Commentaire de Jules Seyes
sur De l'imposture démocratique
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@leypanou
Eh, oui, permettez moi de me défendre en appellant à la barre la marquise de Merteuil (J’aime avoir de bons avocats) :
Il n’est pas vrai que plus les femmes vieillissent, et plus elles deviennent rêches & sévères. C’est de quarante à cinquante ans que le désespoir de voir leur figure se flétrir, la rage de se sentir obligées d’abandonner des prétentions & des plaisirs auxquels elles tiennent encore, rendent presque toutes les femmes bégueules & acariâtres. Il leur faut ce long intervalle pour faire en entier ce grand sacrifice : mais dès qu’il est consommé, toutes se partagent en deux classes.
La plus nombreuse, celle des femmes qui n’ont eu pour elles que leur figure & leur jeunesse, tombe dans une imbécile apathie, & n’en sort plus que pour le jeu & pour quelques pratiques de dévotion ; celle-là est toujours ennuyeuse, souvent grondeuse, quelquefois un peu tracassière, mais rarement méchante. On ne peut pas dire non plus que ces femmes soient ou ne soient pas sévères : sans idées & sans consistance, elles répètent, sans le comprendre & indifféremment, tout ce qu’elles entendent dire, & restent par elles-mêmes absolument nulles.
L’autre classe beaucoup plus rare, mais véritablement précieuse, est celle des femmes qui, ayant eu un caractère & n’ayant pas négligé de nourrir leur raison, savent se créer une existence, quand celle de la nature leur manque, & prennent le parti de mettre à leur esprit les parures qu’elles employaient avant pour leur figure. Celles-ci ont pour l’ordinaire le jugement très sain, & l’esprit à la fois solide, gai & gracieux. Elles remplacent les charmes séduisants par l’attachante bonté, & encore par l’enjouement dont le charme augmente en proportion de l’âge : c’est ainsi qu’elles parviennent en quelque sorte à se rapprocher de la jeunesse en s’en faisant aimer. Mais alors, loin d’être, comme vous le dites, rêches et sévères, l’habitude de l’indulgence, leurs longues réflexions sur la faiblesse humaine, & surtout les souvenirs de leur jeunesse, par lesquels seuls elles tiennent encore à la vie, les placeraient plutôt peut-être trop près de la facilité.
Ce que je peux vous dire enfin, c’est qu’ayant toujours recherché les vieilles femmes, dont j’ai reconnu de bonne heure l’utilité des suffrages, j’en ai rencontré beaucoup auprès de qui l’inclination me ramenait autant que l’intérêt. Je m’arrête là ; car à présent que vous enflammez si vite & si moralement, j’aurais peur que vous ne devinssiez subitement amoureux de votre vieille tante, & que vous ne vous enterrassiez avec elle dans le tombeau, où vous vivez déjà depuis si longtemps. Je reviens donc.
Donc, mesdames si votre figures est votre seul soucis, passez votre chemin, sinon, régalez-nous de votre esprit.