mercredi 21 mai - par Giuseppe di Bella di Santa Sofia

Derrière le masque du baron : Gilles de Rais, compagnon d’armes de Jeanne d’Arc et prédateur d’enfants

Le soleil d'automne, en cet octobre 1440, peinait à percer le ciel bas de Nantes. Une odeur âcre, mêlée à celle du poisson et des déchets, flottait dans les ruelles pavées. Mais ce jour-là, ce n'était pas la puanteur habituelle qui oppressait les cœurs, c'était l'horreur. Un murmure s'était propagé, transformant l'ancienne gloire de la France en un monstre, un ogre dont le nom seul suffisait à faire frissonner les âmes. Gilles de Rais, maréchal de France, compagnon d'armes de la Pucelle, était tombé dans les abîmes les plus sombres, entraînant avec lui l'innocence de dizaines d'enfants. Son procès, ses révélations, allaient déchirer le voile des illusions, révélant la face cachée d'un homme que l'on disait déchu, mais dont la perversité dépassait l'entendement.

 

 

De l'auréole de la Pucelle aux ténèbres de la dépravation

Imaginez le jeune Gilles de Rais, tel un seigneur tout droit sorti d'une enluminure, aux côtés de Jeanne d'Arc. Il était là, à Orléans, quand la Pucelle brisa le siège anglais, son épée flamboyante au service de la sainte cause. Il participa à la chevauchée vers Reims, témoin privilégié du sacre du roi Charles VII. Son courage au combat, sa fougue, lui valurent le titre de maréchal de France, une distinction suprême pour un homme à peine sorti de l'adolescence. Son nom résonnait alors comme un écho de gloire, un symbole de la résistance française face à l'envahisseur. "Il fut de ceux qui mirent leur honneur au service de la Damoyselle", témoigna un clerc de l'époque, louant sa bravoure sans tache. 

 

Fichier:Gilles de Rais - blason.jpg

 

Pourtant, cette gloire n'était qu'un vernis, une façade rutilante masquant des fêlures profondes. Après la capture et le bûcher de Jeanne, la vie de Gilles bascula. Le vide laissé par la disparition de sa camarade d'armes, l'ennui des temps de paix, et surtout, l'appât du gain, le poussèrent vers des chemins tortueux. Il dilapida sa fortune colossale en des dépenses somptueuses, des banquets gargantuesques, des représentations théâtrales extravagantes et des tentatives d'alchimie toujours plus coûteuses. Il s'entoura d'une cour de parasites, de charlatans et de miséreux, dont les flatteries et les promesses fallacieuses ne firent qu'enfoncer le jeune seigneur dans les abîmes de la folie.

 

 

C'est là, dans cette dérive financière et morale, que la dépravation commença à tisser sa toile. Les forteresses de Machecoul, Tiffauges et Champtocé, autrefois symboles de puissance féodale, devinrent les théâtres de ses agissements les plus sinistres. Leurs murs épais, leurs tours menaçantes, dissimulaient des secrets indicibles, des cris étouffés, des souffrances silencieuses. Le maréchal, jadis héros, se mua en prédateur, ses obsessions prenant une tournure macabre et insoutenable.

 

Le goût du sang et de l'infamie : les crimes de l'ogre

Les rumeurs, d'abord timides, se firent insistantes. Des enfants disparaissaient dans la campagne nantaise, des garçons surtout, jeunes et insouciants. Leurs parents, désespérés, cherchaient en vain, leurs cœurs rongés par l'angoisse. Les plaintes commencèrent à s'accumuler, atteignant finalement les oreilles du pouvoir ecclésiastique et des autorités ducales. On racontait que Gilles, dans sa quête d'or et de pouvoirs occultes, sacrifiait des vies, des âmes innocentes, dans des rituels abominables. "Le bruit courait par monts et par vaux que maints enfants, par centaines, s'en allaient vers le diable, conduits par ce seigneur maudit", écrivit un scribe à l'époque, résumant l'effroi populaire. 

 

 

Le modus operandi, tel que les témoignages finirent par le révéler, était d'une cruauté insoutenable. Les enfants, souvent appâtés par des promesses de jeux ou de friandises, étaient emmenés dans les châteaux du maréchal. Là, ils subissaient des outrages inimaginables : viols, tortures, mutilations, avant d'être finalement tués. Leurs corps, souvent démembrés, étaient ensuite brûlés ou jetés dans des fosses secrètes, afin d'effacer toute trace de ces atrocités. Le sang et les supplices étaient devenus le quotidien de ce seigneur déchu, une offrande à une folie qui le consumait de l'intérieur.

 

 

Les aveux de ses complices, arrachés sous la torture ou par la promesse d'une moindre peine, dressèrent un tableau d'une horreur inimaginable. Henriet et Poitou, ses valets, décrivirent avec une précision glaçante les rituels sadiques, les meurtres rituels, les expériences alchimiques macabres censées transformer le sang et les entrailles en or pur. Ces récits, consignés méticuleusement par les greffiers du procès, furent lus à voix haute, glaçant l'assistance et confirmant les pires craintes. "Il les tenoit par les cheveux, et les faisoit chanter tout en les démembrant, disant que leurs voix estoient plus belles au moment du trépas", rapporta un clerc, les mains tremblantes en écrivant ces mots. Le nombre exact des victimes reste un mystère, mais les estimations les plus basses parlent d'une quarantaine d'enfants, les plus hautes de plusieurs centaines. L'ampleur du carnage était telle que l'esprit humain peinait à l'imaginer dans toute son horreur.

 

Le procès de l'infamie : une justice lente mais inexorable

La machine judiciaire, une fois lancée, ne s'arrêta plus. Face à l'accumulation des preuves et des témoignages accablants, l'évêque de Nantes, Jean de Malestroit, assisté de Jean Juvénal des Ursins, président du Parlement de Paris, et de Guillaume le Ferron, inquisiteur de la foi, ordonna l'arrestation de Gilles de Rais. Ce fut un choc. Comment un homme d'une telle lignée, d'une telle renommée, pouvait-il être soupçonné de pareils actes ? L'affaire défraya la chronique, les conversations dans les chaumières comme dans les palais. L'air vibrait de tension et d'effroi.

Le procès, qui s'ouvrit en septembre 1440, fut un événement sans précédent. Les audiences se tinrent dans une atmosphère lourde, le public, massé, oscillant entre la curiosité morbide et l'horreur. Gilles de Rais, d'abord hautain et défiant, refusa de reconnaître la légitimité du tribunal ecclésiastique. Il invectiva ses juges, se déclarant innocent, se réfugiant derrière son statut de baron et de maréchal. Mais les preuves, les aveux de ses complices, et surtout la puissance des témoignages des parents éplorés, eurent raison de sa résistance.

 

Gilles de Rais - Châteaux, Histoire et Patrimoine - montjoye.net

 

Le moment clé du procès fut l'aveu de Gilles de Rais lui-même, arraché non par la torture physique, mais par la force de la culpabilité et de la foi. Après des jours de confrontation, face aux accusations, il se brisa. Non seulement il avoua les crimes qui lui étaient reprochés, mais il demanda pardon à Dieu et aux hommes. Ce fut un spectacle bouleversant : le fier seigneur réduit à la repentance, les larmes coulant sur son visage marqué. "Je confesse humblement mes pêchés, car je suis plus noir que le diable et je mérite mille morts", aurait-il murmuré, la voix brisée, un instant avant sa condamnation. Cette capitulation permit de clore le débat sur sa culpabilité, au-delà de tout doute raisonnable.

 

La fin du monstre 

Le verdict tomba le 26 octobre 1440 : coupable de tous les chefs d'accusation, Gilles de Rais fut condamné à être pendu et brûlé. La sentence fut exécutée le lendemain, au Champ de la Justice, sur les rives de la Sèvre Nantaise. La foule, immense, silencieuse et poignante, assista au châtiment. Les flammes, purificatrices aux yeux des pieux, consumèrent le corps de celui qui fut jadis un héros, puis un monstre. Avant de monter sur le bûcher, Gilles de Rais aurait demandé pardon à la foule, exhortant les jeunes hommes présents à ne pas suivre son exemple et à "garder leur âme du péché mortel". Une ultime tentative de rédemption, ou un acte de pure hypocrisie ? Le mystère demeure. 

 

File:Exécution de Gilles de Rais - armes du président Bouhier.jpg -  Wikimedia Commons

 

La figure de Gilles de Rais est restée gravée dans les mémoires, bien au-delà de son époque. Son nom est devenu synonyme d'horreur et de dépravation, inspirant la légende de Barbe-Bleue et nourrissant les fantasmes les plus sombres. Son histoire est un rappel brutal de la dualité de la nature humaine, capable des plus hauts faits de bravoure et des pires abominations. Elle montre aussi comment le pouvoir, la richesse et l'absence de limites peuvent corrompre l'âme la plus noble.

L'héritage de Gilles de Rais, c'est aussi le reflet d'une époque où la justice, bien que lente, pouvait s'abattre sur les puissants et où les murmures des disparitions pouvaient finir par briser le silence des châteaux. Son procès est un cas d'étude fascinant pour comprendre la psychologie criminelle avant l'heure et la manière dont une société médiévale tentait de faire face à une horreur qui la dépassait. Le souvenir de ces enfants perdus et la figure du maréchal devenu ogre, continuent de hanter les mémoires, un avertissement intemporel sur les abîmes que peut recéler l'âme humaine.



20 réactions


  • Gégène Gégène 21 mai 12:48

    « c’est aussi le reflet d’une époque où la justice, bien que lente, pouvait s’abattre sur les puissants »

    Ouais bon, c’était il y a 600 ans, que diable !

    de nos jours, foin de tout cela smiley

    (dommage, les illustrations manquent de légendes)


    • Bonjour @Gégène, 

      Il était très rare, à cette époque, que la justice s’abatte sur les puissants. Même sous Louis XIV, plusieurs siècles plus tard, cela était encore le cas : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir » (Jean de La Fontaine).

      Finalement, rien n’a changé depuis des siècles...

      Oui, je trouve dommage qu’il est impossible de légender les illustrations. C’est le back office du site qui n’est pas adapté à cela. Il est un peu dépassé. Je le regrette vraiment. Vous constaterez que c’est la même chose pour tous les articles. 


    • Seth 21 mai 13:05

      @Gégène

      Voui mais un peu de respect quand même ! Il s’agissait de justice papiste.

      D’ailleurs pour qu’ils en soient arrivés à de telles extrémités et si l’on croit leur largesse d’esprit, il fallait vraiment que ce soit Hénaurme.  smiley

      Et je ne sais pas ce que pense la le pen de ce copain de cette pucelle qu’elle vénère...


    • @Gégène

      Gilles de Rais a été condamné par la justice ecclésiastique qui était incépendante et s’attaquait même aux puissants. Elle dépendait uniquement du pape. La justice royale, elle, était beaucoup moins impartiale. 


    • Bonjour @Seth,

      C’est justement la réponse que je viens de faire à @Gégène. La justice ecclésiastique était moins partiale que la justice royale mais, effectivement, il fallait que les crimes soient vraiment terribles. Ici, on parle quand même de plusieurs dizaines à plusieurs centaines d’enfants. Il fallait faire un exemple, comme ce fut le cas pour la comtesse hongroise Élisabeth Báthory.


    • chantecler chantecler 21 mai 13:24

      @Giuseppe di Bella di Santa Sofia
      Faut dire que la justice « ecclésiastique » utilisait largement la torture , la « question » et pas de main morte , et que ça fabriquait des coupables à n’en plus finir ... !

      PS : non non ne me répondez pas ! Merci !


    • Seth 21 mai 13:29

      @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

      Tiens, oui... Erzsebet Bathory vaut le déplacement et elle est bien moins connue.  smiley

      Pour ce qui est de la justice catho, disons qu’elle choisissait ses sujets, il y aurait pourtant eu à dire sur eux en général et jusqu’aux papes. Ceci dit bien entendu sans chercher à innocenter le gillou.

      Mais j’eus préféré une cour de justice civile...


    • @Seth

      C’est vrai qu’Élisabeth Báthory est bien moins connue, sauf par les passionnés de films d’horreur comme moi. On prétend souvent qu’elle fut une vampire. 

      Oui, la juste ecclésiastique pratiquait beaucoup la torture pour faire avouer les prévenus. Et lorsqu’ils décidaient de revenir sur leurs aveux, obtenus par la forces, il devenaient « relapses » et s’exposaient à une mort certaine...

      Gilles de Rais n’a même pas eu droit à la question, ni même à la questionnette à l’outre d’eau croupie. C’est décevant. Les bonnes manières se perdaient déjà à cette époque...

      https://youtu.be/jrbOCV6ZkVk?si=T1CnWWdDrATr4c87


    • Seth 21 mai 14:20

      @Giuseppe di Bella di Santa Sofia

      La mère Bathory a beaucoup fait pour la réputation exécrable des Carpates. Comme avec ce pauvre Dracula qu’a si bien illustré Mel Brooks :

      https://www.youtube.com/watch?v=-MbDKR50tn0smiley

      Pour les Questions, je me demande s’il ne faudrait pas les remettre en usage dans le civil pour connaître enfin la vérité sur certaines « élites » et autres « grands hommes »...  smiley


    • Seth 21 mai 15:00

      @Seth

      Pour Mel Brooks, la musique sélectionnée, d’un genre qu’apprécie notre amie Rosemar, est « En esta tarde gris ». Pour ceux qui connaissent, le titre est raccord avec l’image.  smiley

      Il ne faut jamais perdre une occasion de se cultiver.  smiley


    • La Bête du Gévaudan 21 mai 15:47

      @Seth

      Et je ne sais pas ce que pense la le pen de ce copain de cette pucelle qu’elle vénère...

      L’histoire de Gilles de Rais est connue depuis des siècles... D’ailleurs, « l’armée françoise » avant sa reprise en main par Jeanne d’Arc était une troupe de pillards et de débauchés notoires... Les soudards ont ricané quand ils ont vu débarquer la Pucelle, et ils ont mis du temps à accepter l’autorité de cette sainte-nitouche sortie de sa campagne... Et pourtant, c’est elle qui les a conduit à la victoire...

      C’est la gauche qui a largement contribué à faire célébrer Jeanne d’Arc... la fille du peuple sauvant le pays contre les puissants traîtres, et transfigurant une troupe de pillards avinés et fornicateurs en une armée patriote sous sa bannière blanche frappée « Jésu & Maria »... Aujourd’hui la gauche préfère célébrer les assassins islamistes, les gangsters anarchistes et les égorgeurs bolchéviques... bon... c’est une autre époque dirons-nous. On célébrait jadis la rédemption, et on célèbre aujourd’hui le crime.

      A part ça, comme vous le savez bien, dans le christianisme, ce n’est pas la question d’où l’on vient (nous sommes tous corrompus à divers degrés) mais où l’on va (la possible repentance)... voilà tout... D’ailleurs, Jésus aussi a rameuté 12 misérables pour faire son équipe, des pêcheurs malodorants, un collecteur d’impôts véreux, un traître, etc. Sans parler des prostituées qui venaient épandre leurs parfums sur ses pieds au grand scandale des pharisiens qui pensaient qu’il aurait mieux valu le vendre pour donner le prix aux pauvres. Et je ne vous parle pas de la longue liste des Saints et Saintes au passé débauché ou licencieux.


  • Étirév 21 mai 12:59

    A la fin du XVème siècle, le Satanisme prit des proportions effrayantes. Gilles de Rais en fut l’incarnation la plus complète. C’est le personnage qui a servi de modèle à Charles Perrault pour écrire son horrible histoire de « Barbe-Bleue ».
    Cet homme était un monstre, mais, comme il vivait parmi des monstres, cela n’épouvantait pas autant alors que cela épouvanterait maintenant. Il résumait en lui tous les excès : impiété, immonde luxure et ascétisme, prodigalité d’un côté, cupidité de l’autre, férocité fauve, lubricité attendrie. Il résume le Moyen Âge.
    Dévot au Dieu chrétien, ouvertement, mais rejetant le masque hypocrite en secret, et, alors, rendant à sa divinité sa forme réelle : le Diable. Il lui consacre une chapelle ; il a un chapitre de 25 à 30 clercs, des chapelains et des enfants de chœur, une musique religieuse, et journellement il se donne le spectacle de cérémonies antireligieuses.
    Il naquit vers 1404, sur les confins de la Bretagne et de l’Anjou, dans le château de Machecoul. Son père mourut en 1415, et sa mère se remaria avec le sieur d’Estouville. On dit qu’elle donna ses deux fils en tutelle à son père Jean de Craon, seigneur de Champtocé et de la Suze, ce qui fait supposer qu’ils ne valaient pas cher, déjà, puisqu’elle était obligée de les éloigner d’elle. Le grand-père, pour se débarrasser à son tour de Gilles, le maria à Catherine de Thouars, le 30 novembre 1420 ; il avait 16 ans.
    Cinq ans après, à 21 ans, on constate sa présence à la cour du Dauphin. Ses contemporains le représentent comme nerveux et robuste, d’une beauté capiteuse, d’une élégance rare. Il était le plus riche des barons de France.
    Quand il arriva à la cour de Charles VII, le plus pauvre des rois, celui-ci était aux abois, sans argent, sans prestige et sans autorité ; c’est à peine si les villes qui longent la Loire lui obéissaient. La France était exténuée par les massacres, après avoir été dévastée par la peste. L’Angleterre occupait tout le Nord, la Bretagne, la Normandie, une partie de la Picardie, l’Ile-de-France et le Centre jusqu’à Orléans. Elle ravageait les campagnes et tarissait les villes. Charles VII réclamait en vain des subsides, inventait sans succès des exactions, demandait, sans les obtenir, des impôts. Personne ne répondait à ce roi dont la légitimité n’était pas reconnue ; sa mendicité humiliante restait sans réponse.
    Sa petite cour était à Chinon. Là, les intrigues, les débauches honteuses, les crimes font oublier les désastres, et l’on a des moments de gaîté lorsque des razzias apportent quelques sous à cette royauté carnavalesque. Le vin et les filles, voilà sur quoi il règne, et pour en avoir il demande de l’argent. C’est tout ce qu’on pouvait attendre de ce roi somnolent, fils d’un fou. Son portrait a été peint par Foucquet ; on peut le voir au Louvre. Voici ce qu’en dit Huysmans : « Une honteuse gueule avec un groin de goret, des yeux d’usurier de campagne, des lèvres dolentes et papelardes dans un teint de chantre. Un mauvais prêtre enrhumé et qui a le vin triste » (Là-Bas, p. 62). Voilà l’homme qui fit assassiner Jean-sans-Peur et qui abandonna Jeanne d’Arc, l’homme de qui devait naître Louis XI, plus prudemment cruel, plus opiniâtre et plus rusé. Jolie hérédité que celle de ces fils de rois !
    Gilles de Rais (Barbe-Bleue) avait levé des troupes à ses frais ; puis il eut le désir de combattre, et, comme il était riche, les chroniqueurs l’appellent « bon et hardy capitaine », ce qui n’empêche qu’ils disent aussi qu’il s’enfuit devant les Anglais. On suppose que c’était lui qui « payait » dans cette cour de gueux et que pour cela on devait lui ouvrir les bras ; il dut aider le roi de son or, en partageant ses débauches.
    C’est à ce moment que le roi songeait à se reculer prudemment vers le Midi, et c’est à ce moment aussi que parut Jeanne d’Arc.
    Ce fut à ce Gilles de Rais que Charles VII confia la garde de la Pucelle. Ce fut lui qui la suivit partout dans les batailles, sous les murs de Paris, à Reims, où, le jour du sacre, le roi le nomma maréchal de France. Il avait 25 ans.
    Vallet de Viriville accusa Gilles de trahison envers Jeanne d’Arc. Cela devait être, cela ne pouvait pas manquer de se produire. Un homme qui est « brave capitaine » et « bon chrétien » a en lui l’étoffe d’un traître.
    Après la mort de Jeanne d’Arc, nous le retrouvons enfermé dans le château de Tiffauges. Il a 26 ans. Ses méfaits vont commencer : c’est l’âge.
    Mais il se fait d’abord lettré et artiste. C’est aussi l’âge. Il va commettre ses crimes avec cette fausse religiosité qu’on appelle mysticisme ; il va se faire un délicat, un savant du crime, il va mettre du raffinement dans le mal, alors que de son temps on était franchement brute.
    Il compose un traité sur l’art d’évoquer les démons ; il aime la musique d’église, les objets rares ; il est érudit (à la façon du temps), latiniste, il possède une bibliothèque extraordinaire pour le temps. Il a parmi ses manuscrits Suétone, Valère Maxime, Ovide. Mais est-ce pour les lire ou pour faire parade de sa richesse ?
    Cependant, on dit qu’il aimait ses livres, qu’il les emportait en voyage. Il les faisait enluminer par un certain Thomas. Il aimait les repas épicés, les vins ardents, les bijoux, les pierreries. Il avait une garde de plus de 200 hommes, chevaliers, capitaines, écuyers, pages, qui avaient eux-mêmes des serviteurs magnifiques. Le luxe de sa chapelle était inouï, celui de sa collégiale était fou. Dans ce château de Tiffauges où se tenait toute cette cour bizarre résidait aussi son clergé, composé de doyens, vicaires, trésoriers, chanoines, clercs, diacres, écolâtres et enfants de chœur. Il s’entoure aussi de magiciens et de sorciers, il fait un pacte avec le diable par l’entremise d’un prêtre de Florence, le fameux Francesco Prelati, il immole près de 200 enfants en holocauste aux puissances infernales.
    Et cet homme ne fut pas une exception, il fit école.
    Sa table était ouverte à tout convive. De tous les coins de la France, des caravanes s’acheminaient vers son château, où tous trouvaient une hospitalité princière. Il se ruina à ce jeu en moins de 8 ans.
    Sa femme se plaignit à Charles VII, qui lança contre lui des lettres patentes, l’empêchant de Vendre et d’acheter ; c’était l’interdiction du temps.
    Alors il se jeta dans l’alchimie, la science à la mode, espérant y trouver le moyen de faire de l’or.
    Il appelle près de lui des sorciers, « les plus exquis scélérats », des alchimistes, les savants du temps, qui ne sont, disent les manuscrits, que de vulgaires parasites, de bas filous ; ils entourent Gilles et leur science déteint sur lui.
    C’est par cette voie qu’il tombe dans le crime. Il égorge les enfants, les viole ; il dépasse en faste et en débauche tout ce qui avait été fait jusque-là ; sa vie est faite d’opulence et de meurtre. Il aimait la potence et faisait « brancher » tous les Français relaps qu’il trouvait dans les camps anglais.
    Avec cela, doué d’un orgueil formidable. Il dit au cours de son procès : « Je suis né sous une telle étoile que nul au monde n’a jamais fait et ne pourra jamais faire ce que j’ai fait. » Il fut, en effet, le plus beau type du mal.
    LIEN


    • Bonjour @Étirév et merci pour votre commentaire intéressant qui complète cet article.


    • Seth 21 mai 13:19

      @Étirév

      l’homme de qui devait naître Louis XI, plus prudemment cruel, plus opiniâtre et plus rusé. Jolie hérédité que celle de ces fils de rois !

      Pour si bien connaître ce L. XI, je suppose que vous avez du lire les Mémoires de Commynes. Mais non, suis-je bête ! Vous ne vous permettriez pas ces comparaisons hasardeuses.

      Pour votre science sur le Moyen Age, je vous engage à lire Régine Pernoud, même si elle est un peu oubliée. Tout comme sur l’Egypte vous auriez profit à lire Desroches Noblecourt plutôt que Christian Jacq, etc, etc...

      De même qu’il serait bon que vous définissiez ce que vous entendez par le terme vague de « satanisme », et ainsi de suite.


    • chantecler chantecler 21 mai 13:56

      @Étirév
      Ce qui est curieux c’est le retour et l’utilisation massive aujourd’hui du concept , du qualificatif de « satanique » .Par exemple dans certains commentaires de certains sites où le mot est utilisé sans complexe .

      Ca me laisse perplexe : « satanique » ça fait référence au diable et le diable ça va avec le (bon) dieu , sans être sartrien .

      Donc il semblerait qu’un certain nombre de gens analysent les faits aujourd’hui sous l’angle de la croyance , de l’irrationnel, de la transcendance , et du manichéisme , « le bien et le mal absolus » ....
      Certains sont la proie et le vecteur de ce mal absolu , démoniaque ....

      Manquent les sorciers , les vampires , etc etc ....


    • Seth 21 mai 14:23

      @chantecler

      Effectivement cette idée de « satanisme » semblerait parfois de mise ici. Au point qu’on se questionne sur la condition cérébrale de certains.  smiley


    • La Bête du Gévaudan 21 mai 15:57

      @Seth

      je suis d’accord avec vous que l’emploi irraisonné de satanisme laisse songeur sur le manichéisme de notre époque... à analyser avec discernement...

      « je suis l’esprit qui toujours nie » dit-on dans le Faust de Goethe... il y a quelque chose de paradoxal dans notre époque qui semble bien plus bâtie contre le Christ qu’en-dehors du Christ...

      Le libéralisme dont je suis partisan consiste en un certain détachement ou un scepticisme... mais l’opposition forcenée induit une forme de reconnaissance implicite... comme dit l’autre, pas de Satan sans Dieu...

      donc oui, il y a une forme de paradoxe dans notre époque...


    • Seth 21 mai 16:26

      @La Bête du Gévaudan

      Nous voilà dans un drôle de jour où vous fûtes d’accord par deux fois avec moi.

      Mais faites quand même attention à l’emploi du mot « libéralisme », il est quasiment gauchisse dans son sens anglais et hors économie.  smiley


    • La Bête du Gévaudan 21 mai 21:27

      @Seth

      Le libéralisme, au sens de la tolérance morale et civile, n’existe qu’à l’intérieur d’un cadre établi, d’une tradition. Le libéralisme s’adosse nécessairement à une forme de conservatisme. C’est ce que ne comprennent pas ou ne veulent pas comprendre les gauchistes.

      Tant que l’autorité de « l’ancienne vérité » demeure admise comme référence, alors la tolérance même très étendue peut se mettre en place. C’est Georges Brassens raillant les curetons et les patriotards. C’est un jeu à l’intérieur d’un cadre donné. Mais dès qu’on veut mettre en place une « nouvelle vérité », alors la tolérance cesse et la guerre survient.

      Le liberalism dont vous parlez est le social-libéralisme. C’est un socialisme à la sauce libérale, une variante du constructivisme socialiste. Il vit dans l’illusion relativiste que le caprice de chacun peut devenir la norme de tous. C’est évidemment la porte ouverte à l’anarchie, à l’arbitraire des minorités et des extrêmes, et pour finir à l’autoritarisme de l’état pour éviter le chaos.

      Le libéral sincère est opposé à ce maximalisme qui conduit à l’abolition de la liberté. Notre époque nous en donne chaque jour le miroir crépusculaire.


  • juluch juluch 21 mai 21:55

    Gilles de Rais....on en aura écrits des ouvrages sur lui comme on en a écrits sur La Comtesse Báthory.

    Il y eu meme un écrivain qui l’a réhabilité.....en canulars !


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