mardi 15 avril - par DerWiderstand

André Suarès : la marge et le centre en littérature

Les éditions Nouvelle Marge viennent de publier un cahier, premier du genre, consacré à André Suarès. Il était temps car ce merlin de la littérature française (1868-1948) était en phase de transmutation fantomatique. Un auteur qu'on aime citer sans l'avoir lu. Il fallait sauver cet auteur de cette forme bourgeoise d'oubli. 

Le mérite revient à Maximilien Friche, l'éditeur. Ce dernier relève un défi d'autant plus diligent qu'il parvient à publier un ouvrage non pas sur mais avec Suarès. D'abord, la silhouette « de hibou » de Suarès apparaît à la page cinq ; ensuite, des manuscrits inédits (découverts par Stéphane Barsacq) permettent de dévoiler son être-au-monde. Ce cahier s'apparente à un document d'archive.

L'effet est saisissant ! Dans son manuscrit, l'auteur qui « voulait tout poétiser » poétise la femme en des obsessions très baudelairiennes. On se demande même si les trois majuscules illuminées du texte : M, L et L, écrits de la main de l'auteur, peuvent se lire comme Aime, Elle et Elle. En tout cas, ce texte magnifique rend hommage à la beauté de la femme. C'est dire s'il provient d'une époque aujourd'hui révolue sur la forme comme sur le fond ! En ce temps-là, les claviers et les écrans n'avaient pas encore nivelé les vallées et les monts de l'écriture, même si l'idéologie avait déjà imposé son règne.

Sur le fond, Suarès distingue la magie, le halo du charme féminin et la beauté de la femme qui lui paraît souvent factice : « Les femmes sont rarement belles », s'écrit Suarès, auteur dont « la vision est la conquête de la vie ».

Dès Le voyage du Condottière, son œuvre majeure, l'auteur remarquait d'ailleurs que « toutes les lignes cherchent avec une sorte de tendre désir à épouser l'horizon ». C'est dire si le cosmos lui apparaît comme contemplation et construction mentale. Cette phrase écrite par un Suarès habité par les paysages de l'Italie, est une de celles qui, en effet, rejoint l'horizon poétique. Elle nous laisse dans un de ces états de « suspension » que les voyageurs au long cours connaissent bien.

Le « patriotisme » de Suarès est ce que l'on peut voir depuis la colline. Telle est aussi le style de Suarès : une écriture de promontoire, mais non de podium ou de scène de théâtre. Cela nous permet de comprendre pourquoi l'auteur, en dépit de son magistère, reste aujourd'hui méconnu ; il écrivait dans une époque d'assignations filtrantes qui a empêché la voilure de son œuvre de s'ouvrir. Stéphane Barsacq écrit : « De son vivant, tout a été fait pour l'étouffer ou le diffamer ». Cela pourrait changer à l'heure d'internet puisque vous lisez ces phrases. 

En toutes occasions, souligne Maximilien Friche, Suarès recherche la beauté, mais cette quête est tout sauf idéaliste et précieuse. P18 : « La marmite des sorcières bout, mais quelqu'un sera roi ». Cette phrase aurait pu être signée par Baudelaire. De toute évidence, les deux auteurs partagent le même fond légendaire, le même « frisson nouveau », la même hauteur poétique. Suarès n'a pas besoin d'être un disciple de Baudelaire, il est phréatiquement baudelairien, tout comme Céline est phréatiquement rabelaisien. 

Quant à Suarès, je lui trouve deux héritiers contemporains ; l'un d'entre les deux, étymologiste de la langue serait Philippe Barthelet ; quand l'autre, Luc-Olivier d'Algange, serait plutôt esthète et héraldiste. Racine d'un côté, sommités fleuries de la langue, de l'autre... On peut sans doute parler entre les trois auteurs d'une inspiration, voire d'une « tradition commune » que ni Sarah Vajda, ni Valery Molet se semblent partager. Ces auteurs voguent sur d'autres fréquences.

Avec son Suarès s'éloigne, c'est Sarah et non Suarès qui, à mon avis, s'« éloigne » dans une controverse historique, charpentée et brillante, mais qui aurait impliqué un répons. Sans cette confrontation, le propos devient monologique et savant. Le plus étonnant apparaît quand Sarah Vajda va chercher chez un auteur fasciste, Brasillach : « Suarès est un homme à posture et non à allure » sa critique la plus acerbe. Elle fait une critique pour un aujourd'hui culpabilisé d'un poète diluvien mort en 1948. Quel intéret ? A cette date où se terminait une guerre idéologique et où en commençait une autre, l'entretien de la « mémoire » n'était pas encore le « devoir » repentant et qu'il est devenu. En dépit des avertissements du rédacteur : « il n'est pas fait ici d'exercice de critique » nous y sommes en plein. Bref, nous préférons la Sarah sourcière et romancière.

Quand à l'auteur de Breton pour de bon, plus littéraire, un sentiment de même distanciation érudite semble emporter le propos vers on se sait quel horizon... Là encore, où est l' « anti-ligne éditoriale » revendiquée par Maximilien Friche ? Le « caddie » transformé par notre époque en « gargouille d'église » restera néanmoins comme l'une des phrases les plus savoureuses du cahier !!

Bref, si Barthelet et d'Algange me paraissent s'inscrire dans le sillon « latéral et divisé » de Dominique de Roux, les deux autres, Vajda et Molet, me semblent s'inscrire davantage dans celui de Philippe Sollers et Philippe Roche de la revue « Tel quel ». Historiquement, les deux « Maisons », rivales mais non ennemies, eurent chacune leurs valeurs intrinsèques. Les deux manquent cruellement à cette époque d'invectives et de contre saveur que nous avons la disgrâce de vivre.

Nous remercions Nouvelle Marge de relever le défi. Simplement, il faudra que Maximilien se prononce un jour ou l'autre pour l'un ou l'autre héritage.

Je pose enfin une question : d'après vous, vers lequel, de De Roux ou de Sollers, Suarès aurait penché ?

https://www.nouvellemarge.fr/?livre=cahiers-de-la-marge-sur-andre-suares—21

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1 réactions


  • Seth 15 avril 16:42

    L’auteur pourrait-il nous expliquer pourquoi il s’appelle « Résistance » et à quoi il résiste précisément ?


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