vendredi 7 mai 2010 - par Vincent Delaury

« Avatar » en DVD : Destination Pandora

Encore une fois, Avatar est parti pour battre tous les records. Après ses multiples cartons au box-office (2,7 Md$ de recettes sur la planète), le film, décliné en 2D dans sa version DVD classique et en version Blu-Ray Combo, « se vend comme des petits pains », dixit un vendeur de la Fnac*, à l’air goguenard, avec qui je taillais récemment la causette. Cette expression, à connotation judéo-chrétienne, me semble fort appropriée pour décrire l’espèce de ferveur religieuse déclenchée par ce film au budget, dit-on, de 500 millions de $, chez un certain nombre de personnes. Comme il a coûté très cher, il faut que son rendement soit maximal. Aussi, la 1ère version d’Avatar en DVD assure le service minimum. Aucun bonus, uniquement le long métrage. Il faut dire que le film devrait de nouveau être projeté en salles l’été 2010 avec six minutes de scènes additionnelles et, en novembre prochain, une version 4 disques en DVD et Blue-Ray, serait mise sur le marché - en attendant également, un de ces quatre, une sortie probable en 3D pour le Home cinéma. Soyons clairs, l’image d’Avatar en DVD classique est décevante, elle manque singulièrement de piqué, à croire que la Twentieth Century Fox Home Entertainement, qui distribue le film, fait exprès de créer une image moyenne, légèrement floue, afin de pousser les « consommateurs » à s’équiper tout de go en Blue-Ray - mais ce n’est qu’une impression, n’étant point expert en la matière. Sans sa 2D, par contre, Avatar, même s’il perd une partie de ses effets optiques de fête foraine jonglant entre profondeur et jaillissement, est toujours aussi séduisant, preuve s’il en est que ce film, précurseur dans le revival de la 3D, ne peut en aucun cas être réduit à une production de l’industrie cinématographique reposant sur des prouesses techniques tape-à-l’œil ; de même, ne pouvant être aucunement réduit à une rampe de lancement pour un énième jeu vidéo de base, Avatar est bien, et surtout, un authentique film de cinéma, avec un monde créé fascinant (Pandora, qu’on ne présente plus), une trame efficace et des personnages habilement travaillés.

Avatar, c’est un film malin comme un singe, il est par excellence une production hollywoodienne, alliée à la puissance de frappe économique de l’Amérique, mais il se donne des airs de « film de gauche », pro-Obama et anti-Bush, ouvert sur l’Autre, contre la loi du profit et antimilitariste au possible, tout en assurant une maestria au rayon pyrotechnique ne pouvant que convaincre ceux qui se laissent facilement séduire par les sirènes de la puissance guerrière. Il s’agit de ratisser large.

Et c’est un film Placebo ! Vous en avez marre de votre « vie en captivité » dans les grandes mégalopoles à l’asphyxiante culture ? Eh bien plongez-vous fissa dans la nature revigorante d’Avatar  !

Puis, dans ce film fédérateur, il y a tout ce bleu partout, nous invitant à s’enfoncer dans les profondeurs de cette couleur préférée par la plupart d’entre nous. Le bleu, c’est la couleur de la Terre bleue comme une orange, du ciel, de la mer, du manteau de la Vierge, c’est une couleur ô combien spirituelle - ce qu’avait bien compris le plasticien en quête d’absolu Yves Klein avec son fameux bleu outremer, couleur « déposée » sous le nom IKB (International Klein Blue) -, elle plaît, elle envoûte, telle une caresse pour l’œil, et surtout elle rassure : « Je suis persuadé que, dans trente ans, le bleu sera toujours le premier, la couleur préférée. Tout simplement parce que c’est une couleur consensuelle, pour les personnes physiques comme pour les personnes morales : les organismes internationaux, l’ONU, l’Unesco, le Conseil de l’Europe, l’Union européenne, tous ont choisi un emblème bleu. (…) C’est une couleur qui ne fait pas de vague, ne choque pas et emporte l’adhésion de tous. » (Michel Pastoureau dans son Petit livre des couleurs, 2005). De cette couleur, qui conduit à voir la vie en bleu, tout en échappant à un monde contemporain jugé trop noir, Cameron en fait un usage immodéré et ça marche : Avatar est arrivé premier, quasiment partout. Je connais des gens, notamment des ados, qui sont allés voir et revoir Avatar pour baigner ad libitum dans la bulle temporelle et spatiale de Pandora. Cette planète imaginaire, cocon matriciel dans lequel moult spectateurs, tous âges confondus, prennent plaisir à replonger, aurait-elle autant fasciné s’il elle avait été rouge ou jaune ? Pas sûr.

De plus, Avatar aurait-il autant marché si, en 2006, Le Nouveau Monde signé du génial Malick, chef-d’œuvre déjà inspiré de la légende de Pocahontas, avait davantage cartonné au box-office ? Pas sûr du tout. C’est d’ailleurs à mes yeux, et encore plus à la revoyure en DVD, la grosse faille du film : autant les Na’vi ont un look très étudié là-dedans, autant leurs coutumes, habitus et croyances religieuses, sur fond de New Age surfant sur la croyance animiste des Indiens autour de l’éloge de la vie et de l’énergie, virent à la caricature. Difficile de ne pas trouver risible l’espèce de Danse avec les Schtroumpfs autour de l’Arbre-Maison, surtout quand on a en mémoire la magie chamanique du New World malickien. Par contre, de là à l’accuser de plagiat, je ne m’y risquerai pas car, dans n’importe quel domaine, quel créateur ne s’inspire point, d’une manière ou d’une autre, de ce qui l’a précédé ? Et existe-il au monde une création artistique ex nihilo ? J’en doute fort… 

Soyons honnêtes, il est toujours facile de tirer à boulets rouges sur un blockbuster hollywoodien en l’accusant de ne pas faire dans la dentelle, ou d’expliquer les raisons du succès d’un film en arrivant après la bataille (son triomphe dans les salles obscures), beaucoup plus difficile est la capacité à créer un film générationnel qui marque les esprits. Or, à ce niveau-là, Cameron est un cinéaste gros calibre hors pair. Mieux que Le Seigneur des Anneaux (vous me direz que ce n’est pas très difficile !), meilleur que Star Wars, ne cherchez plus, c’est Avatar. Un film qui gagne à être revu parce que James Cameron, avec son 8e film, crée un panaché de tous ses films précédents (Terminator, Aliens, True Lies, Abyss, Titanic) sans jamais, cependant, perdre le fil rouge d’un film-monstre qu’il a couvé pendant quinze ans. A n’en pas douter, s’il y a, entre autres, quelque chose de séduisant, voire de fascinant, chez ce cinéaste canadien, c’est sa capacité à se donner à 200% sur chacun de ses opus : il ne lâche rien, il y croit dur comme fer et, pour reprendre un propos du peintre Denis Laget, « J’envie quelquefois la naïveté des artistes des nouveaux médias, tout à la fascination de leur lanterne magique ». Il y a cru comme personne à son film, et à travers sa croyance inébranlable en son art (le 7e), Cameron donne à voir un monde qui colle à la rétine : la flore et la faune de Pandora, avec leurs montagnes flottantes, leurs méduses volantes translucides, leurs grands oiseaux préhistoriques, leurs plantes exotiques rétractiles, leurs panthères-hyènes diaboliques et autres Thanators destructeurs, apportent une jouissance de l’œil. Ce n’est pas un hasard si le film insiste tant sur le regard (l’un des plans forts du film montre une pupille dilatée ; un Marine déclare qu’il est aveugle lorsqu’il perd le contrôle de l’une de ses mini-caméras intrusives), il s’agit, semble nous dire Cameron, de se laver le regard, d’apprendre à nouveau, loin des accessoires inutiles (jeans, bières industrielles, gadgets high-tech), à voir, à ressentir le monde. Courant loin devant moult movie makers actuels - faites par exemple la comparaison entre le dressage de l’ikran par Jake Sully et à peu près la même séquence déclinée dans les derniers Besson (Adèle sur un ptérodactyle) et Leterrier (Persée sur le destrier volant Pégase), et vous verrez toute la différence entre une grande mise en scène et une réalisation plan-plan -, Cameron, avec Avatar, a fait un film de cinéma mainstream qui fera date, non seulement parce qu’il est pionnier dans la 3D dernier cri, mais aussi et surtout, parce qu’en reprenant intelligemment tous les codes du cinéma US, il a ouvert, avec ce film de science-fiction, une boîte de Pandore fascinante (un film qui s’aventurerait du côté de Pandora sera aussitôt taxé d’avataresque) et créé une « émotion grand écran » qui emporte tout sur son passage, y compris les quelques scories du film. Quant à ceux, avatariens ou non !, qui s’inquiéteraient de suites éventuelles données à Avatar (Cameron a lui-même annoncé un 2e qui se concentrerait sur les océans de Pandora et un 3e s’intéressant à tout le système Alpha Centauri), rassurons-les aussitôt, Cameron n’est jamais aussi bon que lorsqu’il est aux commandes d’un numéro 2, cf. les excellents Aliens et Terminator 2. Attendons de voir, donc. 

* 2ème photo (Fnac des Halles, mai 2010) de Walter Rizotto et Jean-Loup de la Batellerie pour AgoraVox

 



4 réactions


  • kall kall 7 mai 2010 14:27

    Bien aimé votre article,

    sauf

    « Mieux que Le Seigneur des Anneaux (vous me direz que ce n’est pas très difficile !) »

    A moins que ce ne soit une vanne ?


  • pingveno 7 mai 2010 16:50

    Donner son opinion sur un film est forcément subjectif donc pas très constructif. Ce qui est certain cependant, c’est que quoi qu’on pense du scénario, ce film fait partie de ceux pour lesquels l’aspect visuel donc la qualité du support qu’on achète, sont primordiaux. C’est vrai aussi pour les autres films que vous citez (Star Wars, Seigneur des Anneaux) plus que pour un film d’auteur par exemple.

    Mais ce sur quoi je voudrais surtout insister : ah bon, les DVD se vendent bien ? Et pourtant je suis sûr que dans quelques mois, si les versions « améliorées » ne se vendent pas, le promoteur ne se gênera pas pour répéter que les pirates et bla bla bla, qu’il faut du HADOPI et bla bla bla parce que le piratage empêche la vente des DVD. Et l’idée que ceux qui ont déjà acheté ne veulent pas payer deux fois, ça ils feront semblant de ne pas comprendre.

    Conclusion : puisqu’ils vont jusqu’à vous dire que de toute façon il y aura bientôt une nouvelle version, boycottez ce DVD et attendez la nouvelle version sinon ils vous accuseront de piratage.


    • Peretz Peretz 7 mai 2010 17:25

      « Scénario plat et images extra ». C’était le contraire quand Hitchkok a tourné ses deux films en relief. Ce qui prouve bien que on ne peut jouer sur les deux tableaux. Pour avoir enseigné cette image en son temps à des étudiants subjugués, je sais parfaitement qu’une fois de plus, au cinéma cela ne peut être que des coups lucratifs, mais sans lendemain. Tant mieux pour ceux qui ont pris le risque s’ils en tirent un maximum de retour sur investissements. Mais c’est dommage pour cette image qui mérite mieux. Ce qu’on voit à Poitiers (Futuroscope) n’est pas mal non plus. Et alors...


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