vendredi 23 septembre 2022 - par C’est Nabum

S’exposer

 

Sortir du cadre

 

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Il y a des paradoxes qui méritent qu'on les décrivent à traits grossiers afin d'esquisser les mystères qui régissent cette curieuse volonté de se produire en public. Que ce soit par le truchement d'une création plastique ou par la mise en danger de son propre corps devant des spectateurs toujours prompts à tirer sur tout ce qui bouge, l'artiste s'expose bien plus qu'il n'expose son savoir faire et son expression artistique.

C'est d'abord lui qu'il place au centre de la lumière, avec ou sans projecteur, c'est lui ou son double,qui se trouve sur le devant de la scène. Devant les regards inquisiteurs des quelques personnes qui lui ont fait l’aumône d'une attention, il risque gros et en premier lieu, non pas les balles perdues mais plus précisément les dos qui se tournent, les passants qui ne s'arrêtent pas, les indifférents pour qui il n'est qu'une toile de fond, les malotrus qui font comme s'il n'existait pas.

L'artiste espère un peu de considération lui qui expose sans pudeur l'arrière cour d'une âme qui lui en fait voir de toutes les couleurs. Interrogations, doutes, inquiétudes, craintes, peurs sont les sujets qu'il tente de coucher sur la toile ou dans ses œuvres, de mettre en scène afin de partager sa vision du monde sans fard ni retenue.

Cette exposition serait d'une totale vacuité s'il y avait, dans l'assistance, des êtres attentifs qui sont en mesure de traquer sa personnalité, de lire dans ce qu'il propose la profondeur de sa personnalité, la substance même de son discours. Hélas, ou fort heureusement, ces esthètes éclairés sont rares. Le plus souvent, les curieux se contentent simplement d'en rester à la surface des choses, s'en prendre la peine d'aller au-delà du visible afin de pénétrer le sensible.

Exposer suffira, s'exposer n'est certes pas de mise quand le picorage est la règle du côté des invités qui viennent surtout pour un vernissage, quelques petits fours et l'occasion de croiser de nombreux amis. Le bavardage et la déambulation sont préférables à l'arrêt sur image, à l'introspection d'un tableau, à la contemplation d'une sculpture, à l'admiration silencieuse d'une œuvre, au décryptage d'un discours sous quelque forme que ce soit.

L'expression du visiteur ne sera alors constituée que de fadaises aimables, d'un enthousiasme de façade, de propos convenus qui viendront mettre du vernis afin que seul le locuteur de passage brille en société. Il est important pour lui de sortir le mot qui fera date, la formule qui accrochera tous ses comparses, la comparaison qui servira de piédestal à l'artiste.

Puis, on fermera le ban, la foule se retirera et rien de cette chair qui a été mise en avant n'aura été évoquée par les picoreurs de l'instant. L'artiste restera en tête à tête avec lui-même, poursuivant inlassablement cette conversation intérieure dont il livre ici quelques bribes. Il s'est exposé sans avoir été dévoilé ni même compris. Il s'est mis à nu sans que quiconque l'ait remarqué.

D'autres ont compris et se refusent à l'indifférence. Ils franchissent le pas, se mettent en danger, font de leur propre corps l'enjeu de leur création. Ils confondent l'art et le spectacle, faisant alors performance pour attirer les regards, toucher les adeptes de l'enthousiasme convenu. Ils se perdent dans une démarche qui n'a plus rien à dire sur le fond des choses, ils sortent du cadre pour céder à la vacuité de cette société.

S'exposer c'est continuer inlassablement d'espérer qu'un regard, rien qu'un seul, se posera un jour sur sa production en s'exclamant : « Je t'ai compris ! Je t'ai découvert ». Si des artistes attendent simplement la vaine promesse d'une vente, ils s'exposent à bien des désillusions. L'art n'est pas marchand, il prend date avec l'avenir sans jamais exposer son auteur à la renommée, à la richesse, à la gloire. Ces vains espoirs qui deviennent fardeaux tout en exposant ceux qui en bénéficient au risque de n'avoir plus rien à dire.

À contre-jour.



13 réactions


  • Clocel Clocel 23 septembre 2022 09:11

    « Mettre le dedans dehors », c’est presque toujours donner du miel au pourceau.

    Deux mille et des poussières...


    • Clark Kent Clark Kent 23 septembre 2022 09:14

      @Clocel

      Sauf ceux qui ont trente-deux dents dont deux dehors suite à une rencontre malencontreuse avec une poutre malintentionnée.


    • C'est Nabum C’est Nabum 23 septembre 2022 09:16

      @Clocel

      Des poussières que sont des toiles


    • eau-mission eau-mission 23 septembre 2022 10:46

      @Clocel

      L’institutrice de nos enfants a aussi les cheveux blancs. Suis pas mélusine, mais je me demande si c’est un hasard que vous nous proposiez « la petite école » au moment où j’évoque Yolande : une agrégée 6ème classe, ça se voit encore ?

      Signé : un jeune grand’père


    • eau-mission eau-mission 23 septembre 2022 12:35

      @eau-mission

      ... en classe de 6ème ...


  • Clark Kent Clark Kent 23 septembre 2022 09:12

    Sur l’affiche j’ai lu « exposition solidaire ».

    La juxtaposition des deux mots m’a fait penser à la définition du surréalisme par Lautréamont dans « Les Chants de Maldoror » : "Beau comme la rencontre fortuite sur une table de dissection d’une machine à coudre et d’un parapluie."

    Il arrive que le fait de mettre ensemble des mots qui n’ont rien à voir l’un avec l’autre produise un effet poétique ou une image illusoire à défaut de sens, comme le « commerce équitable ». On peut même transformer un substantif comme « citoyen » en adjectif pour transformer les attributs et qualités du mot qu’il accompagne : une initiative « citoyenne » pour faire croire aux électeurs que ce sont eux qui ont pris les décisions imposées par les élus, « rassemblement citoyen » pour désigner les grand-messes ripoublicaines.

    Mais dans le cas présent je ne saisis par le sens produit par cette prise en otages de mots innocents.


    • C'est Nabum C’est Nabum 23 septembre 2022 09:17

      @Clark Kent

      Je n’y suis pour rien
      J’apporte ma contribution par la lecture de ce texte à l’inauguration


    • Yann Esteveny 23 septembre 2022 09:29

      Message à Monsieur Clark Kent,

      Les mots sont devenus des produits de marketing du mensonge permanent qui trahissent le vide humain. Il fut un temps où les mots cherchaient le vrai mais par le mot magique « conspirationniste » ils n’ont plus eu droit de cité.

      Respectueusement


    • Clark Kent Clark Kent 23 septembre 2022 10:16

      @Yann Esteveny


      Les mots peuvent dissimuler un pouvoir de nuisance sous un aspect séduisant, et en particulier par le recours aux figures de rhétorique comme le glissement sémantique, l’euphémisation et les « éléments de langages » auxquels la communication politique et publicitaire nous habituent dans le but de changer progressivement nos perceptions et comportements.

      Grâce au « politiquement correct », le « réfugié » se transforme en « migrant », la « récession » en « croissance négative », le « salarié » en « collaborateur », le « sous-traitant » en « partenaire », le « pauvre » en « défavorisé ». Cette manipulation du langage fondée sur la virtuosité de la langue de bois et les effets pervers des détournements de sens sont les outils les plus puissants des stratégies de domination.

      « Avec les mots on ne se méfie jamais suffisamment, ils ont l’air de rien les mots, pas l’air de dangers bien sûr, plutôt de petits vents, de petits sons de bouche, ni chauds, ni froids, et facilement repris dès qu’ils arrivent par l’oreille par l’énorme ennui gris mou du cerveau. On ne se méfie pas d’eux des mots et le malheur arrive. » - Céline


    • C'est Nabum C’est Nabum 23 septembre 2022 10:34

      @Yann Esteveny

      Je fais en sorte de continuer de parler avec des mots à qui j’accorde du sens et de la valeur

      Merci


    • Yann Esteveny 23 septembre 2022 11:10

      Message à Monsieur Clark Kent,

      Nous sommes d’accord.
      https://www.decitre.fr/livres/dictionnaire-de-novlangue-9782372710183.html
      Parler vrai nous expose à la meute médiatique inévitablement relayée par la masse bien-pensante conformiste.

      Respectueusement


  • L'apostilleur L’apostilleur 1er octobre 2022 18:32

    @ C’est Nabum 

    « ...L’expression du visiteur ne sera alors constituée que de fadaises aimables, d’un enthousiasme de façade, de propos convenus qui viendront mettre du vernis afin que seul le locuteur de passage brille en société... »


    Pas facile de distinguer la sincérité d’un visiteur candide qui dit mal ce qui est si difficile à exprimer surtout à l’artiste ; le sentiment qu’il a eu à découvrir une oeuvre.


    Ecoutez des historiens, des experts, des conférenciers.... de l’art et il ne vous échappera pas que leurs discours sont généralement limités par l’éventail des adjectifs élogieux disponibles qu’ils répètent donc. On pourrait douter de leur avis pourtant bien tourné.


    Alors pour en juger, l’intonation révèle souvent la sincérité du compliment, la flagornerie ou la fadaise.


    Et puis donner son avis c’est se dévoiler, vaincre sa pudeur même pour un compliment. 


    Pas toujours facile. 


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