mardi 24 novembre 2009 - par plumozil

Audiodescription : Quelle charte et quel avenir ?

Le 10 décembre 2008 était signé sous l’égide de la Délégation interministérielle aux personnes handicapées (DIPH), un texte alors présenté comme une « charte de qualité » de l’audiodescription. Appellation étonnante quand précisément les « qualité » et niveau d’expertise de ses deux rédacteurs restaient pour le moins mal définis, et que l’avis d’acteurs clés comme les audiodescripteurs professionnels ou l’association Retour d’Image était curieusement écarté. Dans la foulée était lancé en janvier 2009 par la DIPH un "comité de pilotage" – auquel ces oubliés s’associaient – qui se fixait pour mission de développer l’audiodescription en France, et conséquemment de donner à cette charte, présentée alors comme « base de travail », une forme et un contenu plus aboutis.

L’audiodescription, vous connaissez ? Ce procédé qui permet de décrire aux aveugles et malvoyants ce qu’ils ne voient pas dans un film, une pièce de théâtre, ou une exposition. Cette "petite voix qui chuchote à l’oreille", comme le formulait joliment Marie-Luce Plumauzille, pionnière du procédé en France. Ou encore cette "voix qui me casse les pieds" pour un Eric Zemmour empêtré dans les boutons de sa télécommande et obligé de subir les commentaires accompagnant un film d’ARTE ? L’audiodescription (ou Audiovision), c’est en France une histoire qui fête cette année ses vingt ans. En 1989, trois Français rapportaient de San Francisco les bases du procédé mis au point par Gregory T. Frazier et August Coppola (frère de l’autre), et le développaient en France avec le soutien actif de l’Association Valentin Haüy (AVH). Vingt années d’aventures et de développement parfois contrarié, au cours desquelles l’audiodescription devenait un métier, et les audiodescripteurs des auteurs et des professionnels à part entière. Outre l’AVH, on peut citer comme acteurs majeurs de cette histoire Accès Culture pour le spectacle vivant, des festivals comme celui de Retour d’Image, la chaîne ARTE qui la première proposait régulièrement des films audiodécrits. Et, du côté des auteurs, Audiodescription.fr qui regroupe neuf audiodescripteurs, auteurs de la grande majorité des descriptions de films (cinéma et TV) réalisées à ce jour.
 
La concordance entre les vingt ans de l’audiodescription et la brusque et récente disparition de la DIPH (voir à ce propos un article en ligne du site France Handicap Info) incite maintenant plusieurs acteurs du secteur à poursuivre le débat pour favoriser l’émergence d’un texte auquel les audiodescripteurs pourraient vraiment adhérer (voyez à ce propos la page Réflexions du site d’Audiodescription.fr).

 

Une dynamique qu’un texte seul ne peut initier

 

Mais voyons tout de suite au-delà. Car il s’agit bien plus que de rédiger un texte d’une importance toute relative puisque n’y adhèrent que ceux qui le veulent, et pour l’instant  pas grand monde chez les audiodescripteurs professionnels. Il est d’une autre importance de mener une politique dynamique d’incitation et d’information auprès des producteurs et des diffuseurs de films. Car l’audiodescription est actuellement desservie par une mauvaise image auprès des professionnels, beaucoup pensant qu’elle est très compliquée à mettre en œuvre avec des coûts difficiles à maîtriser. Et le texte qui nous est actuellement présenté comme "charte de qualité" n’arrange pas les choses quand il s’agirait au contraire de clarifier le processus de l’audiodescription :

- en donnant des informations précises sur les coûts et les délais que les professionnels expérimentés de l’audiodescription sont parfaitement à même de fournir ;

- en conviant à une concertation des professionnels de la production et de la diffusion (producteurs, réalisateurs, chaînes de télévision, distributeurs, exploitants) et des représentants de leurs organisations professionnelles afin qu’ils puissent s’informer et faire part de leurs propres attentes et propositions ;

- en clarifiant le statut de l’audiodescripteur concernant ses droits d’auteurs, ce qui se fait entre autre par le contrat-type que les principaux audiodescripteurs et l’AVH vont proposer à la SACD.

La charte actuelle énumère toutes sortes d’obligations concernant le travail d’écriture, qui contreviennent à la liberté même de choix que présuppose tout travail de création. Alors même que les vraies obligations seraient à rechercher ailleurs ! À moyen terme, l’audiodescription devrait se faire dès la post-production des films en assujettissant les aides publiques à l’obligation de réaliser leur audiodescription (comme c’est le cas depuis peu concernant le sous-titrage pour les sourds et malentendants). Cette audiodescription pourra alors servir aussi bien pour la diffusion en salle, le DVD, la diffusion télévisuelle et par Internet. Des quotas de diffusion pourraient également être imposés aux chaînes de télévision.

D’autres idées ?

Accessibilité

Produire et diffuser de l’audiodescription est évidemment inutile si le public concerné n’a pas la possibilité pratique d’accéder aux programmes ni de s’informer de leur existence. La télévision est sans doute le média le plus utilisé par les déficients visuels. Pour le matériel de réception futur, il paraît important d’établir une norme pour rendre la TNT accessible aux déficients visuels. Il suffirait par exemple qu’un bouton facilement repérable sur la télécommande soit affecté au changement de langue, qui s’effectuerait par pressions successives. Cette norme s’appliquerait aux téléviseurs, aux décodeurs TNT, aux Box et aux décodeurs des fournisseurs d’accès à Internet, ainsi qu’aux lecteurs de DVD.

Le matériel existant ne doit néanmoins pas être oublié. Il existe dans le commerce, à prix très raisonnable, des télécommandes adaptables à toutes les marques. Il serait possible d’étudier le paramétrage de l’une d’elles pour qu’elle pilote avec un seul bouton le menu "langue" de la plupart des appareils existants.

Diffusion par Internet

En même temps que la diffusion hertzienne, les films audiodécrits pourraient facilement être accessibles en podcast sur les sites Internet des chaînes, et ceci sans coût supplémentaire. Les audiodescriptions pourraient également être diffusées par les radios nationales, avec l’établissement par exemple d’un créneau horaire mensuel, et être présentes sur les podcasts des sites des radios. Les audiodescriptions pourraient être vendues en téléchargement sur les principaux sites de musique en ligne ou diffusées en streaming sur les radios Internet (comme Deezer par exemple).

Information du public

Un gros effort est à faire dans ce sens auprès des chaînes de télévision qui communiquent très peu et dont les programmes ne sont pas accessibles aux déficients visuels. L’audiodescription pourrait facilement être annoncée en voix off lors des spots de présentation des programmes, par exemple. Pour le cinéma, les films audiodécrits pourraient être annoncés sur les serveurs vocaux du type "Allociné". Pour les DVD, un logo en braille pourrait être gravé sur la pochette. Dès l’insertion du disque, un menu vocal pourrait donner la marche à suivre pour sélectionner simplement la piste de l’audiodescription. Dans tous les cas il s’agit avant tout d’informer les professionnels en leur présentant des solutions simples, éprouvées, et peu coûteuses.

Qualité d’écriture

Pour promouvoir la qualité des audiodescriptions, il est fondamental de donner la parole aux utilisateurs et de faire émerger une véritable activité critique, comme elle existe déjà pour le cinéma et la télévision. Les déficients visuels passionnés de cinéma échangent de nombreuses informations par l’intermédiaire des forums. Cette expression critique pourrait également trouver sa place dans les sites de la presse spécialisée (comme Télérama par exemple).

Quotas de diffusions

Si à l’avenir des quotas d’émissions audiodécrites sont imposés aux diffuseurs, que ce ne soient pas des quotas uniquement quantitatifs (nombre d’heures d’émission) mais des obligations par genre de programme privilégiant les films de fiction et les documentaires les plus importants. Certains programmes en effet ne nécessitent pas, ou très peu, d’audiodescription.

Des idées il n’en manque pas, et surtout pas chez ceux qui s’attachent à défendre la qualité du procédé depuis maintenant vingt ans. L’audiodescription commençait en France par une belle aventure américaine. Cette aventure doit se poursuivre : les volontés sont là, elles ne se rassembleront que dans une action collective et coordonnée. Une aventure qui continuera aussi à être belle si l’animent non pas d’aventureux aventuriers mais bien des découvreurs passionnés, ouverts et généreux.




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