jeudi 13 avril 2017 - par

Céline et les bonnes intentions

A propos de « Céline, la race, le juif  » de Pierre-André Taguieff et Annick Durrafour chez Fayard sorti le 1 février 2017

(et aussi de «  l'Art de Céline et son temps » de Michel Bounan chez Allia

Que des polémiques littéraires agitent encore notre pays, au moins pour les quelques rares lecteurs subsistant encore, n'est pas mauvais signe. Pour eux la culture est encore un enjeu important et non simplement une ligne statistique, une ligne de budget. On aimerait également que ce soit un sujet important pour les hommes politiques se présentant à la Présidentielle, mais aussi pour les citoyens, on peut toujours rêver. Les tenants de l'idéologie dominante, cette bien-pensance très mièvre, n'aiment pas la littérature. Elle diminue les performances économiques, elle implique de réfléchir sur les fins de ce monde. Elle encourage à l'indépendance intellectuelle, à rejeter l'instinct grégaire (quelle horreur !).

Je ne suis -je l'espère- pas le seul mais personne n'a jamais pu m'imposer quoi lire et surtout comment le lire. Aucune censure, y compris parentale, excepté des conseils de bon sens. Cela m'amuse encore toujours à titre personnel quand quelqu'un s'étonne : « Mais quelqu'un de ton milieu (sous entendu bourgeois et catholique) comment se peut-il que tu aies lu autant ?.Bien entendu, comme tout lecteur compulsif, j'ai parfois lu en boulimique, sans savourer vraiment le verbe d'un auteur, dévorant tout et n'importe quoi sans avoir forcément la maturité nécessaire. Depuis j'ai essayé et essaie toujours de développer mon palais...

Quand j'ai lu « le Voyage au bout la nuit » en seconde, j'étais sans doute trop jeune mais ce roman a marqué le reste de ma vie, et de mes goûts littéraires. Que Céline se fût avéré un salopard m'a choqué mais ne me semblait pas littérairement parlant d'importance :

On peut avoir du talent voire du génie dans n'importe quel art et être un sale con voire un immonde salaud. Ils sont innombrables parmi les écrivains tout comme dans le reste de l'humaine espèce, c'est ainsi. L'ouvrage à charge sorti au début du mois de Février de Taguieff et madame Durrafour tout comme celui de Michel Bounan édité il y a quelques années oublie la complexité de l'humaine nature, que nul n'a une âme blanche ou noire, que l'on trouverait plutôt une infinité de gris au cœur de l'esprit humain. Bien entendu il est plus rassurant de diviser l'humanité entre bons et méchants rassurants, de voir des monstres dans les criminels alors que le mal est d'une grande banalité..

Aux yeux des auteurs de « Céline, la race, le juif », les personnes raisonnables essayant de nuancer le propos sur l'écrivain sont automatiquement des adeptes d'un « célinisme » soit cynique, soit naïf. Ils font de l'auteur un genre de gourou ce qu'il n'a jamais. Il existe certes des « céliniens » qui prétendent lire ses romans pour justifier leur propre haine des juifs, mais ils ne sont pas légions. Céline a commis le crime ultime de par cette détestation, détestant le genre humain dans sa globalité. Rappelons aussi que les deux premiers pamphlets du « bon » docteur Destouches ont été ses plus grands succès de librairie, trouvant un écho extrêmement favorable dans l'opinion publique de son temps sans que personne n'y voit malice. Pourquoi ne pas punir aussi tant qu'il est temps tous ses lecteurs ? Leurs descendants de même ?

Les auteurs sont au fond dans le masochisme mémoriel le plus banal...

...Exemplaire qu'elle doit être la littérature.

...De la charge émotionelle citoyenne et civique.

...Le style, l'écriture, du nanan ! Rien d'important ! Il faut que ça soit une leçon d'instruction civique !

A partir du moment où l'on commence à moraliser la littérature ou l'écriture, on oublie l'une et l'autre considérées uniquement comme véhicules de démonstration pour une cause, une idéologie, une théologie aussi ou pour édifier les foules, ou contre le racisme, l'antisémitisme et le risque de retour des heures les plus...

...Vous connaissez la suite.

Quelle importance après tout ? Et le fait que l'écrivain soit réputé infréquentable me donnait de toutes façons encore plus envie de connaître le reste de sa production et de sa vie, sans pour autant sympathiser automatiquement pour ses vues politiques et son antisémitisme obsessionnel. L'autre raison était l'amitié indéfectible de Marcel Aymé, auteur que je révère, jusqu'à la fin, y compris après l'indignité nationale. Si le père de Dermuche ou de Delphine et Marinette la lui offrait c'est qu'il devait y avoir une certaine valeur humaine en Céline, malgré tout, et malgré son abjection parfois.

Dans sa vie ou dans ses livres. Aymé quant à lui fit paraître une nouvelle évoquant de manière claire et nette le sort des juifs pendant la Seconde Guerre.

Les auteurs de ces livres à charge contre Céline en font un agent des nazis, un antisémite stipendié par l'« Hitlérie », sans aucun remords. Ils oublient ne serait-ce que l'épisode du dîner chez Otto Abetz avec Gen Paul où Céline qualifia Hitler de « juif » et son comparse se lança dans une imitation paraît-il très réussie du dictateur. Ils prennent le lecteur pour un idiot immature, incapable de faire la part des choses, incapables de garder ce qui tient de la littérature, sombrant dans la crédulité absolue, dans une candeur abjecte en adoptant les convictions de Bardamu-Céline. Et ils sont prêts pour cela à des jugements dignes de l'Inquisition ou à de nouveaux autodafés au nom de bonnes intentions liberticides.

Dans « Rigodon », Céline racontera sa « rencontre » dantesque de toutes les victimes des camps qu'il crut rencontrer dans « l'Hitlérie » sous les bombes alliées. Ce n'était pas une manifestation de repentir, ou de remords, mais sans doute la compréhension intime de la souffrance des victimes du nazisme. Céline c'était l'hyperémotivité à fleur de peau, et non juste un écrivain éructant, employant de l'argot dans ses livres comme le montre Taguieff et Durrafour, un pitoyable primater humain fragile...

 

Sic Transit Gloria Mundi, Amen

Amaury – Grandgil

illustration empruntée ici et




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