samedi 13 juin 2009 - par John McLane

Dans la brume électrique du jazz 70’s

Pour compléter la playlist jazz de Léon publiée le 10 juin dernier, certes de grande qualité mais quelque peu mainstream, je vous propose une petite excursion plus aventureuse en dix étapes sur les terres à la végétation luxuriante et surprenante du jazz des années 70 ; décennie au cours de laquelle ce genre musical, en s’encanaillant au contact d’autres musiques comme le rock ou le funk, s’est libéré des schémas traditionnels un peu trop castrateurs et à évolué vers des textures sonores inédites, percutantes et baroques, hybrides et abrasives, cela en intégrant des instruments électriques (guitare, basse, synthés).
Je ne me suis fixé qu’une seule contrainte dans l’élaboration de cette liste : le morceau devait figurer impérativement dans le catalogue du site Deezer afin que vous puissiez l’écouter immédiatement (l’écoute est légale, je précise). Bien évidemment, cet article n’a pas pour vocation à se présenter comme une vérité suprême sur le jazz des seventies.

- Jeff Beck, Diamond Dust, 8’25 (album Blow by blow, 1975)
 
On commence en beauté avec ce délicat morceau de l’illustre Jeff Beck, guitariste novateur qui, après avoir débuté au sein des mythiques Yardbirds, bifurque au début des années 70 vers le jazz. L’album Blow by blow propose neuf titres instrumentaux fusionnant à merveille jazz, rock, mais aussi soul (l’un d’eux est signé Stevie Wonder), et s’achève sur ce magnifique Diamond dust, pur joyau d’élégance mélancolique où la guitare de Jeff se glisse avec velouté entre le piano de Max Middleton et d’émouvants arrangements. Même Dieudonné et Alain Soral verseraient une larme à l’écoute de ce spleen poignant !
 
- Stanley Clarke, Life is just a game, 9’00 (album School days, 1976)
 
Life is just a game n’est pas le slogan de la dernière pub pour la Wii, mais bien le morceau clôturant l’album School Days du bassiste Stanley Clarke (que l’on retrouvera plus loin). Morceau euphorique, pêchu, plein de fougue et de jeunesse, escapade en grand huit nous bringuebalant entre des solis virtuoses encadrés par un refrain inoubliable qui se siffle comme un hymne national ; bref, une véritable bande originale de la vie urbaine que nous ferions bien d’adopter comme bande originale de nos existences.
 
- Deodato, Also sprach Zarathustra, 8’56 (album Prelude, 1973)
 
Si vous ne connaissez pas encore ce morceau HAL-LU-CI-NANT, il est de temps de vous plonger dans ce crossover improbable mais jouissif entre le jazz, le funk, les rythmes latins et le morceau de musique classique Also sprach Zarathustra de Strauss, immortalisé par Stanley Kubrick dans 2001 : L’Odyssée de l’espace  ! Eumir Deodato, arrangeur brésilien injustement méconnu (on lui doit entre autres une reprise fabuleuse du générique de Star Trek) nous balance là au visage un véritable lance-flammes musical à l’ambiance unique, agrémenté d’une guitare féline et de cuivres affûtés comme des lames. Du jazz-funk SF qui n’a rien de monolithique !
 
- Herbie Hancock, Hidden Shadows, 10’11 (Album Sextant, 1973)
 
Après des débuts be bop au cours desquels il prouve ses talents de mélodiste imparable (cf. l’immense Maiden Voyage en 1965) et bouleverse la grammaire jazzique avec moult innovations, Herbie Hancok est, avec le gigantesque Mile Davis, celui qui, au croisement des 60’s et des 70’s, a dépucelé le jazz en le sortant des sentiers battus et en l’ouvrant au son électronique. Le morceau Hidden Shadow est l’illustration parfaite de cette voie atypique et téméraire prise par le jazz dans le sillage de cet expérimentateur génial : collage sonore imprévisible aux bruits étranges où se télescopent avec fracas des instruments en roue libre, ce boeuf ésotérique peut paraître aride la première fois mais mérite plusieurs écoutes afin d’en apprécier toute la richesse kaléidoscopique. 
 
- Herbie Hancock, Chameleon, 15’41 (Album Head Hunthers, 1973)
 
A nouveau le grand Herbie avec cette synthèse parfaite entre le jazz et le funk qui, pendant un quart d’heure, régale nos oreilles sur deux actes entraînants, le premier acide et excité, le second duveteux et contemplatif, pendant lesquels le claviériste remonté s’en donne à coeur joie sur ses machines, entouré d’une équipe de choc (Bennie Maupin, Bill Summers). L’album Head Hunters aura une énorme influence sur toute la production musicale "black" des trois décennies suivantes (funk, R’n’B, hip-hop).
 
- Isaac Hayes, No name bar, 6’09 (Bande originale du film Shaft, 1972)
 
La présence d’Isaac Hayes dans cette liste peut surprendre car cet artiste s’est surtout illustré dans la soul. Je souhaitais d’abord rendre hommage à ce fabuleux musicien disparu il y a presque un an (on lui pardonnera sa parenthèse scientologiste). Et puis, surtout, sa discographie est traversée de fulgurances purement jazz, comme cet épatant No name bar, tiré de la bande originale du légendaire polar black Shaft. Cet entêtant morceau qui s’enroule suavement autour de deux boucles exécutées au trombone et à la flûte, dégage une atmosphère blaxpoitation délicieusement surannée qui me fait regretter de ne pas être né plus tôt !
 
- Mahavishnu Orchestra, Hymn to him, 19’19 (album Apocalypse, 1974)
 
Et s’il n’en reste qu’un, ce serait celui-là, aurait écrit Victor Hugo s’il avait écouté ce sublime morceau du Mahavishnu Orchestra, emmené par le prodigieux guitariste anglais John McLaughlin, l’homme qui en a deux grosses. Cette épopée spirituelle et lyrique de vingt minutes, dominée par la guitare volubile de McLaugh’, le violon enivrant du français Jean-Luc Ponty et des arrangements féeriques, nous donne un avant-goût du paradis dans lequel on ira tous (même Dieudonné et Alain Soral).
 
- Return To Forever, Duel of the jester and the tyrant (part I & part II), 11’26 (album Romantic warrior, 1976)
 
Le groupe Return To Forever peut être considéré comme la dream team du jazz des années 70 : Chick Corea aux claviers (sosie officiel de Mario Bros, au passage), Stanley "life is juste a game" Clarke à la basse, Al Di Meola aux guitares et Lenny White aux percus. L’album Romantic Warrior est construit autour du thème du Moyen Age. Pourtant, sur le plan musical, les six morceaux du disque entretiennent un lointain rapport avec l’univers médiéval à la Chrétien de Troyes : il s’agit avant tout de jazz-rock, et un jazz-rock impétueux et flamboyant, en témoigne ce morceau racé et complexe, véritable démonstration du savoir-faire orchestral du quator royal.
 
- Carlos Santana, Here and now / Flor de canela / Promise of a fisherman, 13’28 (Album Borboletta, 1974)
 
Je précise qu’il ne s’agit pas là de trois morceaux différents mais d’un seul et même morceau découpé en trois actes. Sinon, que dire ? Eh bien que le mexicain Carlos Santana - autre sosie officiel de Mario Bros - n’a pas toujours été l’auteur des sucreries quelque peu faciles et commerciales, telles Supernatural, qu’il nous propose depuis dix ans. Au contraire, dans la première moitié des années 70, son jazz-rock était l’un des plus audacieux et inspirés qui soit. La preuve avec cette séquence issue de Borboletta qui commence sur une envolée mystique faisant penser au Love Supreme de Coltrane et se lance ensuite dans une longue chevauchée chaude et véhémente, où des percussions furieuses s’entrechoquent avec une guitare en état de grâce, le tout dans un foisonnant univers aux sonorités latines.
 
- Weather Report, Birdland, 5’57 (Album Heavy Weather, 1977)
 
On ne présente plus Weather Report, groupe mythique de jazz fusion organisé autour de la triplette magique Joe Zawinul (disparu il y a deux ans), Jaco Pastoius (disparu bien trop tôt en 1987, dans des conditions tragiques) et Wayne Shorter (qui, lui, est encore bien en vie, heureusement). On ne présente plus non plus le morceau Birdland, véritable tube jazz qui a dynamité l’année 1977, pur concentré de bonne humeur et de joie de vivre (François Bayrou devrait l’écouter en boucle en ce moment) avec son fameux refrain simple et exaltant qui reste gravé dans le marbre des cerveaux dès la première écoute !
 
Le grand absent de cette liste est bien évidemment Frank Zappa. Seulement, voilà : celui-ci est, assez curieusement, quasiment absent de Deezer... 


17 réactions


  • John McLane John McLane 13 juin 2009 12:11

    Deux petites erreurs de frappe que vous m’excuserez : il faut bien sûr lire MileS Davis et Jaco PastoRius.


  • morice morice 13 juin 2009 12:25

    "On commence en beauté avec ce délicat morceau de l’illustre Jeff Beck, guitariste novateur qui, après avoir débuté au sein des mythiques Yardbirds, bifurque au début des années 70 vers le jazz"

    c’est très certainement le pire des guitaristes de la période...


  • morice morice 13 juin 2009 12:29

    Le grand absent de cette liste est bien évidemment Frank Zappa.

    ah, on va retrouver qui est derrière le pseudo McLane....

    Sinon, comme tout visiteur régulier d’Agora Vox, je commence à en avoir plein les couilles (désolé mais ça sort comme ça vient) de ce noyau d’extrêmistes en adoration devant cet imbécile d’antisémite qui pollue quotidiennement le site de leurs articles et leurs commentaires qui sentent le ranci. Non seulement ces fachos s’incrustent de plus en plus, et sans pudeur, mais, de surcroît, ils se permettent de faire la loi en éreintant à plusieurs tous ceux qui ont un point de vue démocrate se démarquant de leur vision du monde ségrégationniste et obscurantiste. Ayez bien conscience du fait qu’une personne qui découvrirait Agora Vox pour la première fois pourrait presque croire que ce site est orienté extrême-droite. Bref, pour éviter qu’AV tombe définitivement entre les mains de ces parasites du FN et autres groupuscules affiliés, que les responsables du site - car il y en a, non ? - fassent quelque chose. A moins que c’est ce qu’ils souhaitent...

    C’est votre nouvelle manie, M. Dugé, que d’illustrer vos articles avec des pochettes d’album de rock progressif ? Après Pink Floyd et Frank Zappa, quel disque choisirez-vous pour le prochain article ? Pictures at an exhbition d’Emerson, Lake & Palmer (http://pagesperso-orange.fr/religionnaire/artistes/emerson_lake_&_palmer/art/pictures_at_an_exhibition.jpg) pour évoquer la vente des objets d’art d’Yves Saint-Laurent et Pierre Berger ?


    • John McLane John McLane 13 juin 2009 12:36

      Je ne vois pas trop où vous voulez en venir, là, Morice... Je vous signale que cet article est culturel et musical. Le but est donc de causer culture et musique...


  • Yohan Yohan 13 juin 2009 12:48

    Je me permets de rajouter le Spectrum de Billy Cobham

    Pour Momo laisse tomber, c’est monsieur je sais tout mieux que les autres


    • John McLane John McLane 13 juin 2009 13:11

      « Je me permets de rajouter le Spectrum de Billy Cobham »

      Vous faites bien. Ce morceau est magnifique et groovy à souhait. Massive Attack l’a samplé dans son premier album.


  • Yohan Yohan 13 juin 2009 14:26

    Soyons gourmand, un petit zeste de Brad Meldhau


  • brieli67 13 juin 2009 16:55

    EOTH
    le monument der Kanon

    http://de.wikipedia.org/wiki/Escalator_over_the_Hil

    qu il a été possible d’apprécier sur scène il y a deux ans à Essen


    • John McLane John McLane 14 juin 2009 11:57

      Escalator Over The Hill ne m’a jamais complètement convaincu, malgré un premier morceau époustouflant et la participation de John McLaughlin au projet. Vous avez donc vu le spectacle sur scène ? Avec Carla Bley ?

      Sinon, je n’ai pas trop saisi votre lien sur le Wikipedia allemand. Vous savez, moi et la langue de Goethe...


  • clark clark 15 juin 2009 16:16

    La plupart des musiciens cités dans la playlist sont issus de groupes formé par miles davies
    bizarrement il n’ apparait pas sur la playlist. pourtant le premier disque de jazz électrique,
    jazzrock etc...est un disque de davies BITCHES BREW 1969


    • John McLane John McLane 15 juin 2009 18:41

      @ Clark

      C’est une excellente remarque. Mais comme vous le rappelez vous-même, l’album Bitches Brew, disque fondateur du jazz « fusion » dans le sillage duquel s’est engouffrée une quantité hallucinante de musciens, date de 1969 (on peut citer aussi l’excellent In a silent way, sorti la même année). Il est donc en dehors de la période que j’ai traitée. Et les quelques galettes jazz-rock dont Miles nous a gratifié durant les seventies (deux ou trois, pas plus) n’arrivent pas au niveau du couple Bitches Brew/In a silent way (un excellent Live at the Fillmore East, en mars 1970, est à signaler, cependant). Bref, dans les années 70, les élèves Hancock, Corea, Zawinul, McLaughlin et consorts ont dépassé le maître, en quelque sorte.


  • saxophone saxophone 16 juin 2009 18:00

    selection pertinente est surtout bien situé dans sa période......même si la période jazz-rock c’est étendue sur plus longtemps jusqu’a disont la « fusion »...Cela dit sur ce forum je pense que certains devraient reconnaitre que face à John Mc Lane ils ne font pas le poids, surtout quant on veut porter la contradiction on ecrit pas Miles DAVIES, mais Miles DAVIS (à moins que cela soit de l’humour au 6ème degré......Si je partage un peu l’avis de Morice sur Beck (seul choix de Johnny que je ne trouve pas judicieux) je n’ai pas vu l’ombre d’un propos « facho » c’est vraiment du n’importe quoi .......Mais c’est que pour certain qui n’ont lu « que la princesse de clève » la culture les gène.


    • John McLane John McLane 18 juin 2009 11:53

      @ Saxophone : « selection pertinente est surtout bien situé dans sa période »

      Merci bien. Pour revenir à Morice, très brièvement, il n’est pas intervenu ici dans le but de mettre en évidence un aspect « facho » de ma personne (il aurait bien du mal, de toute manière, car je suis l’antithèse absolue d’un facho) mais parce qu’il doit croire que mon avatar cache l’un des zozos qui l’embêtent sur ces articles.


  • clark clark 22 juin 2009 04:10

    en ce qui concerne la période, l’enregistrement de ce disque date de décembre 69 ! il était donc dans les bacs en 70.quant a l’influence de biches brew ,in a the silent way.
    a en croire les interviews de mc Laughling, Jarret,Hancock etc....c’est tout le contraire !
    toute la musique qui a été produite dans la première partie des70’s(jazzrock) n’est que la simplification des expérimentations de Davies .en gros les élèves n’ont jamais dépasses le maitre.


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