26 siècles d’éducation à Marseille – Partie 2
Amis de l’histoire, amateurs de cette chronique rédigée par le fils spirituel d’Alain Decaux et du Père Castor, je vous salue. Cette semaine nous poursuivons notre voyage à travers les 26 siècles d’éducation à Marseille, cette vile ville d’épiciers et de marchands dont le niveau intellectuel, à en croire certains, ne dépasserait pas le stade du Morandini.

Résumé de l’épisode précédent : Massalia est une cité éminente par la qualité des professeurs qui y dispensent des cours aux jeunes Grecs et bientôt aux jeunes Romains.
Après les Invasions Barbares et le déclin économique qui s’en suit la ville est en crise, l’éducation aussi, c’est uniquement grâce au clergé catholique que la connaissance se transmet et que les écrits se diffusent. De la fin du Moyen-âge jusqu’à la Révolution l’éducation va toucher de plus en plus largement les populations grâce aux écoles subventionnées par la ville mais également grâce au développement de la charité privée à destination des jeunes de familles pauvres. L’ascenseur social commence à fonctionner, mais tout le système éducatif est entre les mains du clergé qui ne se prive pas de dispenser un enseignement empreint de dogme et de morale.
A la veille de la Révolution, les mentalités ont évolué et une grande importance est désormais accordée à la connaissance et donc à l’éducation. Les cahiers de doléances de Marseille comportent déjà la demande « d’égalité de tous pour l’éducation ». En 1791 leur vœu est exaucé avec l’adoption d’une constitution qui instaure la gratuité des enseignements jugés indispensables puis un décret du 29 Frimaire An II (19 décembre 1793) ainsi que l’obligation d’aller à l’école pendant trois ans pour les enfants de 6-8 ans. Les clercs enseignants doivent obligatoirement jurer fidélité à la Constitution Civile du Clergé sous peine de se voir remplacés par des « citoyens éclairés ». Comprenez des partisans de la Terreur révolutionnaire qui sévit partout en France en 1793.
A Marseille, il y a 22 instituteurs et 27 institutrices, la parité avant l’heure. Quoi qu’à y voir de plus près il y a une explication : le métier est encore peu recherché car mal payé (déjà), les femmes y ont donc plus facilement accès mais elles sont payées 15 livres par élève contre 20 livres pour les instituteurs hommes. A l’époque, déjà, les instituteurs se réunissent pour réclamer des augmentations de salaire, d’autant plus qu’il leur est défendu de donner des cours particuliers en sus. Une des conséquences de ces médiocres émoluments est l’attraction de trop nombreux candidats au faible niveau de compétence, incapables d’écrire correctement, comme cette institutrice citée dans un ouvrage historique : « Liste des petites sitoyenne que jay aus écolle primaire dans la reu canonge », Bernard Pivot pourrait en mourir s’il lisait !
En cours on enseigne de manière différente d’aujourd’hui : les élèves sont pris tour à tour individuellement pour la leçon, il n’y a pas de cours simultané. Le contenu des programmes se veut radicalement différent de l’Ancien Régime, le catéchisme est remplacé par un cours de « Droits de l’Homme et Constitution ». Mais tout comme l’école de jadis élevait les bambins dans l’adoration de Dieu, l’école post-révolution les élève dans l’adoration des idées révolutionnaires et de la République, le dogme est privilégié sur la réflexion. Il n’est donc pas étonnant d’apprendre que certains riches notables marseillais tiennent des écoles clandestines pour ne pas corrompre leur progéniture par les idées révolutionnaires, bien que cela soit interdit par la loi.
Le Directoire puis l’Empire vont être des périodes de développement de l’enseignement secondaire. Bien que la période commence mal avec l’ouverture de l’Ecole Centrale des Bouches-du-Rhône à Aix-en-Provence au lieu de Marseille, notre ville va connaître des initiatives bénévoles d’enseignement comme l’Ecole du Musée fondée par des responsables du Musée des Arts de Marseille et qui propose un programme identique à celui d’Aix. Mais l’évènement le plus marquant est la création par Napoléon Ier du Lycée de Marseille dans l’ancien couvent des Bernardines en 1803. Le but est de fournir à la nation des cadres bien éduqués capables de la diriger dans la stabilité et selon des principes fixes. Cet établissement n’est autre que l’actuel lycée Thiers, situé entre la Canebière et le Cours Julien. L’organisation y est militaire : les meilleurs élèves sont désignés caporaux ou sergent de leur section. Les pensionnaires, boursiers de l’Etat et venus de tout le territoire, portent un uniforme : habit, culotte bleue, chapeau à corne, ceinturon et guêtres. Qui aurait pu imaginer qu’à peine 200 ans plus tard le lycéen marseillais irait jusqu’à porter un jogging Lacoste jaune poussin avec baskets, chaussettes sur le pantalon et casquette posée au sommet du crâne ? Que voulez-vous, les temps changent, Mc Solaar a raison. Au niveau religieux l’Empire est un temps de détente relative puisque si le Lycée est avant tout Républicain, le culte catholique y est célébré pour la majorité des élèves tandis que les autres religions sont acceptées.
Les professeurs du Lycée sont en général d’anciens Oratoriens ou Bénédictins. Signalons enfin la spécificité marseillaise qu’est l’enseignement de l’Arabe dès 1806, puis du Grec moderne et d’autres langues vivantes pour répondre à la vocation maritime et cosmopolite de la cité.
Ensuite, vient la Restauration de la royauté, et le Lycée connaît un certain renforcement de l’influence des religieux, les professeurs jugés trop éloignés de la religion sont peu à peu écartés sous divers motifs. Les congrégations enseignantes font leur grand retour à la tête d’établissements religieux. Les bonnes sœurs, quant à elles, ouvrent des écoles pour filles. C’est un progrès mais n’oublions pas que les jeunes filles sont formées avant tout à devenir de bonnes mères de familles, de bonnes épouses à qui on enseigne « les choses de leur sexe ».
Au fil des décennies les luttes d’influence se font de plus en plus fortes entre les libéraux et les ultra-religieux. Le mot « libéraux » ne recouvre alors pas le même sens qu’aujourd’hui, il désigne la frange opposée à la religion d’Etat et favorable à la laïcité de l’enseignement. Ces libéraux sont également partisans de l’enseignement mutuel, une méthode par laquelle les élèves les plus avancés enseignent aux plus jeunes ou aux moins avancés, il faut dire que la méthode donne des résultats spectaculaires en comparaison de l’enseignement individuel.
En 1832, s’ouvre la première salle d’asile destinée à l’accueil des jeunes enfants avant l’école primaire. Puis en 1833-34 les Lois Guizot vont marquer un tournant dans la diffusion de l’éducation primaire. En effet les communes ont désormais l’obligation de rendre l’école primaire accessible à tous et en particulier aux indigents. A cette époque les deux tiers des écoliers marseillais bénéficient d’une scolarité gratuite. En revanche elle n’est ni gratuite pour tous, ni obligatoire, ni entièrement laïque puisqu’elle privilégie la cohabitation de l’enseignant laïque et religieux. En outre les quartiers périphériques de Marseille sont largement délaissés du fait de leur faible nombre d’habitant : St Menet, St Loup (1 500 habitants), La Valentine (345 habitants), etc.
Au niveau national, les évènements se succèdent avec la seconde Restauration, durant laquelle le Lycée Impérial devient Collège Royal, puis l’élection de Napoléon III comme Président de la République et l’avènement du Second Empire. La politique de Napoléon III demeure bienveillante face à l’Eglise mais également en faveur de l’enseignement libre. A la fin de Second Empire en 1871, ce sont encore 80% des garçons et 95% des filles scolarisés qui le sont avec le clergé. Les pensionnats se sont développés : St Charles Camas, Le Sacré-Coeur, St Joseph de la Madeleine, etc., De 1848 à 1870 les statistiques sont encourageantes : + 112% de garçons et + 154% de filles scolarisées, et + 192% de jeunes enfants en salles d’asile. Marseille est en avance sur le reste de la France avec 15% d’analphabètes chez les jeunes appelés en 1868 contre 30% nationalement. Le Certificat d’Etudes place Marseille également en avance de quatre ans sur le reste du pays.
En 1881-82, c’est l’avènement des Lois Ferry qui consacrent la victoire totale des laïques : l’enseignement devient entièrement public, laïc, gratuit et obligatoire. Toutefois Marseille connaît un taux d’absentéisme de 15% qui est surtout le fait des élèves de parents étrangers, ce qui ne manque pas de faire jaser les xénophobes. De 1880 à 1900 le budget municipal est multiplié par deux pour les écoles, les cantines se développent ainsi que les premières colonies scolaires de vacances dans le Champsaur et en Ardèche.
Le métier de professeur connaît un regain d’attractivité. Les programmes scolaires exaltent la patrie, l’Etat laïc, mais également le colonialisme dont Jules Ferry est un ardent partisan. Lors d’un débat à l’Assemblée Nationale il s’exprime en ces termes : « Je répète qu’il y a pour les races supérieures un droit, parce qu’il y a un devoir pour elles. Elles ont le devoir de civiliser les races inférieures. ». Comme l’a rappelé notre désormais nouveau Président de la République, François Hollande, lors de son hommage à Jules Ferry le jour de son investiture, tout homme a sa part d’ombre…
Pierre SCHWEITZER
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