Avec ses « Noces rebelles », Sam Mendes n’est pas à la noce !
Dans l’Amérique des fifties, Frank et April Wheeler se promettent, en s’installant dans leur nouvelle maison sur Revolutionary Road, qu’ils ne tomberont jamais dans la monotonie asphyxiante de la vie banlieusarde car ils ne veulent pas laisser peu à peu la routine s’installer et détruire leur couple et leur amour.
Pourtant, alors qu’ils se croyaient différents, tels des êtres à part, ils ne peuvent s’empêcher de se faire piéger par les conventions sociales (conformisme, tout-sécuritaire…) et de devenir ce qu’ils refusaient de devenir : une famille américaine ordinaire ayant perdu aspirations idéalistes de la jeunesse, rêves et illusions. Bientôt, pour sauver leur couple du naufrage, April, déchirée entre ses obligations de femme au foyer et ses désirs passés, ou velléités, de comédienne newyorkaise, fantasme alors sur un grand chamboulement de leur routine conjugale, via un hypothétique voyage à Paris, les faisant lorgner vers un eldorado d’opérette. Ainsi, après American Beauty, Sam Mendes cherche à faire le portrait psychologique d’un couple à la poursuite de ses rêves dans l’Amérique des années 50.
Auréolé de son succès en salle (plus de 700 000 entrées en France en deux semaines), d’articles fort élogieux dans la presse, de Golden Globes et autres nominations aux Oscars, on pouvait s’attendre à ce que Les Noces rebelles de Sam Mendes, tiré du fameux roman Revolutionary Road/
Le problème, avec ce film, au savoir-faire certes indéniable (de la belle ouvrage), est qu’il est cousu de fil blanc. Tout s’y devine à l’avance, on a l’impression d’un film prêt-à-filmer, comme si le glacis de sa mise en scène, avec sa voyante prétention à faire « film d’art », ne cessait d’en dire trop. Les Noces rebelles, c’est selon moi un film sur-tout : surcoté, surligné, surcadré, surjoué. Par exemple, la musique de Thomas Newman, sur fond de ritournelle entêtante qui viendrait épouser les va-et-vient indécis du couple Wheeler, est soûlante de par son côté « envoyez les violons ». Trop de violons tuent le violon. Le film de Sam Mendes appuie trop ses effets, il est tellement axé sur le couple en question, soi-disant « mythique », qu’il en oublie ses enfants ! Grosse invraisemblance du script : on aperçoit, dans un ou deux plans, les deux enfants de Frank & April sans jamais plus les revoir après - ils n’existent ici qu’en figurants, jamais en personnages, c’est dommage, ça fait trop film, ça manque de naturel. Attention, je n’ai rien contre les mélos, j’adore par exemple le sublime Loin du paradis de Todd Haynes, revisitant Douglas Sirk et l’Amérique des 50’s de l’Oncle Sam avec un esprit Pop désenchanté. Mais, dans Revolutionary road - à prononcer siouplaît avec une grosse voix d’outre-tombe façon bande annonce US ! -, ça sent tellement la performance bigger than life d’acteurs qui crient leurs performances d’acteurs, les yeux mouillés dégoulinants comme du riz gluant. Soit dit entre les murs, Kate et Leo dans Les Noces rebelles, faut arrêter avec la course à l’Oscar, là, ça sent trop le jeu pour le je. Question soupe à la grimace (cabotinage, outrance, hystérie, mimiques et on en passe), Leo y va fort ! Et Winslet, en éternelle ado mal dégrossie, en fait des tonnes avec ses yeux grands mouillés : elle joue un peu trop sur la corde sensible pour ne pas tomber, de temps à autre, dans le pathos. Ce film, c’est cliché sur cliché. Alors oui, OK pour le revival du couple rétro(viseur) du Titanic (nonobstant : avait-on vraiment besoin de la main moite plaquée sur la vitre de la portière de la voiture durant la scène d’amour comme dans Titanic ?). OK également pour le lieu commun de la vie métro-boulot-dodo qu’on cherche à dépasser, en rêvant d’un paradis parisianiste mythique – il paraît qu’à Paris, c’est la noce, la vie de débauche, la bringue à tout-va, les gens sont bohèmes, ratatouilles, vibratiles, et s’amusent comme des oufs, bah tiens ! Allons bon, accordons au moins à ce cinéaste nord-américain le bénéfice du doute, du genre « c’est fait exprès » et patati et patata : dans sa ville-lotissement préfabriquée et sa petite cage dorée étouffante, la banlieusarde April/Winslet rêve sa vie et, par la même occasion, ses fantasmes aussi, et ses phantasmes plus que jamais. Comme le disait Hitchcock, il vaut mieux partir d’un cliché que d’y arriver : ici, Mendes fait ça, ou semble le faire, et je le suis - ça passe, comme on dit. Mais le reste, c’est grave à quel point il enfonce des portes ouvertes !
Des exemples ? Ils sont légion. Tiens, on a le cliché du fou cynique qui, à défaut d’être chantant, révèle la vérité vraie aux gens bien-pensants qui, eux, ne sont pas vraies - bonjour Papa Freud ! Certes, on a lu Edgar Poe (« La science ne nous a pas encore appris si la folie est ou n’est pas le sublime de l’intelligence. » et on sait, comme Stanley (Kubrick) citant Sigmund, qu’il faut se méfier des apparences car « dans notre inconscient, chacun de nous tue et viole. » Mais là, c’est le fou avec, écrit sur son front comme à
Enfin, triste constat d’un film qui mise trop sur le savoir-faire, quitte à en oublier savoir-vivre et savoir-être : selon sa morale, la vie contemporaine est nulle, seul l’artiste, selon Mendes, est apte à défier le quotidien et à s’en sortir parce qu’il est l’Artiste, l’élu, au-dessus de la mêlée. April est dans ce schéma-là, et Sam Mendes, avec sa caméra sursignifiante, aussi, semble-t-il. Dans ce cas-là, je préfère l’approche d’un Séraphine (Martin Provost), beaucoup plus sensible, sensuelle et modeste : là-dedans, Séraphine de Senlis est déjà artiste sans avoir à peindre : voir, au début du film, son regard posé sur ses grosses paluches plongées dans une bassine d’eau (elle en observe les jeux de reflets et de transparence) ou encore ses yeux portés sur la lumière du soleil qui vient filtrer entre les branches d’arbres alors qu’elle est en train de pisser dans un champ. Voilà, l’art s’in-filtre partout, pas la peine d’être peintre en train de peindre, cinéaste professionnel-de-la-profession en train de surfilmer ou, que sais-je encore, comédienne confirmée pour pouvoir goûter, au-delà ou dans le quotidien même, au sel de la vie. C’est une affaire d’être au monde, tout un état d’esprit à cultiver, où même le savoir-vivre peut l’emporter sur le savoir-faire (artistique). En bref, ce film, à part nous montrer qu’il n’était pas bien drôle d’être une ménagère standardisée des années 50 dans le Connecticut, ne nous apprend pas grand-chose sur le couple : réalité du mariage, rôle de l’homme et de la femme dans la société moderne, etc. J’attendais nettement mieux - 2 sur 5 pour moi, pas plus.