« Brüno » : trop faux pour être vrai ?

Brüno (USA, 2009, 1h30) est le dernier « mockumentaire » de Sacha Baron Cohen. Il nous narre les aventures rocambolesques de Brüno, créé pour l’émission de télé Da Ali G Show (1998) sur la chaîne The Paramount Comedy Channel. Bien décidé à être aussi célèbre qu’Hitler, ce présentateur autrichien, gay et antisémite, est prêt à tout pour parvenir à ses fins. On suit alors Brüno dans son « délicieux voyage à travers les Etats-Unis dans le but de rendre les hétérosexuels franchement gênés par la présence d’un étranger homosexuel portant un T-shirt résille. »
Il est de bon ton en ce moment de taper sur le mockumentary (doc-canular) Brüno sous prétexte que son auteur, Sacha Baron Cohen (SBC), serait moins subversif qu’avant. Installé désormais dans le système hollywoodien, il fait venir les stars à lui (Bono de U2, Elton John, Sting, Snoop Dogg…), allant même jusqu’à supprimer une scène farfelue avec La Toya Jackson par respect pour la famille Jackson suite au décès soudain du King of Pop. Alors, c’est vrai qu’au rayon transgressif, on a connu plus audacieux (un Gainsbarre par exemple brûlant un billet de banque en plein direct TV), c’est vrai aussi que, maintenant qu’il est fort célèbre du fait de ses rôles précédents qui ont cartonné au box-office (Ali G et Borat), le côté caméra cachée (« vraies personnes », « vraies situations ») de l’art de la provoc de SBC semble un peu éventé ; par exemple, on a du mal à croire qu’une star comme Paula Abdul se laisse piéger par lui en ne le reconnaissant pas tout de suite ou en le laissant développer devant ses yeux, un certain temps, son scénario farcesque.
Pour autant, il y a quand même quelques séquences qui sont fortes dans ce Brüno (du 3 sur 5 pour moi), j’en retiens au moins trois : lorsque Brüno en combinaison Velcro pose en fashion victim XXL à un véritable défilé d’Agatha Ruiz de
Certes, SBC ne fait pas dans la dentelle, il met les deux pieds dans le plat, mais il faut aussi voir d’où il vient, ses Ali G et Borat sont nés dans l’Amérique puritaine bushiste et va-t-en-guerre. Et, s’il cartonne dans les pays occidentaux (notamment les States et la vieille Europe -L’Autriche, l’Italie, l’Hexagone), c’est parce qu’il est « l’enfant terrible », et paranoïaque, de notre société du spectacle qui, sous ses airs libertaires, croule de plus en plus sous l’auto-surveillance généralisée à la 1984 et le retour à l’ordre. Attention, je ne dis pas qu’un SBC serait éminemment audacieux, il est par contre par moments culotté, son esprit potache contestataire venant in fine rejoindre celui du Michael Youn des 11 Commandements, dérivé de l’Américain Jackass, et de Rémy Gaillard qui, dans ses vidéos (certes gentillettes, mais parfois à la geste assez provocatrice), sur fond d’exploits sportifs gaguesques, d’intrusions et de caméras cachées, s’amuse à venir parasiter un espace social hyper normé (terrain de foot, supermarché, autoroute…). Certes, le danger pour SBC, au vu de sa célébrité, c’est de finir en Marcel Béliveau trash, et de n’être « que » ça, il est trop connu pour répéter ad libitum ses coups sans se faire immédiatement reconnaître - un peu comme chez nous des Lafesse avec son « théâtre de rue » et autres Raphaël Mezrahi aux interviews décalées ne pouvaient pas exploiter leur filon indéfiniment : célébrité (le fait d’être reconnu) oblige. Cependant, s’ils sont là, avec SBC en tête, c’est aussi parce qu’ils nous font du bien. On peut même dire qu’ils sont d’utilité publique ! Au fait, à quand un SBC remboursé par
Pour autant, est-ce que j’admire Sacha Baron Cohen ? Non, il est là où on l’attend. Son côté « poil à gratter » est un fait établi, il joue dans son terrain de jeu, on voit d’où il vient et où il va, il y a chez lui un côté pétard mouillé, « arroseur arrosé », « flingueur flingué » : il alimente les médias, associés au pouvoir et au politiquement correct, donc sa transgression bat de l’aile. En fait, question provocation, son Brüno m’a moins fait penser aux potaches Youn, Jackass & Gaillard qu’au Gran Torino d’Eastwood, mais en moins fort, en moins rebrousse-poil. Car, dans le dernier Eastwood, et même si on connaît bien sa filmographie riche en personnages réacs pas piqués des hannetons (cf. le Harry Callahan de Dirty Harry ou encore le sergent Tom Highway du Maître de guerre), on ne s’attend pas à ce que le bon vieux Clint mette dans la bouche de son Walt Kowalski, ancien de Corée aigri et bourré de préjugés, autant de saillies verbales racistes - à en rendre jaloux par exemple le flingueur du PAF en culottes courtes Eric Zemmour ! Cf. le cash « Casse-toi de ma pelouse » de Kowalski à un de ses voisins asiatiques. Et à entendre les rires nerveux qui étaient beaucoup plus nombreux en salle de cinéma devant le Gran Torino d’Eastwood que devant le Brüno de Sacha Baron Cohen, il n’est pas certain que le plus provocateur des deux, quant à la bien-pensance et l’idéologie dominante d’aujourd’hui (féministe, antiraciste…), soit celui qui s’affiche comme tel. On le sait, c’est souvent en avançant masqué qu’on vise au plus juste et qu’on gratte là où ça fait vraiment mal.
* Celui qui, comme le rappelle André Bazin dans M. Hulot et le temps (in Qu’est-ce que le cinéma ?, page 48), fait d’une chambre à air garnie de feuilles mortes une couronne mortuaire (Les Vacances de Monsieur Hulot).