jeudi 18 février 2010 - par Sébastien Marie

Arrêter d’écrire pour sauver la littérature

Marc-Edouard Nabe revient avec son 28e livre : L’homme qui arrêta d’écrire. On ne le trouvera chez aucun éditeur, dans aucune librairie, il pose la question des rapports entre culture et Art dans notre société, et appelle les Artistes à remporter cette « guerre de Cent Ans » que les gens de lettres leur ont imposée.
Il avait tout prévu, ou plutôt... tout choisi !... Gamin, on l’appelle "nabot", il prend Nabe comme pseudonyme. Assumer... dépasser... sublimer... Bien des années après on l’empêche d’écrire, il arrête d’écrire. Assumer... dépasser... sublimer... Parce que chez Nabe, arrêter d’écrire ? ça donne 700 pages et un pavé dans la marre. Marre de cette Grande Confusion que déjà Guy Debord dénonçait entre tout et n’importe quoi faite pour que plus rien n’ait de sens et que tout ne soit plus que divertissement - diversion - et consommation.
 
On ne refait pas le match qui a amené Nabe à arrêter, qui en veut le résumé n’a qu’à lire Le Vingt-septième livre, l’un des seuls que l’on trouverait en librairie, celui qui servit de préface à la réédition du mythique premier Au régal des vermines (1985). Parler de littérature est encore un moyen de la trahir, si c’est épargner au lecteur de "critiques" de lire l’oeuvre...

Nabe hurlait chez Pivot dans la non-moins mythique émission Apostrophes de 1985, que nous vivions dans un "grand Larousse en désordre". C’est son crime : prétendre qu’il y a une différence entre Louis-Ferdinand Céline et Patrick Modiano. Inacceptable dans un monde tombé dans le gouffre de la Démocratie Libérale Tolérante, où tout se vaut. La démocratisation de la culture est la nouvelle panacée, comme si la société était assaillie par tous les maux. Comme si ?... Elle les accepte les maux, et refuse les mots, ou alors faut-il qu’ils soient vidés de leur sens. Un bon langage bien neutre et aseptisé, au lit, et la France qui se lève tôt pour travailler plus pour gagner plus ira pour le mieux.

Pour les gros balourds qui servent de gardiens du temple, s’attaquer à la démocratisation de la culture est forcément fasciste. Alors que c’est par anarchisme mystique et artistique que Nabe est mis en mouvement. Incapables de voir la différence entre la culture et l’Art, ils sont persuadés de faire le Bien. Ils ont en leurs temps raté, piétiné, laissé crever, tous les Van Gogh, Lautréamont, Charlie Parker, etc. pour la simple raison qu’ils sont trop installés pour percevoir ce qu’il peut y avoir de révolutionnaire dans l’Art ; trop morts pour être happés par le vivant. Mêmes causes, mêmes effets aujourd’hui.

Alors Marc-Edouard Nabe a décidé de se passer de ce monde de cultureux. Ce 28e livre, L’homme qui arrêta d’écrire, n’est pas le premier à être édité par l’auteur lui-même... mais il est plutôt "anti-édité", dit-il. Pas de code barre, couverture et 4e minimalistes, il n’est en vente que sur sa plate-forme marcedouardnabe.com. C’est ça, arrêter d’écrire : exit ! les éditeurs, les libraires, les critiques, tout un système qui parasite l’auteur en faisant du mouton lecteur un veau d’or. Un monde en train de s’écrouler, cinéma, musique, littérature, presse et leurs industries en péril qui cherchent désespérément des solutions contre les pirates, les blogueurs, le gratuit, le partage, sans jamais se douter un seul instant que c’est d’eux-mêmes que vient le problème. Edifiante est l’émission d’Arte présentant 8 journalistes en colère, qui semble d’ailleurs être un pur plagiat d’un passage de L’homme qui arrêta d’écrire.
 
Que faire  ? D’abord, court-circuiter les milieux culturels. C’est fait. Mais, si Prince, Radiohead en musique, et maintenant Nabe en littérature ont pu le faire, c’est qu’ils avaient déjà leur armée de fans. Nabe a vendu les 1000 exemplaires imprimés avant d’aller faire sa seule apparition TV chez F.-O. Giesbert. Comment un nouvel artiste totalement inconnu pourrait se sortir du marasme ? Il faudrait pouvoir dépareiller ce qu’on nous confusionne. Montrer les différences. Faire tomber les masques. Expliquer que si la plupart des vrais artistes, reconnus comme tel avec un siècle de retard, ont crevé de faim, c’est parce qu’ils ne suscitaient que l’indifférence ou le mépris de leurs contemporains ; et donc, qu’il y a toutes les chances pour qu’il en soit de même aujourd’hui avec de faux artistes glorifiés pendant que les vrais sont laminés. Taddeï expliquait du temps où il travaillait à Canal, qu’une génération aurait à porter la honte de célébrer Alexandre Jardin pendant qu’elle ignore Marc-Edouard Nabe... Toujours cette même histoire...
 
C’est un vieux monde que les médiateurs et milieux culturels veulent défendre. Il n’a pas à être sauvé. Les plus cohérents des libéraux racontent que les crises économiques permettent de se débarrasser des entreprises malades remplacées par de plus efficaces et innovantes... C’est d’ailleurs assez nietzschéen dans le genre ma maladie est une bénédiction. Il est temps de ne plus écouter ceux qui prétendent sauver les artistes, alors qu’ils ne sauvent qu’eux-mêmes et leur commerce culturel, sur le dos de l’Art...
 
 


6 réactions


  • Edifiante est l’émission d’Arte présentant 8 journalistes en colère, qui semble d’ailleurs être un pur plagiat d’un passage de L’homme qui arrêta d’écrire.

    Et l’un des passages les plus hilarants, d’ailleurs.

    La sortie de L’Homme qui arrêté d’écrire est LE grand évènement littéraire de l’année 2010. Rien que le livre en lui-même est une œuvre d’art contemporain.


  • Lisa SION 2 Lisa SION 2 18 février 2010 11:25

    Bonjour,

    " Un monde en train de s’écrouler, cinéma, musique, littérature, presse et leurs industries en péril qui cherchent désespérement des solutions contre les pirates, les blogueurs, le gratuit, le partage, sans jamais se douter un seul instant que c’est d’eux-mêmes que vient le problème. « voici ce que Isabelle Falque Pierrotin, auteur du rapport sur les nouveaux modes qu’offre le net dit :
     » leurs usagers ont un besoin qui est d’une autre nature que ce à quoi répond l’offre. Donc c’est un problème d’usage qui est en train de changer de nature. Et on a à l’époque, attiré l’attention des pouvoir publics, C’est un problème structurel, c’est pas un problème conjoncturel, il faut que vous y répondiez par une modification de vos offres. il se trouve que, plutôt que la voie de la concertation multi acteurs, une autre démarche a été retenue, qui a donné lieu à un feuilleton législatif constitutionnel assez spécial, dans l’histoire de la république, Heu....moi je le regrette "

    Cette femme qui a plongé profond dans les méandres du net pour comprendre les problèmes et proposer des solutions n’a pas été suivie dans la voie qu’elle préconisait aux autorités.

    A propos de solution, je vous recommande cette adresse : Lettropolis.fr


  • stephanemot stephanemot 18 février 2010 12:37

    Je remarque que sur l’ensemble des media, l’etape « editeur » entre l’auteur et le media tend a s’affaiblir et c’est regrettable car c’est non seulement un metier mais une etape essentielle. Le media et l’auteur remontent bien la chaine chacun de leur cote, mais sans necessairement avoir le savoir faire necessaire.

    Je rejoins neanmoins l’auteur pour souhaiter le nettoyage d’un ecosysteme particulierement sterile en France (surtout depuis la phase de concentration de la derniere decennie).

    Pour ma part, n’ayant pas le talent de Nabe, je figure parmi les plus faibles qui n’ont, Nietzsche ou pas Nietzsche, pas besoin d’aide pour mourir.


  • MICHEL GERMAIN jacques Roux 18 février 2010 18:42

    Ou encore, écrire puis diffuser gratuitement sur internet...« l’insurrection qui vient » a proposé cette formule...pour survivre (manger dormir) ? se débrouiller autrement. Dur, évidemment, dur. Mais aprés tout, prendre l’écriture pour un relais, un passage de témoin, n’est ce pas la mettre à sa place ? Aprés tout 99% des gens qui pratiquent, un sport par exemple, ne le font ils pas en plus de leur boulot, gratuitement. Certains, même, paient pour cela. Gratouiller sa guitare ne demande pas une scène et un producteur...soyons légers que diable ! Nous pourrions même doubler Nabe sur sa gauche du coup...


  • vinvin 19 février 2010 02:25

    Je n’ ai lu qu’ une seule oeuvre de NABE qui s’ intitulait (UNE LUEUR D’ ESPOIR,) mais j’ ai adoré, et depuis je me suis documenté concernant ce grand auteur,j’ ai vu des vidéos sur internet de ses émissions chez PIVOT et ROUQUIET, etc... 


    Il serait dommage qu’ il arrête d’ écrire, car il est le meilleur écrivain que je connaisse.

    Il est difficile de se procurer certains de ses livres qui n’ ont plus étés réédités, mais j’ aimerais bien lire le livre LE RÉGAL DES VERMINES donc j’ ai beaucoup entendu parler....

    Beaucoup de gens, médiats et écrivains, qui sont les lèche-cul de la pensée unique, ont dit que LE RÉGAL DES VERMINES étaient une « ignominie », mais vu que ces gens n’ y comprennent rien, c’ est justement par qu’ ils disent que ce livre est une « ignominie » que sans l’ avoir lu, je suis persuadé que c’ est un PUR CHEF-D’OEUVRE !


    En fait, ce que les médiats n’ ont pas compris, ( avec leur Q.I équivalent a celui de mon chien,) c’ est qu’ en faisant des critiques négatives au sujets des oeuvre de M. E ; NABE, cela a l’ effet inverse que l’ effet au départ souhaité par les médiats, et sa pousse les gens a achetés ses livres, ne serait-ce que par curiosité, donc sa fait une publicité positive pour les livres de M. E. NABE.


    Bien cordialement.





    VINVIN.

  • L'enfoiré L’enfoiré 19 février 2010 09:14

    @L’auteur,
     Là, je me suis régalé à vous lire, vous qui ne voulez plus écrire. smiley
     Il est tout à fait vrai que trop d’infos tue l’info.
     Tout se dit, tout s’écrit aujourd’hui, sans plus de garde fou que l’éditeur qui y verra son propre avantage. Alors il faudra être sulfureux pour avoir une chance.
     Débroussailler tout cela devient un vrai cauchemar pour en trouver la substantifique moelle utilisable. Car n’oublions pas lire quand cela ne peut pas servir pour le lecteur lui-même est du gâche temps pour les deux interlocuteurs : l’écrivain et le lecteur.

     Internet a ajouté une couche encore plus importante dans le virtuel.
     Oui, il y a plus d’interactivité possible, c’est le côté positif de la chose par rapport au livre.
     Il y a des spécialistes qui se voient obligés d’écrire un article tous les jours pour garder une présence. Pondre des lignes quand on ne peut plus pondre du papier.
     Ils tiennent la route tant que la pub payera leurs crachotements en respect. Après ?
     C’est un pour cela que j’ai écrit « Eloge à la lecture » car il faudra aller de plus en plus vite pour lire et appréhender les meilleurs textes.
     Bon courage et bonne journée. 
      smiley
     


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