À propos du patrimoine ligérien
Question liminaire.
Lors d'une fête batelière, une charmante jeune femme menant une enquête sur le patrimoine culturel ligérien et les fêtes traditionnelles associées à ce thème, a souhaité m'interroger en me demandant en préambule mon sentiment sur la notion de patrimoine ligérien. Nous nous lançâmes ainsi dans un conciliabule savant tout en nous méfiant des mouvements d'eau sur une rivière où certaines bulles finissent par éclater. Ma réponse quoique incomplète durant l'interview mérite un retour sur propos…
En tout premier lieu, il convient de se prémunir contre un mot qui porte dans son étymologie bien des travers pervers. Le patrimoine renvoie à la notion d'héritage transmis par les pères, la racine pater ne faisant aucun mystère sur l'élimination d'une moitié de l'humanité pour transmettre quoique ce soit aux générations suivantes. Cette notion du Pater repousse plus scandaleusement notre Mère Nature qui semble ne rien nous avoir légué auprès des fondations ad-hoc.
Outre cette référence exclusive aux pères, la notion d'héritage pose naturellement question du fait de la tendance qu'ont les mauvais héritiers à dilapider ce que leurs ancêtres leur ont légué. On ne peut que déplorer cette détestable fuite en avant, résultante de cette dilapidation en règle et qu'on nomme Anthropocène. C'est ce qui risque de détruire nos civilisations et ce fameux patrimoine. La Terre quant à elle s’en sortira toujours en démontrant alors le véritable sens de la fameuse Résilience que nos pères mettent à toutes les sauces.
Ajoutons alors le terme Fondation que l'on accole au Patrimoine et l'on sombre dans une forme implicite de gestion financière de la chose. C'est alors qu'on peut imaginer un Stéphane Berne chevauchant une barrique descendant une Loire qu'on qualifiera en jouant sans cesse des truismes habituels de Capricieuse, Sauvage et Royale. C'est sans doute le dernier adjectif qui fascine nos donneurs d'ordres et de subventions…
La préservation de la rivière est le premier enjeu ou plus exactement la vaine tentative de la protéger des exactions humaines. Il y a du pain sur la planche en ce domaine tant elle a eu à souffrir dans son histoire de la survenue des humains. Je veux bien admettre que cet impératif échappe à la dimension Culturelle pour se placer dans un contexte qui dépasse largement notre problématique.
Passons donc à la fameuse culture - souvent confondue avec distraction de masse - qui préoccupe grandement les chantres d'un récit qui a besoin de têtes d'affiche pour récolter les plus gros subsides. On peut ainsi s'étonner que Léonard De Vinci et son incontournable Renaissance ont focalisé les commémorations spectaculaires et fort coûteuses en oubliant comme bien souvent la réalité du peuple et le début des bûchers quelques années plus tard. Faire culture c'est se préoccuper de l'ensemble des composantes d'une société à travers les âges à travers leur vie quotidienne, leurs traditions, les transmissions orales, les danses, les métiers, les cultes et bien d'autres éléments qui ne se trouvent pas nécessairement dans nos magnifiques châteaux. C'est aussi se pencher vers la rivière sans se focaliser presque exclusivement sur les Mariniers qui n'auraient jamais porté haut le grand chapeau de feutre sans tous les petits métiers connexes à la rivière et à son activité.
C'est encore prendre bien garde à ne pas considérer qu'un nouveau folklore musical, rendant compte fidèlement de l'esprit d'une histoire qui ne s'est d'ailleurs pas contentée de la seule grande période économique du commerce ligérien, est l'expression la plus fidèle de cette aventure. S'il est bon de divertir fort aimablement les contribuables et les touristes, il serait indispensable de préciser le cadre et de ne point les leurrer par une belle illusion. Les historiens font un louable travail qui ne parvient guère à se faire entendre parmi les foules qui se pressent lors des fêtes batelières.
Fort de ces réserves, je demeure convaincu de la nécessité d'une évocation de cette formidable épopée par le truchement d'une tradition orale revisitée, porteuse des préoccupations de l'époque contemporaine et soucieuse de restituer le cadre d'un vaste passé qu'il convient d'aborder sans aucune exclusive des différentes époques et des différentes groupes sociaux. Ceci suppose une création incessante se nourrissant du travail des historiens sans lesquels les conteurs, bateleurs, bouffons et bonimenteurs ne pourraient rien raconter.