Comédie ou tragédie, j’en appelle à Henri Bergson

Libre de croire ou de ne pas croire, mais libre,
libre de vie, de désir, d’enthousiasme et de joie.
Je constate que je m’amuse avec la religion
L’athéisme ne suscite pas l’humour chez moi.
Trop suicidaire pour déclencher le rire.
Benoit XVI m’amuse, Karl Marx, pas vraiment,
Le premier est couvert et s’interroge pourtant
sur la couverture obligatoire.
Le second découvre le néant
et nous invite à le suivre.
Je refuse de sauter sans parachute !
Sondons les ressorts de l’humour.
J’ai souvent accompagné des patients en hôpital psychiatrique, c’est bien un environnement ou j’ai le cœur serré, je n’ai pas trouvé d’humour en ces lieux. Mais un autre monde, références flottantes, univers impalpable, suspendu entre un passé évaporé et un avenir improbable, un monde qui ne se conjugue plus, qui ne se qualifie plus, disqualifié donc, éradiqué et pourtant habité murmurant et criant même, mais clos. Clos comme un œuf à la fécondation irrésolue et aléatoire. L’autre monde, mais lequel ? celui de l’interrogation...sans humour.
Ces images successives sont un enfermement, une prison étanche, une forme de mort dans la vie. Une dépendance, l’ennemi de l’humour.
Devant la mort on s’interroge, le temps du deuil, toutes les équations sont posées et l’on déroule le passé à tous les temps et surtout au présent, on pleure l’absence, les épisodes du chemin, les bonheurs entrevus...et le bateau s’éloigne dans la brume du large,celle de nos yeux.
Deux mondes évoqués aux supports hypothétiques qui ne disent pas leur nom, tout au plus nommés à l’encyclopédie du néant, aux fantômes du souvenir, deux mondes vides et pleins à la fois...deux mondes tests, une invitation nous est faite à la seule condition de ne pas rompre avec la vie en ne cessant jamais de respirer, en écoutant son corps. Ce que l’on ne fait pas ou mal.
Le miracle peut se produire, d’ailleurs le miracle se produit toujours mais secrètement. La pression est si forte, la douleur est si grande que l’on oubli de respirer, mais le corps a des penchant récréatifs et se moque bien de nos états d’âme, c’est un illusionniste qui nous invite à la respiration par le sanglot dont il puise l’oxygène pour s’animer. Et voilà que l’on rit, qu’on s’esclaffe...il respire maintenant, c’est tout ce qu’il voulait.
Au fil de notre mémoire...un enterrement, un corbillard, le corbillard de notre enfance, celui cher à notre ami Georges, passé maitre du joyeux contraste, avec Saturne acoquiné pour les farces triomphantes et chantantes.
Un convoi funèbre s’engage dans la rue. De sombre vêtu, il s’étire comme un moment de désespoir, les passants, empathiques ou respectueux se font tout à coup modestes et tout petit, c’est un instant de discrétion et de gravité.
Dans le groupe des suivants, l’anomalie d’un participant, plus petit, solitaire, la tête inclinée dans une crispation qui interpelle. Une indiscrétion d’investigation journalistique me permet de zoomer sur le quidam. Le fripon, il s’interdit de pouffer.
Tout à coup, n’y tenant plus il laisse perler des soupirs ambigus, les gens se retournent, le dénoncent du doigt, lui lancent des regards noirs accusateurs, Dieu merci, l’extrémité de la rue, le convoi bifurque, il bondit et s’engouffre sous un porche, et s’abandonne enfin au rire, libre de respiration, libre de tout et seul au monde...seul au monde, il lève les yeux et découvre qu’il se trouve devant une salle de spectacle.
Mais c’est un film drôle ! Le voici maintenant dans une chambre moite,surchauffées de rires et de gesticulations, sur l’écran il tente vainement de suivre ce qui déclenche autant d’hilarité, il s’interroge, se sent seul et sanglote...dans un mécanisme de logique implacable, son corps l’incite à pleurer car, inconsciemment, il avait bloqué sa respiration, plongé brusquement qu’il était dans cette atmosphère saisissante.
On peut se poser la question de connaitre ce qu’il y a de commun entre une bonne blague, une farce, une pitrerie, un quiproquo de vaudeville, une scène de comédie ? Quelle est « l’essence, toujours la même, à laquelle tant de produits divers empruntent ou leur indiscrète odeur ou leur parfum délicat ? " « Un paysage pourra être beau, gracieux, sublime, insignifiant ou laid ; il ne sera jamais risible. On rira d’un animal, mais parce qu’on aura surpris chez lui une attitude d’homme, ou une expression humaine ». l’homme est un animal qui fait rire, et c’est justement par ressemblance avec l’homme que l’animal peut aussi nous faire rire. ( souvenez vous des prestations de Patrick Bouchitey)
Le rire explose aisément au milieu d’une atmosphère figée et tendue. C’est étrange comme nous pouvons basculer de la pointe du tragique, au comique le plus déridé. Il est remarquable que d’ailleurs les plus grands artistes comiques se reconnaissent justement en cela : une aptitude à passer du tragique, du drame à cet éclat de la drôlerie irrésistible. Buster Keaton ne souriait jamais. Charlie Chaplin reste très neutre dans son visage et il est très souvent pris dans des situations affreuses, dans la misère la plus totale par exemple dans La ruée vers l’or. Comme si il fallait presque pleurer pour rire.
Bergson emploie dans le texte le mot « sensibilité » dans un sens pathétique. Il veut dire que si nous en restons à l’identification au drame, à cette identification qui se produit dans l’émotion, alors le spectacle de la vie vous semble très sérieux. L’identification fait que si vous être pris par l’émotionnel, « vous verrez les objets les plus légers prendre du poids, et une coloration sévère passer sur toutes les choses ».
Nous connaissons les fous rires qui se répandent comme par contagion. Le rire est une sorte de résonance collective qui implique en fait une « complicité avec d’autres rieurs, réels ou imaginaires ». Le rire est « social », autant que « culturel ». Beaucoup d’effets comiques sont intraduisibles d’une langue à l’autre, parce que « relatifs par conséquent aux mœurs et aux idées d’une société particulière ».
La Vie est un mouvement permanent fluide et continu cela ne prête pas à rire. Mais une rupture inattendue créait une surprise qui peut faire jaillir le rire. Le clown qui discute avec son voisin et se prend un poteau, qui s’assoie sur une chaise trafiquée et se retrouve par terre, qui trempe la plume dans un encrier et le ressort plein de colle etc. la thèse de Bergson est la suivante : ce qui nous fait rire, c’est justement l’introduction de quelque chose de mécanique dans le vivant.
Si le comique se résumait à cela, on pourrait penser qu’il tient surtout à des situations et non à la personne. Il n’en n’est rien. L’avare, Les précieuses ridicules, chez Molière, La mégère apprivoisée de Shakespeare.
Bergson écrit : « Mauvais pli de la nature ou contracture de la volonté, le vice ressemble à une courbure de l’âme ».L’art comique va forcer les traits et mettre en relief ce pli rigide, face à l’écoulement de la vie dans des situations. Et le personnage va devenir drôle.
Celui qui est possédé par un travers n’en n’a pas toujours conscience. La moquerie est un retour de l’image de soi. C’est comme si l’excentricité d’un personnage suscitait immédiatement un mouvement vers l’équilibre dans le rire qu’il inspire.Le rire et la critique en fait ne sont pas éloignés. La thérapie par le rire semble évidente.
Bergson nous parle de la non-dualité de la relation entre l’esprit et la matière. Dans toute forme humaine,on aperçoit l’effort d’une âme qui façonne la matière. La légèreté de la forme vient de l’esprit. La lourdeur de l’attitude vient de la matière. L’effet comique apparaît irrésistiblement quand la matière se retourne contre l’esprit et en quelque vient lui chercher des histoires. « Le corps prenant le pas sur l’âme… la forme voulant primer le fond, la lettre cherchant chicane à l’esprit ».
La même loi énoncée plus haut se vérifie encore sur tout ce qui regarde les signes culturels et les signes de l’action qui leurs sont liés. Nous savons que « les attitudes et les mouvement du corps humain sont risibles dans l’exacte mesure où ce corps nous fait penser à une simple mécanique ». Le dictateur de Charlie Chaplin où le personnage d’Hitler s’agite frénétiquement est un bon exemple. « Imiter quelqu’un, c’est dégager la part d’automatisme qu’il a laissé s’introduire dans sa personne. C’est donc, par définition même, le rendre comique ».
Par comique d’action, nous pouvons entendre ce qui dans le déroulement d’une scène devient un enchaînement machinal qui prête à rire.
la comédie qui fait que les personnages ressemblent à des pantins tirés par des ficelles. « La comédie est un jeu, un jeu qui imite la vie »
On appelle comique de situation, celui qui est généré par la convergence d’événements qui vont se croiser donnant lieu à une situation d’expérience improbable, inédite qui est un imbroglio impossible pour le personnage qui s’y trouve coincé. C’est le schéma dont se sert constamment le vaudeville.
Les trois procédés, la répétition, l’inversion et l’interférence des séries, ont en commun le fait d’introduire de l’artificiel, contre le naturel. Notre vie nous semblerait vaudevillesque, si nous comprenions tout ce qu’elle peut avoir d’artificiel et de mécanique.
La puissance comique a besoin du tragique.Les gens les plus drôles sont aussi souvent les plus angoissés. Il y a une manière dramatique de penser, mais aussi une manière comique, les interférences entre les deux modes entrainent la chute, puis le rire.
Bergson a vu avec profondeur que le rire n’est pas une gratuité insignifiante. Il a une portée morale et une signification métaphysique. Sur le plan moral, sa valeur est de mettre en lumière la vanité. « Le remède spécifique de la vanité est le rire, et …le défaut essentiellement risible est la vanité ». Le rire a aussi « pour fonction de réprimer les tendances séparatistes. Son premier rôle est de corriger la raideur en souplesse ». La fragmentation que le mental introduit partout est nuisible. L’ironie du rire la met partout en question. Le rire réintroduit dans la vie individuelle et dans la vie collective, la fluidité qui lui manque souvent, il ramène donc ce qui est figé et mort, vers la Vie.
Entre l’opium du peuple, selon Marx et l’univers sans fond de ses visions pathétiques, je vous propose " Le rire" selon Bergson, c’est une chance de retrouver la foi dans la vie en réconciliant les contraires.