mardi 20 mai - par C’est Nabum

Au fil de la plume…

 

Un drôle d'oiseau de nuit

 

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Las de tourner en rond durant la nuit à ressasser des mots insidieux ou des phrases entêtantes qui aimeraient se métamorphoser, cesser d'être des tourments pour se glisser enfin sur le papier, s'apaiser quelque peu sous le joug impitoyable de la syntaxe et de l'orthographe, se parer de formes plaisantes et d'une petite musique intérieure, l'insomniaque se promet de se lancer dans la grande aventure de l'écriture.

Homme moderne, à son réveil, c'est vers son clavier qu'il se penche, histoire sans doute de mettre quelques doigts dans un engrenage singulier pour un clavardage intime entre son esprit et un écran impersonnel. Il se heurte alors à cette verticalité de la page virtuelle qui s'oppose au besoin impérieux qu'ont les mots de se poser calmement sur une feuille de papier. De guerre lasse, il comprend qu'il lui faut mettre le pied à l'encrier et renoncer à cette pratique numérique sans âme.

Le voilà qu'il se saisit d'un stylo bille et d'une feuille pour retrouver le geste ancestral de l'écriture manuelle. Il ne s'en satisfait pourtant pas. L'outil glisse sans bruit, sans cette accroche avec le support qui donne tout son sel à la pratique. C'est à la plume qui lui faut rédiger ce qui a envahi ses pensées. Il en est convaincu.

Cependant, comment se plier aux injonctions d'un sergent major ? La création littéraire n'est qu'un combat intime et n'a rien d'un champ de bataille. Pour s'envoler, se libérer du poids de ses ressassements, c'est avec une plume véritable qu'il convient d'entrer en écriture. Si cette évidence s'impose à lui, il pressent que le choix de l'animal influera durablement son inspiration.

Ce n'est guère original, il se tourne spontanément vers la plume d'oie. La tradition sans doute, une forme insidieuse d'imitation des grands anciens lui vaut ce choix spontané. Il se met alors à l'ouvrage et ne trouve rien de mieux que d'écrire : « Il était une oie ! ». Il comprend alors que le choix de la plume n'est pas anodin et qu'il influence la nature même de la création.

Se tournant vers la basse-cour, c'est un canard qui lui cède une plume. Choix curieux ou réaction facétieuse, ce ne sont plus des mots qui apparaissent sur la feuille mais des notes de grande portée. Ignorant tout du solfège, il lui faut chercher un autre plumage pour son ramage intime. Un paon passe non loin de là. Il s'enthousiasme à l'idée d'user d'un si magnifique parement. Chose curieuse, il écrit des histoires de bicyclettes avant, soudainement, de se tourner vers un spiritisme que le surprend. L'idée n'était pas bonne.

Il rêve d'écrire en couleur et c'est un perroquet qui devrait lui en donner l'occasion. Si l'encre se plie à ce curieux désir, les phrases qu'il glisse sur le papier lui sont familières. Bien vite il comprend qu'il se contente de répéter sottement des grands auteurs, se faisant ainsi vulgaire plagiaire. Il se précipite alors dans la nature pour trouver d'autres supports.

C'est une mouette qui lui cède une plume. Il découvre avec stupeur que son inspiration prend alors une méchante tournure. Ces phrases sont assénées avec virulence, elles tombent de haut, agressives, hostiles. Il houspille avec véhémence ses contemporains. Le pamphlet le conduirait dans l'enfer des écrivains. Il repousse cette idée.

D'autres plumes constituent encore des échecs cuisants. La colombe lui ferait écrire des romans à l'eau de rose, la corneille des prophéties incertaines, la cigogne des avis de naissance, le corbeau des avis de décès, l'hirondelle des textes ésotériques, la pie des histoires d'argent, la grue des textes érotiques et le martinet des envolées lyriques interminables. Il lui fallait prestement renoncer à l'écriture aviaire, bien trop contraignante en somme.

Désespéré, il revint vers son clavier et à bout de force et d'inspiration, il songea qu'une plume d'ange aurait satisfait pleinement à son désir mais faute de pouvoir atteindre cette chimère, il confia son âme au diable en se laissant guider par l'intelligence artificielle. C'est ainsi que ce drôle d'oiseau devint un écrivain à succès éphémères qui ne laisseront aucune trace dans la littérature véritable.

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2 réactions


  • Seth 20 mai 13:53

    Pour en revenir à la réalité crue, écrire à la main devient de plus en plus difficile, fut-ce avec un stylo-bille.

    J’avais tenté de ré-écrire à la Sergent-Major, pas moyen : ça accrochait et ça postillonnait partout.  smiley

    Mais il est vrai aussi qu’il existait en ce temps là 2 types de papier et on écrivait de préférence sur papier satin ou velours me rappelle plus (mais ça c’était au temps des cahiers Clairefontaine) et au crayon à papier sur papier brouillon. Perso je n’ai écrit au Bic qu’à partir du CM2.


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