Une sombre affaire de plume
Sur l'écran noir de mes feuilles blanches.
Totalement déstabilisé en sortant d'une séance de cinéma, sans motif apparent, ce drôle d'oiseau se prit immédiatement de bec avec son voisin, autre spectateur, plutôt désappointé par le spectacle auquel il avait assisté. Avoir un avis divergeant sur une œuvre de fiction n'est certes pas l'occasion de s'étriper en public, l'occasion n'en vaut guère la peine. Pourtant, emporté par la passion le premier se jeta sur le second pour lui voler dans les plumes.
Une cohue indescriptible transforma la salle en une véritable volière de laquelle tentaient de s'extirper les poules mouillées, les tourtereaux et les oiseaux de mauvaise augure, ceux-là même qui avaient cosigné le scénario de cette belle et grave œuvre cinématographique. Les uns n'avaient rien demandé à personne tandis que les autres ne s'attendaient pas à pareille réaction.
La querelle d’esclandre devint pugilat. Les coups volaient de toutes parts et l'on ne comptait plus ceux qui restaient sur le carreau. Les ouvreuses durent même sacrifier les eskimos pour apporter un peu de réconfort sur quelques plaies. Le désordre finit néanmoins par se calmer, les uns et les autres finissant par regagner leurs pénates.
C'est alors que la première victime de l'algarade se rendit compte que son agresseur lui avait dérobé subrepticement quelque chose. Après réflexion, l'évidence lui sautant aux yeux, elle acquit la conviction que c'était là, la raison même de son comportement irascible. À bien y réfléchir, ce n'était du reste pas sans rapport avec le propos du film.
Rentrant chez elle, notre oie blanche se fit bien du mouron. Qu'allait devenir l'objet du délit. Il ne faisait aucun doute désormais que son agresseur allait en faire le plus vilain usage qui soit. Il y avait de quoi se faire du mauvais sang. La pauvrette entendait dégager toute responsabilité dans les éventuelles conséquences d'une disparition qui ne resterait pas lettre morte.
Elle se précipita dans le premier commissariat venu, afin de déposer une main courante, une sorte de bouteille à l'encre, auprès de poulets absolument pas cinéphiles. Elle éprouva moultes difficultés à leur faire toucher du doigt la gravité d'un forfait qui de leur point de vue n'était que des plus banals. Elle perdit même son sang-froid si bien qu'elle faillit se retrouver en cage. De victime, elle était passée au rang de coupable, de quoi perdre la tête.
Le calme revenu, elle finit par expliquer qu'on lui avait dérobé une plume, de celle dont on rédige des missives ambiguës. L'expression du reste laissa pantois les fonctionnaires du poulailler, ignorant tous le sens de ce mot. Fort heureusement, un pigeon voyageur vola à leur secours, éclairant des lanternes manquant de clarté.
Prenant le terme au pied de la lettre, ils firent leur miel d'un mot qui leur donnait du grain à moudre. Depuis quelque temps circulaient dans le pays des courriers détestables, des monceaux d'injures et de menaces, des abjections de délation honteuse et qui plus est anonyme. C'est alors que l'oie s'écria : « Mais Bon dieu, c'est bien sûr ! »
Interloqués, les fonctionnaires voulurent en savoir plus en tirant les vers du nez de cette herbivore notoire. La femelle du jars vida alors son sac, avouant que durant toute la projection elle fut importunée par un voisin au plumage noir. L'animal, fort mal élevé, avait du reste un comportement parfaitement inapproprié en ce lieu ; pensez-donc, il tenait un fromage dans son bec.
Les policiers firent alors preuve d'une surprenante et inhabituelle perspicacité dans la corporation en concluant qu'il ne pouvait s'agir là que d'un corbeau fort connu pour ces exactions dans le quartier de La Fontaine. Ils allaient s'occuper de son cas et rendre incessamment sous peu la plume dérobée à sa propriétaire.
L'affaire fut rondement menée. Le corbeau fut mis aux arrêts alors qu'il rédigeait sa première lettre anonyme. Le flagrant délit acté, son compte était bon. Personne au commissariat ne songea à demander le titre du film au terme duquel se déroula ce fait divers. Je ne puis donc vous en dire plus à mon plus grand regret.
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Dans la salle obscure se noue un drame
Lorsque le mot fin s'inscrit sur l'écran
Un corbeau, reçoit un télégramme
Qui justifie son esprit massacrant
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Que n'ai-je pas joué pas le premier rôle ?
S'indigna notre bon volatile
Avec moi, le film serait plus drôle
Soupira l'animal versatile
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Trempant une plume colérique
Dans un encrier de vitriole
Il rédigea une philippique
Sans jamais faire le mariole
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Le réalisateur jeté aux chiens
De même que tous ses personnages
Il eut été le seul comédien
Qui aurait échappé au naufrage
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L'oie repoussa cette affirmation
Se plaçant au-dessus de la mêlée
Elle était la seule sans exception
À savoir écrire sous la dictée
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Corbeau, alors de rire sous cape
De l'outrecuidante plumassière
Ses pattes d'oie, sacré handicap
Signe sa prose outrancière
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Corbeau, porte-plume anonyme
Aurait égaré le graphologue
Ainsi, de ce récit éponyme
Il revendique les dialogues
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Lorsque crie « Coupez ! », le réalisateur
Il évoque le bec de ce freux
Pas de croassements chez les acteurs
Sur la bande son, c'est vraiment affreux
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Que cet oiseau, en dépit du titre
Immédiatement, aille au diable
Il n'a nullement droit au chapitre
Sa seule place est dans les fables
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L'animal, dieu quelle tragédie
Eut beau en faire tout un fromage
Le malheureux, manu-militari
Fut violemment chassé du tournage
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