mardi 15 mai 2012 - par Vincent Delaury

« Dark Shadows », c’est du Burton

Le dernier film de Tim Burton est une adaptation de la série TV américaine Dark Shadows de Dan Curtis, diffusée de 1966 à 1971 sur ABC. Le film met en scène une histoire de rivalité entre un vampire, incarné par l’acteur fétiche du cinéaste, Johnny Depp, et une sorcière, interprétée par la jolie Française Eva Green. 1752, Joshua et Naomi Collins, pour échapper à une malédiction qui pèse sur leur famille, quittent Liverpool, en Angleterre, afin de prendre la mer avec leur fils Barnabas et ainsi commencer une nouvelle vie en Amérique. Mais même la force de l’océan ne vient pas à bout de cette terrible malédiction et la famille Collins se dirige de nouveau vers son destin ; vingt années passent, Barnabas règne sur Collinsport, dans le Maine. Riche et puissant, il use de ses charmes pour mettre le monde à ses pieds… jusqu’à ce qu’il commette l’irréparable : il brise le cœur de la charmante Angélique Bouchard, qui n’est autre qu’une sorcière. Celle-ci lui jette alors un redoutable sort : elle le transforme en vampire et l’enterre vivant. Deux siècles plus tard, Barnabas est par inadvertance libéré de sa tombe, il atterrit en 1972 dans son manoir de famille, au sein d’un monde complètement transformé…

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Dark Shadows
Tim Burton

 Johnny Depp, Michelle Pfeiffer, la Catwoman sexy inoubliable de Batman, le défi (1992), une star du rock (Alice Cooper), une histoire de château hanté, des fantômes, une famille dysfonctionnelle, des êtes inadaptés à la vie sociale moderne, un jeu d’ombres et de lumières, un parfum mortifère agrémenté d’un zeste de Grand-Guignol : à coup sûr on est bien dans un film signé Tim Burton. Son dernier film, en attendant le prochain qui sortira à l’automne (Frankenweenie), a des qualités indéniables, se montrant à l’aise à vadrouiller sur les terres fantastiques de Poe et de Roger Corman, sur fond d’Eros/Thanatos. Visuellement, comme à son habitude en général, Tim Burton réalise, via notamment les bleus sombres et les noirs cendrés de Dark Shadows, un beau film ténébreux, stylé et classieux ; l’image est en tout cas bien plus belle que celle de son inégal et par moments hideux Alice au pays des merveilles. L’introduction du film (l’histoire de famille racontée en quelques minutes) est remarquable, on sent qu’on est entre les mains d’un très bon cinéaste-conteur, et certains plans récurrents du film (un rocher à pic surplombant une mer d’encre, une noyée évanescente hantant un manoir) sont superbes, ils restent bien en tête après la projection du film. Celui-ci a aussi pour lui d’avoir un ton léger qui est assez nouveau dans l’univers burtonien. Ce cinéaste grand enfant, qui raconte d’ordinaire des histoires au 1er degré, adopte là un ton décalé qui donne l’impression qu’il ironise sur sa propre petite boutique des horreurs, sur son fonds de commerce habituel (la peur qui fait rire, combinant horreur soft et comique absurde). On a le sentiment qu’il a bien regardé Tarantino, à qui il semble emprunter certains procédés caustiques « postmodernes », dont la mise en abyme autour de sa propre filmographie. Et certains gags anachroniques de Dark Shadows sont savoureux, notamment ceux autour de l’enseigne Mc Do, des hippies seventies terrassés par un vampire officiant dans les règles de l’art, ainsi qu’une pléiade de quiproquos bienvenus participent vraiment à l’humour charmant, et un brin désuet, de Dark Shadows ; par exemple, lorsque la jeune ado tourmentée de la famille Collins lui demande s’il a fumé pour être aussi bizarre, le vampire Barnabas, interprété malicieusement par Depp, lui répond, carrément à l’Ouest, « Ils ont essayé de me brûler vif, ma petite. En Vain… » C’est drôle, enlevé, pimpant, décalé, bref ça fonctionne bien.

 Voilà, Dark Shadows est un film de cinéma qui fonctionne bien mais c’est certainement là que le bât blesse. Hormis le ton léger et auto-ironique du film, qui est assez nouveau chez Burton, on ne peut pas dire que le cinéaste virtuose de films inspirés tels Beetlejuice (1988), Edward aux mains d’argent (1990), Ed Wood (1994) et autres Sleepy Hollow (1999) fasse ici preuve d’une originalité débordante. Il fait ce qu’il sait faire, brillamment, mais rien de plus, ce qui donne quand même l’impression au bout d’un moment de regarder un objet filmique sans risque, une machine narrative assez lisse et quelque peu sans âme. Une fois que Burton a (parfaitement) campé le décor, on est classiquement au sein d’une esthétique train fantôme et on se balade dans un territoire hanté qui se cantonne, assez paresseusement, à une histoire assez plan-plan d’une rivalité entre un vampire et une sorcière ; l’acmé du film étant, comme dans n’importe quel blockbuster, une scène de combat attendue remplie d’effets spéciaux entre ces deux êtres hors normes. Dark Shadows : autant plastiquement le film est réussi, autant narrativement il ronronne, peut se montrer assez répétitif (cf. les gags anachroniques pas tous réussis, on n’est pas loin des Visiteurs par moments !), et ne décolle jamais vraiment ; mais, à sa décharge, peut-être est-ce dû à la trame linéaire de la source de départ (cf. la série télévisée ringarde mais désormais culte).

 En tout cas, avec ce Dark Shadows 2012, on est loin de la réussite du Bal des vampires (1967) de Polanski – un film ô combien célèbre dans le registre de la peur qui fait rire - et on ne retrouve jamais pleinement la magie marabout-de-ficelle et le côté subversif des plus grandes réussites artistiques de Burton, précédemment citées. Certaines séquences de Dark Shadows auraient pu aller beaucoup plus loin, par exemple le happening géant orchestré par Alice Cooper n’emprunte aucun chemin de traverse qui aurait pu l’entraîner vers l’underground libertaire, c’est d’autant plus étonnant que Tim Burton est plasticien et a donc connaissance de l’art hors limites des années 70 (le body art par exemple), et la scène de sexe entre Barnabas Collins et Angélique Bouchard, hormis une langue aguicheuse en clin d’ œil, reste très sage, comme si Burton, cinéaste venant de la marge mais désormais consacré*, se contentait de faire un film grand public, labellisé Warner Bros, qui n’aille pas trop loin dans le hors piste afin de répondre aux attentes mercantiles du studio hollywoodien ; même un Twilight, grosse machinerie romantique hollywoodienne pour adolescentes, se montre plus sensuel et moins coincé, c’est dire ! On se dit alors que la Burton’s touch a aussi ses limites. Lorsqu’on est un cinéaste établi et honoré, à la marginalité devenue un effet de signature, il est certainement difficile de sortir d’une identité visuelle très forte qui tire chacun de ses opus gothico-chics vers la griffe, voire la marque (de fabrique). Au fond, quand Burton tente de sortir des sentiers battus de son propre cinéma (Big Fish, La Planète des singes, Alice au pays des merveilles), il n’est pas toujours à l’aise, ses productions sont à dire vrai plutôt faiblardes et, à l’inverse, lorsqu’il est désormais de plain-pied dans son registre habituel (l’horreur néo-gothique comique), il a bien du mal à nous surprendre, nous donnant l’impression que son cinéma, malgré son immense talent, fait du surplace en alignant une… Dream Tim des plus attendues. Et devant Dark Shadows, malgré les charmes visuels indéniables du long métrage (du 2,5 sur 5 pour moi), on ne peut s’empêcher de se dire que les choses les plus importantes à dire (sur l’enfance de l’art, le goût de la marge s’opposant à la norme sociale), eh bien Burton les avait dites dès ses premiers films : Pee-Wee Big Adventure (1985), Beetlejuice (1988) ; ce Dark Shadows (2012), au final, donnant quand même fâcheusement l’impression qu’il navigue pépère dans son terrain de je(ux) habituel. Bref, Dark Shadows, c’est du Burton, mais rien de plus. Allez Tim, étonne-nous !

 

* L’art de Tim Burton, cinéaste, photographe et dessinateur, bénéficie, jusqu’au 5 août 2012, d’une exposition remarquable, battant des records d’entrées, à la Cinémathèque française. http://www.cinematheque.fr/fr/expositions-cinema/printemps-2012-tim-burto/



5 réactions


  • Brath-z Brath-z 16 mai 2012 06:23

    Je n’ai pas encore vu ce film, mais étant plutôt bon public des films de Burton (je vous accorde néanmoins volontiers qu’Alice au Pays des Merveilles était... très décevant), je pense que j’irai le voir malgré cette critique ambiguë qui ne donne pas vraiment envie.

    Par contre, j’ai littéralement sursauté quand j’ai lu que pour Big Fish, Burton n’était pas à son aise. A mon humble avis de cinéphile du dimanche, il s’agit de son meilleur film, le seul qui m’a accroché au point de l’avoir vu, revu et re-revu, chaque fois avec un plaisir intact.

    Merci pour cette critique smiley


  • Vincent Delaury Vincent Delaury 16 mai 2012 12:54

    Brath-z : « j’irai le voir malgré cette critique » 
    OK, et n’hésitez pas à venir ici faire part de votre ressenti à l’égard du film.
    Cdlt,
    VD


  • soleilsoyeux 20 mai 2012 13:49

    Tout à fait d’accord avec l’auteur : un film esthétiquement très réussit, mais c’est tout.
    ça ne casse pas trois pattes à un canard.

    Juste un frémissement « Tu ne sais pas aimer » adressé à la sorcière... oui, beaucoup d’entre nous ne savent que posséder et surtout pas aimer, donc libérer l’autre et vouloir son bonheur....

    Un film presque banal, dont nous parlons à cause de son réalisateur et de la distribution.


  • DUSSEAUX Damien 3 juin 2012 14:15

    Une critique juste (qui me fait penser à votre critique de « Prometheus », dans le sens où R. Scott et T. Burton sont des « grands » toujours susceptibles de nous émerveiller, mais dont on attend beaucoup plus), vous lire est un plaisir Mr Delaury...


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