À propos du conte
L'espace de tous les possibles !
La littérature orale est vieille comme la parole. L'humanité dès l'instant que ses membres ont su communiquer en parlant a profité de cette aubaine pour passer outre le simple échange de consignes ou de propos pratiques. Des humains ont répondu aux grandes questions existentielles en créant des récits qui avaient la vertu de transmettre des connaissances, de dépasser des peurs, d'ouvrir des espérances et de transcender la condition humaine.
Le conte est né autour du feu au sein de la communauté pour en tisser les liens tout en favorisant la cohésion du groupe. C'est par le truchement d'aventures épiques, mirifiques, fantastiques que l'idée de partager une épopée unique sur cette Planète a germé dans les esprits. La fiction emprunte d'éléments magiques a permis aux individus de se projeter dans une curieuse notion pour des membres soucieux uniquement d'assurer l'immédiat.
L'avenir est né dans cette forme qui semble ne se tourner que vers le passé. C'est là le point essentiel de cette forme d'expression qui semble étonnamment incomprise depuis quelque temps dans notre société si furieusement contemporaine. La formule rituelle :« Il était une fois ! » a laissé croire que cette activité ne se souciait que de se retourner inlassablement vers un avant des plus lointains.
Erreur funeste qui a privé le conte de ses desseins essentiels : se montrer subversif pour avancer en gommant les imperfections et les errements des récits antérieurs tout en mettant en garde sans cesse sur les fausses routes, les leurres et les pièges que l'existence sème sans cesse sur le trajet des individus.
La littérature orale prend les habits du passé pour ouvrir de nouveaux possibles. C'est un acte éminemment politique qui n'a pas été perçu ou volontairement gommé par ceux qui se sont évertués à laisser croire que ce n'est qu'une forme d'expression réservée aux jeunes enfants. Les bibliothécaires dans cette interprétation malheureuse ont considérablement desservi les conteurs qui s'évertuent à créer de nouveaux textes.
Il faut aussi admettre que bien des pratiquants de cette activité ont succombé à cette dérive en acceptant cette déplorable limitation, cessant de se produire devant des adultes ou se contentant de pratiquer devant des auditeurs avertis de moins en moins nombreux. Le grand public fuit des spectacles qui sont affublés de tous les défauts de la terre : ringards, dépassés, archaïques, soporifiques, pénibles, exigeants, incompréhensibles…
Il serait possible de continuer inlassablement la litanie des tares que les esprits éclairés par les seuls écrans de toute nature attribuent à ce précieux héritage littéraire. Il est vrai que leur incapacité à donner du sens en dehors du bruit et de l'image les laisse sur le bord du chemin tandis que leur capacité à donner du sens et à se concentrer plus de quelques minutes les fait sortir du cadre.
C'est donc ainsi que le conte est devenu un vecteur d'expression réservé à tous ceux qui d'une manière ou d'une autre ont échappé au terrible conditionnement de masse qui souhaite poursuivre l'œuvre assigné à l'école de fabriquer des crétins ineptes à la réflexion et à la projection. Nous pouvons mesurer les effets de cette stratégie menée par des élites qui entendent ainsi manipuler toujours plus des masses condamnées à l'état d’hébétude devant un réel qu'ils ne sont plus en mesure d'analyser, comprendre et infléchir.
Les choix politiques évoluent clairement vers cette lente fascination pour les solutions radicales, ségrégationnistes, violentes et parfaitement ineptes pour affronter les défis d'un futur imprévisible, incohérent et menaçant. Le conte devrait être cet outil d'analyse et de projection qui ouvrirait des débats, des réflexions collectives de nature à penser autrement qu'en suivant les simplifications des prophètes du malheur.