est son père qui, craignant une alliance des frères contre lui, prend parfois les devants et les tue. » (Attali, 1999.) C’est aussi le point de vue de Sigmund Freud dans Malaise dans la civilisation, pour qui une hostilité primaire dresse les hommes les uns contre les autres : « L’homme est, en effet, tenté de satisfaire son besoin d’agression aux dépens de son prochain, d’exploiter son travail sans dédommagement, de l’utiliser sexuellement sans son consentement, de s’approprier ses biens, de l’humilier, de lui infliger des souffrances, de le martyriser et de le tuer. Homo homini lupus  : qui aurait le courage, en face de tous les enseignements de la vie et de l’histoire, de s’inscrire en faux contre cet adage ? » (Freud, 1929.) La fraternité est donc un fait de culture dont Sigmund Freud situe la mise en place, dans Totem et tabou, dans les suites du meurtre du père primitif, après lequel les fils, plutôt que de s’entretuer pour prendre sa place, s’accordent, sous le coup de la culpabilité à l’égard de ce tyran haï mais aussi aimé, pour renoncer collectivement à la jouissance convoitée et désavouer le meurtre du père, incorporé lors d’un repas totémique. Ce que, dans L’Envers de la psychanalyse, Jacques Lacan formule ainsi : « […] la conséquence, c’est que pour avoir tué le vieux, le vieil orang, il se passe deux choses dont je mets l’une entre parenthèses, car elle est fabuleuse : ils se découvrent frères. » (Lacan, 1969-1970.) Pour ajouter que cette fraternité ne trouve son origine que dans la ségrégation : « Aucune autre fraternité ne se conçoit même, n’a le moindre fondement comme je viens de vous le dire, le moindre fondement scientifique, si ce n’est parce qu’on est isolés ensemble, isolés du reste par quelque chose dont il s’agit de savoir la fonction et pourquoi c’est comme ça. » (Ibid.) Autrement dit, on fait Un en rejetant le reste, l’objet a, à l’extérieur de l’ensemble : [1]-a. Pour le dire en termes freudiens : « Il est toujours possible d’unir les uns aux autres par les liens de l’amour une plus grande masse d’hommes, à la seule condition qu’il en reste d’autres en dehors d’elle pour recevoir les coups. » (Freud, 1929.) Je suppose qu’il n’est pas nécessaire de préciser au lecteur en quoi ce mouvement hypochondriaque de désignation d’un mauvais objet à expulser du corps social est d’actualité.

L’arrivée du frérot…

5Sur le plan du développement individuel, pour Sigmund Freud, cette advenue de la fraternité va de pair avec la mise en place du sur-moi qui va entraîner le retournement contre le moi de « la même agressivité rigoureuse que le moi eût aimé satisfaire contre des individus étrangers » (Freud, 1929). Sur-moi et sentiment de culpabilité supposent que soit intériorisée l’autorité et non plus seulement que celle-ci soit susceptible de retirer son amour si la faute est découverte. Ce qui reste néanmoins le cas chez l’enfant et, comme le note Sigmund Freud, chez nombre d’adultes. Et dans ce développement individuel, qui fait du sur-moi l’héritier du complexe d’Œdipe, Sigmund Freud insiste à diverses reprises sur l’importance de l’arrivée, ou du risque d’arrivée d’un puîné pour l’évolution intellectuelle, car il entraîne la mise en route de la pensée pour comprendre d’où viennent les enfants et en prévenir la menace (Freud, 1905). Mais importance aussi pour son évolution libidinale, comme le soulignera Jacques Lacan dans Les Complexes familiaux : la vue de ce rival appendu à la mamelle de la nourrice, dans une fameuse scène décrite par saint Augustin, supportera pour l’enfant une « identification mentale » dans le « complexe de l’intrusion ». Et cet intrus, dont nombre de souvenirs d’analysants confirment que le premier mouvement est de tenter de l’éliminer [5][5]Je rappelle seulement celui de Goethe, dans Dichtung und…, l’enfant va devoir admettre que ce n’est pas ainsi qu’il conservera l’amour de ses parents, mais plutôt en acceptant de ne plus être l’objet unique et inconditionnel de leur amour, en acceptant que ce rival soit aimé lui aussi. Ainsi, le frère, d’intrus dans une relation de réflexivité, peut devenir un semblable, un alter ego, dans une relation de réciprocité. La fraternité s’institue sur la « frérocité [6][6]Collectif, 1990, « La frérocité », Revue du Littoral, 3


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