2010 au cinéma : ce qu’il fallait retenir
Incontestablement, 2010 fut une année riche en évènements cinématographiques. Retour en trois points sur ce qu’il fallait retenir.
Il est toujours difficile d’analyser une année cinématographique dans son intégralité. Le nombre de films sortant étant considérable et que, par conséquent, le visionnage de l’intégralité de ceux-ci relevant de l’impossibilité technique et financière, il parait assez prétentieux – voir mégalomane – d’affirmer qu’un film sort individuellement du lot. De plus, ce genre de classement s’avère assez restrictif, dans le sens où cette rationalisation arbitraire d’un art comme le cinéma apparait finalement comme une sorte de supercherie providentielle : on établit un classement, on élu un meilleur et on oublie tous les films que l’on a manqué. Je trouve une analyse de ce genre particulièrement simpliste et vulgaire.
Néanmoins, il semble évident que certains films paraissent nettement plus réussis que d’autres. Pour ma part, peu de chef d’œuvres en 2010 sont venus émoustiller mon imaginaire. Bien sûr, j’avoue avec sincérité que j’ai raté beaucoup de films qui auraient pu nourrir ma passion cinéphilique, notammentOncle Boonmee (celui qui se souvient de ses vies antérieures), Fantastic Mr Fox, Bad lieutenant ou encore Rubber. L’article qui suit présente ainsi ma vision du cinéma en cette très bonne année 2010, et non pas une vision universelle que je tenterais d’imposer à grand coup de titres de films en file-indienne.
Un cinéma français en grande forme : Vénus noire, Tournée, Godard et les autres
Si l’année 2010 a démarré pour le cinéma français par l’échec d’Un prophète aux Oscars (qui concourait pour le Meilleur film étranger ; récompense remportée par le décevant Dans ses yeux), la suite de l’année fut nettement plus enthousiasmante, pour ne pas dire exceptionnelle. Alors que 2009 fut, en terme de fréquentation et d’exploitation, une année de tous les records pour le cinéma français (le nombre de film français sortis – 315 – sur le territoire égalant pratiquement celui des films américains – 317), 2010 apparait comme une cuvée subtile, très diversifiée, et nettement meilleure d’un point de vue qualitatif. En effet, si le cinéma français souffre d’une profonde crise identitaire – coincé entre une américanisation grandissante et une exception culturelle à préserver – qui se traduit par une faiblesse narrative et scénique parfois regrettable, l’année écoulée prouve de la plus belle des manières que notre cinéma arrive à surpasser celui de notre confrère américain, que ce soit en terme de créativité ou de réalisation. Si les premiers mois proposèrent des films assez pauvres (Le siffleur,Une exécution ordinaire, L’immortel, etc.) ou très décevants (Gainsbourg vie héroïque, Enter the void), le Festival de Cannes fut l’occasion de voir enfin fleurir les films de l’hexagone qui viendront inéluctablement marquer leur période. Parmi eux, deux retiendront l’attention du jury mais aussi du public : Tournée (Prix de la mise en scène) de Mathieu Amalric, et Des hommes et des dieux (Grand prix du jury) de Xavier Beauvois. Si ces deux films sont, par leur forme mais aussi par leur fond, particulièrement opposés, leur destin passera par le chemin commun d’une réussite autant évidente qu’épatante. Ces succès, très médiatisés (surtout pour le film de Beauvois, qui aura même servi d’instrument politique à un Nicolas Sarkozy en perte de vitesse), s’expliquent bien entendu en premier lieu par la qualité des œuvres présentées mais aussi et surtout par leur sincérité, comportement porteur de solidarité et de réunification. Les français se sont ainsi pris au jeu des jeunes (ou pas) femmes burlesques de Tournée et à la détresse des moines de Tibérine car ces personnages sont autant passionnants que profonds, autant émouvants qu’attachants. Des histoires vectrices de passion.
Vénus noire, un film injustement boudé par le public
C’est aussi grâce à cette sincérité que Vénus noire est parvenu à s’élever au rang d’œuvre majeure. Le film d’Abdellatif Kechiche est en effet parvenu à surpasser la simplicité imposée des œuvres cinématographiques de notre époque souvent calquées sur un schéma narratif sans profondeur. Le cinéma du réalisateur franco-tunisien est, comme à son habitude, porté par une magie magnifique qui nous rappelle que le septième art est parfois capable de transformer le malsain en beauté, le tragique en sublime. Car si l’histoire très sombre du film – l’humiliation d’une femme – a inéluctablement joué un rôle dans son honteux échec commercial (entre 210 000 et 230 000 entrées), c’est cependant grâce à celle-ci que le film devient une œuvre universelle, intemporelle : issu d’une triste réalité, ce récit traité à la perfection fait entrer l’œuvre du cinéaste dans un cocon inoxydable à l’épreuve du temps et de la dégradation. Son importante longueur (2h44) que beaucoup déploreront mais qui s’avèrera inévitablement nécessaire, souligne la totale liberté d’un réalisateur libre de son art et de son discours.Vénus noire est un chef d’œuvre inespéré. La période à laquelle est sorti le film pourrait aussi expliquer son retentissant échec au box-office. En effet, en cette fin d’année, deux films en particulier sont venus perturbés le chef d’œuvre de Kechiche : Les petits mouchoirs de Guillaume Canet (4.3 millions d’entrées, plus important succès français de l'année) et Potiche de François Ozon (2.2 millions d’entrées au 28 décembre 2010). Ces succès éclairs soulèvent l’importance qu’ont, depuis toujours, les acteurs bankable présent en tête d’affiche. Ainsi, la notoriété de Canet et de sa bande machiste (Gilles Lelouche, François Cluzet, Benoît Magimel, Jean Dujardin et Marion Cotillard) écraseront l’anonymat brutal d’une Yahima Torres incarnant avec perfection la vénus hottentote. Quant au couple (re)formé par Catherine Deneuve et Gérard Depardieu dans Potiche, leur comédie et ironie affichées auront eu plus d’écho dans l’opinion que la détresse d’une noire forcée de prostitution. Le cinéma est aussi un art du divertissement et de la comédie, et la qualité relative des deux films triomphants reste porteuse d’espoir pour l’avenir du grand écran français.
L’année déroulée est aussi une année qui aura été marquée par le grand retour d’un monstre sacré du cinéma francophone : le – trop ? – célèbre Jean-Luc Godard. Si son dernier long métrage, Film socialisme, qui fut présenté à Cannes, a reçu un accueil comme toujours contrasté – certains ont crié au génie et d’autres au désaveu –, c’est aussi par sa présence « extra-cinématographique » que le réalisateur aura marqué l’année de son empreinte. Il y a tout d’abord eu son fameux « problème grec » qui a justifié son absence au Festival de Cannes pour la présentation de Film socialisme alors que sa présence était un évènement. C’est ensuite par le biais de sa prise de position politique que le cinéaste est intervenu dans l’espace public en proclamant son soutien au Parti pirate et, par la même occasion, son combat contre la fameuse loi Hadopi. Aussi, l’Oscar d’honneur pour l’ensemble de sa carrière qui lui fut attribué en novembre dernier fut, une fois de plus, entaché par une polémique sur la présence ou non de l’intéressé – qui n’est finalement pas aller chercher son bien pour des raisons d’indisponibilité. Enfin, il y a eu cette fameuse polémique sur l’antisémitisme supposé du réalisateur, soulevé par Alain Fleischer qui affirme que Godard aurait eu des propos contraignants pendant le tournage de Morceaux de conversations avec Jean-Luc Godard. Au-delà de toutes ces fioritures abjectes, il est dommage de s’apercevoir qu’un des piliers du cinéma hexagonal est cité non plus pour ses œuvres mais pour ses fausses frasques. Cependant, le réalisateur de Pierrot le fou, désormais âgé de 79 ans, prouve avec toutes ces péripéties que son personnage, tout comme ses œuvres, traverse le temps de façon étonnante. La preuve qu’il reste indéniablement un véritable monument. Un coffret exceptionnel de neuf films du réalisateur (dont Bande à part et Sauve qui peut (la vie)) est d’ailleurs sorti en cette fin d’année aux éditions Gaumont.

Jean-Luc Godard et son Film socialisme auront marqué 2010 de leur empreinte
Des films français qui ont aussi fait l’actualité : L’homme qui voulait vivre sa vie, Hors la loi, Les amours imaginaires (Québécois mais francophone), Dog pound, Enter the void.
Le cinéma américain : entre pauvreté cinématographique et rares réussites
Si le cinéma français a indiscutablement proposé une vision réjouissante de sa personne, on ne peut pas en dire autant du cinéma hollywoodien. Bien sûr, il y a eu Christopher Nolan et son incroyableInception, particulièrement bien ficelé et, d’un point de vue scénaristique, très novateur. Shutter Island, de Martin Scorsese, et The social network de David Fincher, ont aussi rassurés une industrie en mal d’inspiration (lire le dossier sur la crise hollywoodienne). Mais au-delà de ces succès instantanés et finalement prévisibles, la véritable sensation américaine de l’année fut A serious man des frères Coen. Car la profondeur du film, jonchant entre un humour ironique et une fatalité terrifiante, prouve que les deux talentueux réalisateurs font parti des plus talentueux de leur génération. Alors que le grotesque de Burn after reading contrasté avec la noirceur de No country for old men, A serious man pourrait représenter la vision parfaite du style « coenien » – issu d’une alchimie improbable d’opposition. Cette impressionnante maitrise de la narration et de la réalisation est d’une incroyable réussite.

A serious man, un des meilleurs plaisirs américains de l'année
Derrière ces quelques réussites, le cinéma américain fut néanmoins frappé par une terrible médiocrité au vu du nombre impressionnant de films sortis. Les mauvais blockbusters se sont incessamment enchainés – Le choc des titans, Prince of Persia, Serlock Holmes, Alice au pays des merveilles, SALT, Night and day, Burlesque, L'agence tous risques – et le paradigme de la 3D est définitivement avorté : le procédé est en effet très souvent pitoyable, pour ne pas dire indécent, et ressemble à une vulgaire provocation marketing. L’arrivée de versions 3D des six épisodes de la saga Star Wars en 2012 semble être l’exemple le plus significatif de cette tentation financière.
En vrac, des films américains qui méritaient aussi l’attention : Kaboom, Another year, I Love You Phillip Morris, Robin des bois.
Une année nommée Violence

2010, une année cinématographique violente. Ici, Ajami.
En sortant de la projection de Le quattro volte, réalisé par l’italien Michelangelo Frammartino, on a l’impression d’assister à une rare expérience vécue ces derniers temps : le film est en effet teinté d’une extraordinaire douceur ; douceur qui ne fut que peu présente en cette année 2010. Evidemment, il y a eu Toy Story 3 des studios Pixar ou Megamind de Dreamworks, qui sont venus apporter leur sublime touche humoristique à un ensemble qui parait d’une profonde noirceur. Car dès janvier, le virtuose Bong Joon-ho a imposé avec son magnifique Mother un important pathétisme en présentant l’histoire d’une mère et d’un fils victimes d’une violence morale et physique fatalement envahissante. Un récit terrible pour un film extraordinaire qui rappel Poetry de Lee Chang-Dong, aussi coréen mais nettement moins réussi.
Plus brutal, Breathless, d'un autre coréen, Ik-june Yang, narrait une violence personnifiée en la personne de Sang-hoon, jeune citadin marginal. La prouesse technique et scénique du réalisateur – mais aussi acteur – faisait du film l’une des meilleures surprises cinématographiques de l’année. Dans un autre genre, Ajami, conte contemporain de Scandar Copti et Yaron Shani, ainsi que Femmes du Caire, de l’égyptien Yousry Nasrallah, présentés une violence encore plus cruelle : la mort d’un enfant pour Ajami, les violences conjugales pour Femmes du Caire. Quant à Des hommes et des dieux, son difficile pessimisme canalise toute la violence d’un film baignant dans une touchante amertume.La diversité culturelle des films traitant le sujet souligne que cette répugnante morbidité reste un thème privilégié du cinéaste. Comme si la violence était, fatalement, une fin inévitable de notre monde civilisé.