samedi 25 octobre 2014 - par Menouar ben Yahya

Boris Vian

Portraits : Est une gamme de portraits de personnages ayant marqué leur époque ! C'est une sorte de raccourci "biographique", privilégiant l'aspect psychologique des personnages. l'exercice étant de donner des informations avec un minimum de mots, c'est un condensé de ce que fut la vie de ces personnages pour mieux appréhender leur quintessence. L’emploi du « Je » permet une intimité subjective qui se voudrait être celle du sujet. Présentation du portrait de Boris Vian.

Boris Vian {JPEG} Cadet d’une famille de quatre enfants, je nais le 10 Mars 1920 dans la région parisienne à Ville d’Avray ! C’est ma mère qui a eu l’idée de m’appeler Boris en hommage à l’opéra « Boris Godounov » pour mon frère Lelio ce sera un clin d’œil à Berlioz. Ma mère est pianiste, joue de la harpe tandis que mon père qui nous élèvera dans la méfiance des religions et du pouvoir est rentier. Nous somme une famille aisée. Très tôt on diagnostiquera chez moi une cardiopathie, Je suis instruit à la maison par une institutrice particulière, je sentirai bientôt ma maladie comme une charge ce qui fera naitre en moi un sentiment de culpabilisation qui me poursuivra toute ma vie. En enfant précoce, je sais lire à cinq ans et à huit, dix ans j’ai déjà parcouru tous les classiques, les vioques comme je les appelle, je voulais déjà passer à autre chose. La crise de 1929 va nous ruiner et nous serons obligés de déménager dans des lieux de plus en plus exigus. Un médecin affirmera à mes parents  : Il n’atteindra pas les 40 ans ! Ma mère nous couve, elle développe une phobie, la peur qu’ils nous arrivent quelque chose, au point que nous évoluons dans un univers clos et même nos vacances nous les passons dans le pays basque, dans une maison au bord de la mer avec une plage privée, l’extérieur semble pour elle une menace, Ma santé se dégrade et rend de plus en plus crédible le diagnostic funeste du docteur ! J’ai une angine infectieuse, plus tard ce sera la fièvre typhoïde, mais la même année alors que je n’ai que quinze ans, j’obtiens le baccalauréat, latin-grec, deux ans plus tard je décroche le baccalauréat de philosophie et mathématiques, les mots sont mes anticorps contre mes maux, le coté mélomane que nous tenions de notre mère allait lui aussi m’aider. Avant d’obtenir mon bac, je me suis découvert une passion, le jazz, à quatorze ans j’achète ma première trompette ! Je m’inscris au hot club de France et bien que ce ne fût pas bon pour mon cœur, je joue. Fasciné par Duke Ellington je crée avec mes frères et des amis un orchestre de Jazz, organise des surprises parties dans une pièce au fond du jardin. A cause de ma santé, je ne serais pas mobilisé mais tout ce que je peux dire c’est que : « Je ne me suis pas battu, je n'ai pas été déporté, je n'ai pas collaboré, je suis resté quatre ans durant, un imbécile sous-alimenté parmi tant d'autres. ». Comme les jeunes de mon époque j’ai l’esprit zazou, c’est-à-dire que je pense à m’amuser, à bien m’habiller, boire du pam pam, une boisson sans alcool et surtout je ne veux pas faire la guerre, Pétain on lui dit m…mais comme j’adore le jazz et que je suis fasciné par les Etats unis et leur culture, mon cœur bat pour les alliés. Je rencontre celle qui allait devenir ma femme, Michelle Léglise. C’est mon frère Alain plus branché que moi qui fait sa connaissance, à travers lui je lui parle, ça accroche un peu et lorsque mon frère lui donne rendez-vous à l’arc de triomphe, c’est moi qui y vais, je me vois encore lui dire : « Je remplace mon frère, elle me répond, bien volontiers », et c’est comme ça qu’a vingt et un an nous nous sommes mariés ! On manquait de tout, c’était la guerre, on était zazou , on voulait croquer la vie à pleine dent, on était complice en tout, la musique, la littérature, le cinéma et puis on s’aimait, alors pourquoi ne pas se marier, on pouvait mourir le lendemain. L’année d’après, le 12 Avril 1942 notre fils Patrick nait, en Juin je suis diplômé de l’école d’ingénieur et en Aout je commence à travailler comme ingénieur. On me disait il faut gagner ta vie maintenant mais moi ma vie je l’ai, je n’ai pas besoin de la gagner ! J’ai toujours écrit mais j’ai maintenant envie d’être publié, Michelle tape tous mes manuscrits, je fais la connaissance de Raymond Queneau, cette rencontre sera décisive car il est chez Gallimard, ça ouvre des portes…en 1944 mon père est assassiné alors que la maison est cambriolée !!! Nous sommes à la libération et je signe mon premier contrat chez Gallimard, j’écris régulièrement des articles de jazz dans un magazine, j’entre dans un groupe de jazz amateur, on fait un triomphe à Bruxelles, on se produit partout, et chaque souffle dans ma trompette conforte le sombre diagnostic, il n’arrivera pas à 40 ans  On a apporté le jazz à saint germain des prés, les plus grands y défilent, Ellington, Parker, Davis… puis c’est devenu le passage obligé des gens branché et comme les intellectuels dont Sartre fréquentait le Flore, les deux magots…on s’est rapproché d’eux. Sartre régnait en maitre sur la vie intellectuelle du pays, il fascinait. J’écris mon roman « l’écume des jours » l’écume dorée, tremblante et fragile de nos jours sensuels et menacés qui s’enfuient… ». Mon univers est influencé par le surréalisme et l’absurde, je Boris Vian/ Sartre {JPEG} veux attirer l’attention de Sartre, lui opposer mon esprit de dérision à son sérieux et j’ai fait de lui dans le livre, Jean Sol Partre et Beauvoir j’en ai fait une Baronne. Je me moque de la conférence qu’il avait faite et qui avait pour thème « L’existentialisme est-il un Humanisme », je montre ces intellos, aux regards fuyants, à la mine sérieuse, mégots jaunis et renvois de nougats, se pressant à la conférence du grand maitre. Son livre la nausée devient sous ma plume, le dégueulis puis le vomi et l’Etre et le Néant devient la « lettre et le néon », une étude critique sur les enseignes lumineuses. Sartre me rencontre et il me fait entrer dans son magazine « les temps modernes » ou j’écris la chronique du menteur, j’ironise sur tout, Michelle est aux anges, elle me considère comme un des leurs, elle est comme tous, fasciné par Sartre. Mon côté rive droite dérange ces intellectuels tous affidés soit à l’existentialisme, au communisme ou au Maoïsme. Je rejette tous les endoctrinements je ne resterai pas longtemps chez eux.. Je publie sous un de mes nombreux pseudonyme Vernon Sullivan : « J’irais cracher sur vos tombes », les associations morales me tombent dessus mais comme avec ma femme nous traduisons beaucoup de livres, je fais croire que je ne suis que le traducteur. C’est Michelle qui a eu l’idée du titre, moi j’avais pensé à j’irai danser sur vos tombes, j’aurais pu tout aussi bien écrire, j’irai pisser sur vos tombes mais j’ai horreur de la vulgarité. Le livre fait scandale et toutes ses attaques me chagrinent beaucoup, je pense avoir le prix de la pléiade pour l’écume des jours mais Malraux et Paulhan complotent contre ma candidature, et puis avec le temps Queneau finira lui aussi par refuser tous mes manuscrits, je n’étais pas un existentialiste comme tous ceux de chez Gallimard alors on m’a mis triquard, mais je continu à écrire produire des pièces de théâtres. Les relations avec Michelle sont difficiles, je m’éloigne de Sartre et de ceux du temps modernes pendant qu’elle s’en rapproche de plus en plus, j’arrête mon métier d’ingénieur pour ne me consacre qu’aux arts. En 1948 nait notre fille Carole mais Michelle devient la maitresse de Sartre peu de temps après, Il n’ira pas jusqu’à quarante ans, elle aurait pu attendre. Michelle me trouve trop jaloux, le couple façon Sartre et Beauvoir ça ne m’intéresse pas ! Un pacte renouvelable, l’amour en CDD, non merci ! On a souvent des prises de becs. De mon côte je rencontre Ursula Kubler une danseuse d’opéra, c’est elle qui me fait connaitre les pataphysiciens, Michelle a horreur de cette humour potache du collège de pataphysique ou l’amitié et les grosses blagues qui tachent font bon ménage mais moi ça colle parfaitement avec mon tempérament. L’équivalence des contraires, le sérieux, le pas sérieux sur le même plan, les jeux de mots, la dérision, l’humour, ça m’allait très bien…depuis la mort de mon père, j’ai toujours cherché un père de substitution, et j’ai à chaque fois été déçu ! Queneau m’a aidé puis il m’a coupé les ailes en ne me publiant plus et Sartre m’a arraché le cœur en partant avec ma femme, il m’a volé mon âme et tout mon cher passé. On ne reste pas par ce que l’on aime certaines personnes ; on s’en va par ce qu’on en déteste d’autres. Il n’y a que le moche qui fasse agir. On est lâche. Je divorce de Michelle officiellement en 1952, Patrick a 10 ans et Carole 4 ans ! Je passe une phase sombre. J’écris les poèmes de « je ne voudrais pas crever » ou je parle de la belle que voici que voilà, mon ourson l’Ursula ! Je prends de temps en temps mes enfants, j’emmène Patrick au ciné, je le balade dans mes voitures d’égoïstes, des voitures deux places, sauf une qui avait trois places, le chauffeur au milieu ! Avec Ursula que j’épouserai en 1954, je commence une nouvelle vie, tel le phénix renaissant de ses cendres ! J’écris une chanson qui fera scandale, « le déserteur » J’ai dû changer des paroles mais ma première idée ce sera d’écrire « …prévenez vos gendarmes que j’aurai une arme et que je pourrais tirer » ça ne colle pas avec l’esprit pacifique de l’époque, je le retire…j’écris des opéras, je deviens directeur artistique chez Philips, j’écris des chansons par centaines, Henri Salvador les chante, les salles sont bondées et le public se pisse de rire…je suis nommé directeur artistique chez Barclay, ça va pour moi, j’aime Ursula, je suis à l’aise financièrement ce qui n’a jamais été le cas depuis le début de ma carrière, j’ai toujours été dans la dèche et maintenant que tout colle et qu’il me reste tant de choses à faire, à voir et à z ‘entendre, je vois la gueule moche de grenouille bancroche qui s’amène, je goute le gout qu’est le plus fort, je goute la saveur de la mort, je meurs le 23 juin 1959 à 39 ans pendant la projection du film tiré du livre « j’irai cracher sur vos tombes ».



3 réactions


  • Radix Radix 25 octobre 2014 13:39

    Bel article, joliment écrit sur un homme que j’apprécie et que je rejoint sur beaucoup de points.

    C’était aussi un passionné de science-fiction, il avait traduit en français « Le monde des A » de Van Vogt.

    Radix


  • JP94 25 octobre 2014 15:57

    C’est intéressant mais il manque un petit détail à propos du train de vie : certes le père de Boris Vian était rentier mais en 1929 , il est ruiné et la famille change train de vie .

    Mais le papa ne désarme pas : la famille déménage dans la maison du jardinier , à laquelle le père de Boris , très bricoleur et ingénieux , ajoute un étage de ses mains ( aidé ) . La villa sera habitée par les Menuhin et Boris aura donc pour compagnon de jeu Yehudi ...
    Ce papa avait aussi imaginé des jeux littéraires ...

    Et puis il y a les chansons qui ont fait connaître Vian et comme personne n’a accepté de les chanter au début , alors il les a interprétées lui-même , de sa voix au timbre si particulier .Ce sont de petits bijoux avec la musique arrangée par Alain Gorraguer , mais improvisée comme il se doit pour du jazz.
    Ce n’est pas à cause du climat pacicifiste que Boris Vian a censuré le couplet mais à cause du contexte de guerre coloniale et de guerre froide qu’il a composé la chanson ! 
    Et cette chanson a été interdite .

    Il y a aussi l’incursion dans le cinéma...

    • Menouar ben Yahya 25 octobre 2014 16:39

      Merci pour ces précisions concernant le père de Vian ! En ce qui concerne le contexte de la chanson le déserteur, il faut rappeler l’affaire Henri Martin en pleine guerre d’Indochine, un marin qui fait de la propagande au sein de l’armée pour que cesse les hostilités, la chanson « Quant un soldat.... » chanté par Yves Montand est elle aussi contre la guerre. et c’est dans ce contexte que Marcel Mouloudji suggère cette version pacifiste du déserteur, le terme pacifiste est tout à fait approprié..


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