mardi 23 octobre 2018 - par Eliane Jacquot

Cézanne et sa montagne magique, la Sainte-Victoire

Le lendemain, il n'en reprenait pas moins le combat : il se levait tous les matins à six heures, traversait la ville pour gagner son atelier où il restait jusqu'à dix heures ; puis il revenait par le même chemin pour déjeuner, mangeait, repartait : souvent à une demi-heure de route de son atelier, « sur le motif », dans une vallée au fond de laquelle la montagne Sainte-Victoire se dressait, indescriptiblement, tâche innombrable.

Lettres sur Cézanne, Rainer Maria Rilke, 1907

 

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Cézanne et les couleurs de la Terre ou le chant de la Terre- Mère

Le génie du Maître Aixois opère à partir de 1885 lorsqu'il se rapproche du paysage qui va l'occuper jusqu'à la fin de sa vie, la montagne Sainte-Victoire, transfigurée par toutes ses sensations ; tour à tour observée sous le soleil éblouissant et les ombres nettes de la Provence, terre aride balayée par un vent violent venu du Nord, le mistral. Tout au long de sa vie, la nature lui est indispensable, il y pratique le travail en plein air, « sur le motif ». Il est le premier artiste avec Monet dans son jardin à Giverny à créer de nouveaux volumes par la lumière contenue dans la couleur et par l'association de ces couleurs dans un monde minéral et végétal intimement liés.

Dans ses dernières années, il affranchit la peinture des référentiels impressionnistes, tout en demeurant dans une dialectique entre la perception d'un lieu « sur le motif » et la nature environnante. En cela il se distingue de l'abstraction, mouvement qui va naître au début du XXème siècle. Il n'a cessé de revenir sur son métier pendant vingt ans pour nous livrer dans une série de tableaux peints à partir de 1904, un poème cosmique où se mêlent le ciel et la terre, le minéral et le végétal dans un désordre harmonieux de formes géométriques et de couleurs primaires, jaune, orangé, bleu, vert. Cette vision réduite à l'essence même de la montagne est le fruit d'un immense travail accompli tout au long de ces années.

Union de l'art et de la nature, des sens et de l'intelligence, de l’œil et de l'esprit

La peinture de Cézanne apparaît comme une succession de questions sur le monde de par son interprétation et sa recréation du monde visible. Merleau-Ponty à son propos nous parle de la lenteur, du doute de l'artiste comme d'une façon d'être au monde, de se laisser envahir par lui pour le retranscrire sur la toile. Pour le philosophe « c'est ce monde primordial que Cézanne a voulu peindre,et voilà pourquoi ses tableaux donnent l'impression de la nature à son origine... » 1945, le doute de Cézanne

Le tableau « la Montagne Sainte -Victoire vue des Lauves, 1902-1906 », nous fait passer de la visibilité apparente vers quelque chose en train de naître, de prendre forme, d'inachevé. La leçon picturale de la Sainte-Victoire concerne aussi le travail constructif des jeux d'ombres et de lumière. Sainte-Victoire est le lieu à partir duquel cet homme à l'humeur sombre, perpétuellement insatisfait, grand solitaire, s'ouvre à la lumière et à la couleur de la montagne magique, chère au cœur de tous les Aixois. Elle apparaît alors, dans les dernières années de sa vie, au travers de l'impermanence de cette nature majestueuse, comme une métaphore de l'ensemble de son œuvre .

 

Au travers de son parcours qui mène du paysage pittoresque au pictural en quittant les conventions de la perspective et de représentation, le Maître d'Aix a élevé une montagne de dimensions modestes, offerte à son regard de la colline des Lauves, au rang d'un mythe dans la géographie picturale du XXème siècle. Le travailleur acharné qu'il fut, son influence déterminante aux confins de l'abstraction sont encore célébrés de nos jours.

Paul Cézanne , 1839-1906



4 réactions


  • zak5 zak5 23 octobre 2018 12:01

    bonjour,

    je l’ai vu cette montagne, elle n’a rien d’exceptionnelle, par contre cette montagne peinte par Cézanne oui elle est exceptionnelle

    Je me demande si Cézanne ne l’a pas peinte comme il l’a voyait en rêve


    • Nicole Cheverney Nicole Cheverney 23 octobre 2018 13:30
      @zak5

      Bonjour, peut-être que vous n’avez vu de cette montagne que la façade nord, celle que l’on aperçoit de loin, en venant depuis Avignon, Salon de Provence, etc. La montagne Ste-Victoire continue sur des kilomètres jusqu’aux confins du Var. Elle est constituée par une longue chaîne de falaises abruptes, aux couleurs très minérales - calcaires - blanches et rouilles par la présence de bauxite dans le sous-sol. C’est réellement majestueux, grandiose.
      De plus, tous ceux qui ont la chance d’apercevoir la Ste-Victoire depuis leur habitation, peuvent constater que tous les jours, suivant le temps qu’il fait et l’heure, elle se métamorphose littéralement. Elle peut passer du blanc, gris au violet vif ou au mauve pâle, le soir, au bleu, très « célestine », elle attire le regard. De plus, son aspect plissé comme la peau « d’un vieux pachyderme », lui donne un aspect particulier, unique dans la région.

      Oui, il faut la voir sur toutes ses faces et ses aspects pour l’apprécier réellement. Par contre, faire la grimpette jusqu’au sommet et y pique-niquer, comme le font de nombreux touristes et Aixois, demande quelques efforts, mais la récompense, au sommet, c’est la magie du paysage où nous pouvons admirer toute la vallée de l’Arc, et des alentours.

      Merci à l’auteur pour cet article.



  • Eliane Jacquot Eliane Jacquot 23 octobre 2018 13:45

    Bonjour zak5 ,Nicole Cheverney

    Sainte – Victoire est le sujet de 80 œuvres de Cézanne , entre 1885 et 1906, peintes « sur le motif » .

    A la fin de sa vie, en 1901, il aménage un atelier à l’étage d’une maison qu’il a achetée sur la colline des Lauves , dominant la ville d’Aix-en Provence, d’où il peut contempler sa montagne .Elle exerce sur lui une grande fascination , et c’est de ce poste d’observation que vont naître onze toiles considérées de nos jours comme des chef d’œuvre et de nombreuses aquarelles , au stade ultime de son œuvre .

    Il travaille inlassablement à ce projet, et de toile en toile, sa vision est réduite à l’essence même de la montagne, entre ciel et terre ,envers imaginaire du réel.

    Merci de m’avoir lue ,


  • velosolex velosolex 23 octobre 2018 18:34

    Beaucoup de peintres ont peint comme Cézanne le même sujet, avec obsession. Même quand ils n’ont pas le talent de celui ci, ils nous disent que la beauté est dans la rencontre du regard, et de l’objet, qu’on fait tourner inlassablement, les déplacements, autant que de soi, que de la lumière, catalysant les œuvres. 

    Constable ne se déplaçait pas non plus beaucoup. Toujours le même périmètre, et pourtant il devient universel par la qualité de son regard. A l’heure où tout s’uniformise, et où les voyages ne sont souvent que la rencontre du déjà vu, ces peintres nous disent que l’exotisme est un mythe et que l’émerveillement est en nous. 
    Et par l’expérience magnifiée de leur regard. Car si belle qu’elle soit, la montagne sainte victoire est encore plus belle depuis Cézanne, comme les alentours de Giverny et les bords de seine le sont depuis Monet. 

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