samedi 12 novembre 2022 - par rosemar

Manon Lescaut : quelles visions du monde ?

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Présentation : le roman raconte une histoire d'amour entre un noble et une jeune fille légère. Ce roman très célèbre a connu un succès de scandale : les journaux de l'époque qualifient le héros d'escroc, l'héroïne de catin ou de prostituée. Un fils de bonne famille est ensorcelé par une fille de joie !

 

Quelles sont les visions du monde présentes dans ce roman ?

I Ce roman est d'abord le reflet d'une époque : la Régence (début du 18ème siècle), une période libertine, débridée.

Louis XIV meurt en 1715 : c'est la fin d'un long règne qui s'achève dans l'austérité, la tristesse. Louis XIV représentait l'absolutisme, le conformisme, un catholicisme rigide et étroit.

A la mort du roi, Philippe d'Orléans devient régent : on assiste alors à une libération des moeurs. Le grand argentier Law, un écossais, invente le papier-monnaie, la banque, le crédit, c'est le début du capitalisme moderne.

 

1) Importance du plaisir, du luxe

Manon représente bien ce goût du luxe : elle a sans cesse besoin d'argent. C'est l'époque où le peintre Antoine Watteau met en scène dans ses tableaux des couples dans des habits somptueux en train de se distraire...

2) Le goût du jeu

On s'adonne au jeu avec frénésie : les pertes d'argent sont pour certains si grandes que certains jeux sont interdits par ordonnance. Les maisons de jeu clandestines se multiplient. Des joueurs ruinés se suicident.

 

3) Les déportations en Louisiane

La Louisiane, nouvelle colonie récemment conquise par Louis XIV doit être peuplée : des femmes, des prisonnières, des prostituées sont envoyées en déportation pour peupler cette colonie. Le transport de ces femmes a lieu dans des charrettes : l'embarquement se fait au Havre de Grâce ou à La Rochelle. Des gravures de l'époque représentent ces convois de déportées.

Au début du roman, le Marquis de Renoncour voit pour la première fois Manon dans l'un de ces convois.

4) Les personnages du roman symbolisent bien cette époque

Manon est coquette, avide d'argent, de plaisirs, elle ne supporte pas le manque, la pauvreté.

Des Grieux lui-même subit l'influence de Manon : il enfreint la loi à plusieurs reprises : vol, tricheries, meurtre.

L'argent est un thème essentiel dans le roman.

II La vision du romancier transforme les faits et les personnages.

1) Si les personnages s'insèrent dans un cadre réaliste et une époque précise, ils sont aussi idéalisés et deviennent des symboles.

Les deux héros ne sont jamais décrits longuement ( à la différence des héros de romans du 19ème siècle ).

Le lecteur ne voit pas Manon : elle est simplement charmante, il s'agit d'exalter l'imagination du lecteur qui a une connaissance lyrique du personnage.

Manon et Des Grieux symbolisent la passion amoureuse : un couple idéal, ravissant, émouvant, malgré tout.

2) Les faits et les lieux sont aussi idéalisés, embellis ou stylisés.

L'évocation du convoi des déportées reste très sobre. Manon elle-même en haillons rayonne, elle attire tous les regards.

Les maisons de jeux ou tripots sont évoqués dans un langage noble, élégant : on parle "d' Académie."

La prison, ( l'hôpital de la Salpêtrière ) n'est pas vraiment décrite : elle est d'ailleurs transformée grâce à la présence de Manon : elle devient un palais, "Versailles."

Prévost transfigure la réalité : il utilise souvent un langage noble, un style classique, plein de pudeur... l'amour embellit tout, transforme les êtres et les lieux.

III Quelle est la signification de l'oeuvre ?

1) C'est apparemment une oeuvre morale : au 18ème siècle, la religion exerçait encore toute son influence, la morale religieuse occupait une place importante.

La religion jouait un rôle essentiel : les précepteurs, les maîtres étaient souvent des religieux. L'abbé Prévost est lui-même un ecclésiastique.

Le récit a une valeur morale : la passion conduit Des Grieux vers la déchéance. A la fin du roman, Manon est punie, elle meurt en Amérique.

On perçoit encore l'influence de la littérature du 17ème siècle et de ses auteurs dont la devise était "Instruire et plaire". Prévost montre les dangers de la passion amoureuse de manière plaisante, à travers un roman d'aventures aux multiples péripéties.

2) Pourtant, le message est plus ambigu 

La passion amoureuse est aussi valorisée : les héros attirent la sympathie de nombreux personnages, Tiberge l'ami fidèle de Des Grieux, l'homme de qualité, ou encore l'administrateur de la prison, M. de T.

La plupart des personnages secondaires aident le couple en perdition.

Le sujet lui-même était audacieux à l'époque : un noble s'éprend d'une fille des rues qui l'entraîne dans la déchéance.

 

Conclusion :

On perçoit dans ce roman un monde en train d'évoluer sous la Régence : le plaisir, l'argent occupent une place importante. Le monde semble se libérer aussi du carcan de la religion.

Manon et Des Grieux sont, en ce sens, des héros modernes, ils revendiquent une certaine liberté de vie, de moeurs.

De plus, les romanciers dépassent souvent le contexte historique et social pour donner à leur oeuvre une valeur universelle : Prévost se livre à une réflexion universelle sur la passion amoureuse, il nous en présente à la fois les dangers et les attraits.

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Le blog :

http://rosemar.over-blog.com/2022/10/manon-lescaut-quelles-visions-du-monde.html

 



11 réactions


  • Clark Kent Clark Kent 12 novembre 2022 09:59

    c’est vraiment très zintéressant


    • rosemar rosemar 12 novembre 2022 22:36

      @Clark Kent

      L’oeuvre est au programme de la classe de première : j’espère que cet article sera utile aux élèves qui préparent le BAC...


  • Decouz 12 novembre 2022 10:02

    https://www.babelio.com/livres/Craveri-Les-derniers-libertins/886676

    extrait d’une note d’un lecteur :

    Au 18eme, la notion de libertin est beaucoup plus complexe et beaucoup plus riche. 

    - il concerne d’abord des aristocrates ou la grande bourgeoisie : ils ont accès au centre de la vie : la cour royale.

    -- Ils doivent posséder trois qualité principales : un « physique propice » ( Mme du Barry), l"art de la conversation, exercice périlleux qui demande évidemment le sens de l’éloquence et de la répartie mais aussi une grande érudition et surtout une grande ouverture d’esprit notamment envers les idées nouvelles propagées par les intellectuels de l’époque. Mais surtout une grande « hauteur d’âme » ( MMe de Stael)...Cet essai intelligent nous montre, encore une fois, ce que l’anachronisme à de dangereux : chez ces aristocrates libertins, il y avait des gens biens qui ont fait honneur à notre pays.


    • Clark Kent Clark Kent 12 novembre 2022 10:41

      @Decouz

      Le sens du mot « libertin » au 18ème avait déjà été perverti par rapport à l’usage qu’on en faisait au 17ème, et pour cause : le courant libertin dont le chef de file était Théophile de Viau consistait avant tout en un athéisme aristocratique ; la « débauche » n’était qune des conséquences possibles ce positionnement idéologiquepar la remise en cause radicale de la morale chrétienne.

      Le Dom Juan de Molière n’est pas le fruit du hasard : le héros est avant tout athée, avant d’être séducteur, or la postérité n’a retenu que le dernier aspect qui est secondaire. Ce n’est pas par hasard non plus si ce jeune noble est terrassé par la statue du commandeur, symbole de l’ordre étable qui se révèle plus puissant que toute rébellion.

      Le glissement du signifié du mot « libertin » de « contestataire » à « dissolu » au 18ème siècle n’est pas non plus le fait du hasard, mais le résultat d’un travail de fond des jésuites pour discréditer un mouvement d’émancipation en le ravalant à ce qu’il avait pu, éventuellement, produire de pire. Sade a été utilisé à cette fin en stigmatisant les aspects sulfureux de son œuvre et en oblitérant ses convictions républicaines ( Français, encore un effort si vous voulez être républicains).

      Un peu comme l’image de "l’homme au couteau entre les dents" pour les bolchéviks.


    • Aristide Aristide 12 novembre 2022 11:45

      @Clark Kent

      Un peu comme l’image de « l’homme au couteau entre les dents » pour les bolchéviks.

      Ou comme les ukrainiens décrit en nazis ...

      Et pour notre compte Poutine fait dans la dentelle, « L’Occident est dangereux, agressif, immoral, raciste, aveuglé, sale, sanglant et néocolonial ».


  • ZenZoe ZenZoe 12 novembre 2022 15:51

    Tiens, le niveau semble plus élevé que d’habitude. Comme si on passait brusquement de la 6ème à la terminale.


  • phan 13 novembre 2022 06:34
    Manon a un petit creux et Manon a deux petites croix !

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