mercredi 30 mai 2007 - par Vincent Delaury

« Angel » ou le Magicien d’Oz(on) !

"Angel" de François Ozon n’a pas eu le succès escompté, hélas. Pourtant, c’est un très bon film, alors il joue encore à Paris dans quelques salles, et peut-être, à la lecture de ma critique, cela va-t-il vous donner envie d’aller le voir ( enfin ! )... Je tiens à préciser, pour autant, que je suis ni l’agent ni l’attaché de presse de François Ozon ! Ici, ce n’est que mon humble avis, celui d’un « amateur » que j’espère éclairé. Eh oui, en tant qu’internaute/argonaute, je suis à l’affût de tout ce qui peut nous éclairer humainement via notamment l’art. En outre, la critique ciné appartient-elle seulement aux professionnels ? Internet est-il le lieu de l’amateurisme à 200% ? Que nenni ! Bref, le simple spectateur (en état critique !) que je suis va essayer de vous dire pourquoi ce film d’Ozon éclaire malicieusement notre contemporanéité très paillettes, strass et star-system XXL.

Je trouve le film d’Ozon ( Angel ), derrière le second degré et la glaciation manifestes, passionnant, je pense que c’est le meilleur film de son auteur, allant de la transparence de l’artifice au vertige de l’amour. C’est un film d’époque ( l’Angleterre - édouardienne - des années 1900 ), un film à costumes comme on dit mais qui parle énormément de notre époque Nouvelle Star. " A l’avenir, chacun aura son quart d’heure de célébrité mondiale " (Andy Warhol, 1968) : voilà à quoi aspire notre fille d’épicière, Angel, elle rêve de peoplelisation, de star system et, comme Nicole Kidman dans le Gus Van Sant ( autre grand film sur cette thématique-là ), est prête à tout pour réussir.

Sans nul doute possible, aujourd’hui, Angel serait pour les midinettes une candidate redoutable au château de la Star Academy, voisin du Paradise du film, avec pour objectif n°1 d’être... connue pour être connue. D’ailleurs, à la fin du Ozon, le seul mot de son héroïne est : " Je suis Angel Deverell ". Pas une vie vécue, juste un nom affiché comme un blason, affirmé comme une marque de fabrique, une enseigne fluo. Angel vit délicieusement enrobée dans un gros papier de bonbon, elle aime l’enflure, la saturation, les violons, les décors ampoulés, rococos à 200 %. Elle remplit de peur d’affronter le réel platounet et le vide de son existence. Elle surcharge ses très mauvais romans à l’eau de rose d’écrivains successful mais médiocres, tombant prochainement aux oubliettes ( contrairement à son amoureux, Esmé, peintre maudit, une sorte de Van Gogh bis incompris de son vivant puis atteignant in fine, lui, une postérité posthume ), comme elle surcharge sa vie de château de ses rêves - c’est sous nos yeux la vie rêvée d’un ange... criard, c’est Angel-A ( la vraie ! ), celle qui, cependant, pleurera comme une femme-enfant perdue au chevet de sa mère défunte, ici, sans amour des feintes, juste pour un temps suspendu (celui des souvenirs enfouis qu’elle rejette) puisqu’après, aux yeux des autres et du (grand) monde, elle voudra "vendre" sa mère épicière (fanée) comme étant une grande pianiste dont la modestie légendaire faisait soi-disant passer sous silence ce grand talent caché.

Ici, Angel, enrobée dans ses faux-semblants d’Amour, Gloire et Beauté, est pathétique, en même temps c’est parce qu’elle se trompe qu’elle est malgré tout émouvante. Déterminée, elle reste fidèle à son tropisme originel qui est d’être une " femme du monde ", baignant dans le luxe, calme et volupté, loin de la crasse et des " petites gens ". Sa boulimie cache son vide intérieur. Sa vie ( imaginaire) où elle se fait sans fin son cinéma, son show, est une mise en abyme de rêves sans fond. Elle est un artifice, elle est une transparence et Ozon, avec l’artifice des transparences qui parsème son film, montre parfaitement cela. Il le montre aussi, bien entendu, avec le décorum kitsch, incongru et hétérogène de la propriété-prison d’Angel. Celle-ci veut tout ce qui fait riche, elle accumule sans faim les mots qui cachent les maux et les signes extérieurs de richesse mais sans aucun parti pris plastique et sémantique. Sa façon compulsive de remplir l’espace (goût prononcé pour l’emphase décorative, les dorures baroques, les fleurs artificielles, les jardins de roses, les grandes robes rouges froufroutantes, le marbre, les perroquets, l’héritage néocolonialiste et autres châteaux en Espagne ) m’a fait penser à des images de la superstar Michael Jackson dans un documentaire TV d’il y a quelques années, déambulant et achetant dans un grand magasin prestigieux de bibelots et de bonbonnières néoclassiques tout ce qu’il trouvait sur son passage, d’un mauvais goût puissance 1000, à quelques exceptions près, comme un môme ayant les yeux plus gros que le ventre et qui voudrait retrouver son vert paradis des amours enfantines... jusque-là inscrit aux abonnés absents.

Oui, Angel, comme Bambi/Jacko, est une nouvelle riche, une parvenue, voulant à tout prix et à n’importe lequel rattraper le temps perdu... de la pauvreté - c’est sa vision ( aveuglante ) de conte de fées.
Pour autant, le personnage d’Angel ( avide, arrogante, égoïste... ) me touche assez, je ne la trouve pas si tarte à la crème et si antipathique que cela, certes elle vit dans ses rêves, ses chimères, sa vie en rose, dans un monde de chromos, de clichés désuets et de cartes postales mais, même si elle rêve sa vie plus qu’elle ne la vit ( parce qu’elle applique à tout - monde, objets, êtres - sa vision Technicolor, ne cessant de fictionniser tout ), quand elle tombe amoureuse, elle l’est authentiquement ( elle y va à fond ) même si cet amour, moins de chair que d’Epinal, est tourné davantage vers une image que vers un être de chair et de sang ( cf. son peintre maudit ). Ouais, elle aime vraiment, même si c’est façon Harlequin, les Feux de l’Amour ou Warhol ( amoureuse d’une image dérivée d’image ), c’est déjà ça ! Oui, autant en emporte le vent, et l’amour. Qu’importe le flacon après tout, pourvu qu’on ait l’ivresse ! Sur ce film en apparence ( trompeuse ) à l’eau de rose qu’est Angel, sur ce film hybride oscillant entre Visconti et la chantilly et les passions sucrées des Sissi et autres pays kitschissimes de Candy, il y aurait tant de choses à dire, à écrire, notamment sur la nostalgie kitsch, sur la littérature romantique mise en images Canada Dry, je pense ici aux transparences-collages volontairement " grotesques " et qui s’affichent comme telles et au surlignage rose bonbon du titre du film au générique du début.

D’entrée, Ozon ose et annonce la couleur ( très ) saturée. Je pense au mirage de la vie façon Douglas Sirk & Co, aux mélos de l’âge d’or du cinéma hollywoodien écrits et filmés... sur du vent et aux vertiges de l’amour ( merci Bashung ! ). Mais attention, derrière le romanesque et le romantisme affichés, voire blasonnés, du film, il y a un certain lyrisme à l’oeuvre dans le dernier Ozon, indéniablement, même si, ici, pour prendre des exemples cinématographiques récents, il ne s’agit pas du même lyrisme ( " minimaliste " ) que pour Lady Chatterley qui était lui-même, malgré les correspondances corps amoureux / Dame Nature, différent de celui de Terrence Malick pour son Nouveau Monde ( cf. le filmage à 360° en pleine nature de deux corps - Pocahontas et le Capitaine Smith - en pleine découverte panthéiste et en pleine osmose ). Alors non, Lady Iriana ( alias Angel ) n’est pas Lady Chatterley, s’il fallait lui trouver une cousine, ce serait plutôt du côté de Marie-Antoinette ( celle de Sofia Coppola ). Pour autant, ces ladies sont bien des femmes " fortes ", ambitieuses, émancipées, tombant follement amoureuses. Oui, Angel, derrière son côté dame Tartine, a des allures de guerrière basic instinct façon Nikita, Catherine Tramell ou Rachel Stein ( Black Book ), rien que pour cela - cette ligne de force tous azimuts - elle est passionnante à suivre, notamment et surtout quand elle ( se ) perd et ( se ) rate.




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