Commentaire de Étirév
sur Derrière le masque du baron : Gilles de Rais, compagnon d'armes de Jeanne d'Arc et prédateur d'enfants
Voir l'intégralité des commentaires de cet article
A la fin du XVème siècle, le Satanisme prit des proportions effrayantes. Gilles de Rais en fut l’incarnation la plus complète. C’est le personnage qui a servi de modèle à Charles Perrault pour écrire son horrible histoire de « Barbe-Bleue ».
Cet homme était un monstre, mais, comme il vivait parmi des monstres, cela n’épouvantait pas autant alors que cela épouvanterait maintenant. Il résumait en lui tous les excès : impiété, immonde luxure et ascétisme, prodigalité d’un côté, cupidité de l’autre, férocité fauve, lubricité attendrie. Il résume le Moyen Âge.
Dévot au Dieu chrétien, ouvertement, mais rejetant le masque hypocrite en secret, et, alors, rendant à sa divinité sa forme réelle : le Diable. Il lui consacre une chapelle ; il a un chapitre de 25 à 30 clercs, des chapelains et des enfants de chœur, une musique religieuse, et journellement il se donne le spectacle de cérémonies antireligieuses.
Il naquit vers 1404, sur les confins de la Bretagne et de l’Anjou, dans le château de Machecoul. Son père mourut en 1415, et sa mère se remaria avec le sieur d’Estouville. On dit qu’elle donna ses deux fils en tutelle à son père Jean de Craon, seigneur de Champtocé et de la Suze, ce qui fait supposer qu’ils ne valaient pas cher, déjà, puisqu’elle était obligée de les éloigner d’elle. Le grand-père, pour se débarrasser à son tour de Gilles, le maria à Catherine de Thouars, le 30 novembre 1420 ; il avait 16 ans.
Cinq ans après, à 21 ans, on constate sa présence à la cour du Dauphin. Ses contemporains le représentent comme nerveux et robuste, d’une beauté capiteuse, d’une élégance rare. Il était le plus riche des barons de France.
Quand il arriva à la cour de Charles VII, le plus pauvre des rois, celui-ci était aux abois, sans argent, sans prestige et sans autorité ; c’est à peine si les villes qui longent la Loire lui obéissaient. La France était exténuée par les massacres, après avoir été dévastée par la peste. L’Angleterre occupait tout le Nord, la Bretagne, la Normandie, une partie de la Picardie, l’Ile-de-France et le Centre jusqu’à Orléans. Elle ravageait les campagnes et tarissait les villes. Charles VII réclamait en vain des subsides, inventait sans succès des exactions, demandait, sans les obtenir, des impôts. Personne ne répondait à ce roi dont la légitimité n’était pas reconnue ; sa mendicité humiliante restait sans réponse.
Sa petite cour était à Chinon. Là, les intrigues, les débauches honteuses, les crimes font oublier les désastres, et l’on a des moments de gaîté lorsque des razzias apportent quelques sous à cette royauté carnavalesque. Le vin et les filles, voilà sur quoi il règne, et pour en avoir il demande de l’argent. C’est tout ce qu’on pouvait attendre de ce roi somnolent, fils d’un fou. Son portrait a été peint par Foucquet ; on peut le voir au Louvre. Voici ce qu’en dit Huysmans : « Une honteuse gueule avec un groin de goret, des yeux d’usurier de campagne, des lèvres dolentes et papelardes dans un teint de chantre. Un mauvais prêtre enrhumé et qui a le vin triste » (Là-Bas, p. 62). Voilà l’homme qui fit assassiner Jean-sans-Peur et qui abandonna Jeanne d’Arc, l’homme de qui devait naître Louis XI, plus prudemment cruel, plus opiniâtre et plus rusé. Jolie hérédité que celle de ces fils de rois !
Gilles de Rais (Barbe-Bleue) avait levé des troupes à ses frais ; puis il eut le désir de combattre, et, comme il était riche, les chroniqueurs l’appellent « bon et hardy capitaine », ce qui n’empêche qu’ils disent aussi qu’il s’enfuit devant les Anglais. On suppose que c’était lui qui « payait » dans cette cour de gueux et que pour cela on devait lui ouvrir les bras ; il dut aider le roi de son or, en partageant ses débauches.
C’est à ce moment que le roi songeait à se reculer prudemment vers le Midi, et c’est à ce moment aussi que parut Jeanne d’Arc.
Ce fut à ce Gilles de Rais que Charles VII confia la garde de la Pucelle. Ce fut lui qui la suivit partout dans les batailles, sous les murs de Paris, à Reims, où, le jour du sacre, le roi le nomma maréchal de France. Il avait 25 ans.
Vallet de Viriville accusa Gilles de trahison envers Jeanne d’Arc. Cela devait être, cela ne pouvait pas manquer de se produire. Un homme qui est « brave capitaine » et « bon chrétien » a en lui l’étoffe d’un traître.
Après la mort de Jeanne d’Arc, nous le retrouvons enfermé dans le château de Tiffauges. Il a 26 ans. Ses méfaits vont commencer : c’est l’âge.
Mais il se fait d’abord lettré et artiste. C’est aussi l’âge. Il va commettre ses crimes avec cette fausse religiosité qu’on appelle mysticisme ; il va se faire un délicat, un savant du crime, il va mettre du raffinement dans le mal, alors que de son temps on était franchement brute.
Il compose un traité sur l’art d’évoquer les démons ; il aime la musique d’église, les objets rares ; il est érudit (à la façon du temps), latiniste, il possède une bibliothèque extraordinaire pour le temps. Il a parmi ses manuscrits Suétone, Valère Maxime, Ovide. Mais est-ce pour les lire ou pour faire parade de sa richesse ?
Cependant, on dit qu’il aimait ses livres, qu’il les emportait en voyage. Il les faisait enluminer par un certain Thomas. Il aimait les repas épicés, les vins ardents, les bijoux, les pierreries. Il avait une garde de plus de 200 hommes, chevaliers, capitaines, écuyers, pages, qui avaient eux-mêmes des serviteurs magnifiques. Le luxe de sa chapelle était inouï, celui de sa collégiale était fou. Dans ce château de Tiffauges où se tenait toute cette cour bizarre résidait aussi son clergé, composé de doyens, vicaires, trésoriers, chanoines, clercs, diacres, écolâtres et enfants de chœur. Il s’entoure aussi de magiciens et de sorciers, il fait un pacte avec le diable par l’entremise d’un prêtre de Florence, le fameux Francesco Prelati, il immole près de 200 enfants en holocauste aux puissances infernales.
Et cet homme ne fut pas une exception, il fit école.
Sa table était ouverte à tout convive. De tous les coins de la France, des caravanes s’acheminaient vers son château, où tous trouvaient une hospitalité princière. Il se ruina à ce jeu en moins de 8 ans.
Sa femme se plaignit à Charles VII, qui lança contre lui des lettres patentes, l’empêchant de Vendre et d’acheter ; c’était l’interdiction du temps.
Alors il se jeta dans l’alchimie, la science à la mode, espérant y trouver le moyen de faire de l’or.
Il appelle près de lui des sorciers, « les plus exquis scélérats », des alchimistes, les savants du temps, qui ne sont, disent les manuscrits, que de vulgaires parasites, de bas filous ; ils entourent Gilles et leur science déteint sur lui.
C’est par cette voie qu’il tombe dans le crime. Il égorge les enfants, les viole ; il dépasse en faste et en débauche tout ce qui avait été fait jusque-là ; sa vie est faite d’opulence et de meurtre. Il aimait la potence et faisait « brancher » tous les Français relaps qu’il trouvait dans les camps anglais.
Avec cela, doué d’un orgueil formidable. Il dit au cours de son procès : « Je suis né sous une telle étoile que nul au monde n’a jamais fait et ne pourra jamais faire ce que j’ai fait. » Il fut, en effet, le plus beau type du mal.
LIEN