lundi 11 mai 2009 - par Michel Frontère

Denis Tillinac et la beauté des Vietnamiennes à bicyclette

Je le revois fin février deux mille quatre à Carré d’Art, à Nîmes, avec la mine renfrognée du type revenu de tout, lui le catholique pratiquant peu enclin pourtant, de ce fait, à céder aux affres de l’acédie. 

Miston de l’école (entendre littéraire, et non pas communale) de Brive, auteur de plus d’une trentaine de livres, qui l’eût cru ? , plutôt ami du genre féminin que du genre humain, il publie : « Rue Corneille », l’adresse même des éditions de La Table Ronde aux destinées desquelles il a longtemps présidé avant, écrit-il, de “tromper la littérature avec la diplomatie” via une mission sur la francophonie que lui confia Jacques Chirac et qui lui permettra d’admirer à Hanoï … la beauté des Vietnamiennes à bicyclette, un “Songe indochinois” - titre de l’un de ses poèmes (1) - éveillé ; ne riez pas ! leur beauté sauvera peut-être le monde.

Denis Tillinac, il a son parterre de fidèles - j’en fais partie - qui le suit chemin faisant sur les sentiers d’une littérature qui se veut plus rustique que raffinée (par équivalence, dans la gent animale, vous penserez à une vache Aubrac plutôt qu’au caniche nain de Madame) même si Chateaubriand en est l’un des phares, surtout ici : « Rue Corneille ».

Pourtant, et contrairement à l’auteur des « Mémoires d’Outre-tombe », notre ami reste inconsolé de ne pas avoir pu embrasser l’Histoire, même s’il l’a tutoyée ce qui nous vaut des évocations de l’Afrique ou plutôt, devrais-je dire, de la Francafrique et de ses réseaux où circulent les valises que l’on baptisa diplomatiques dès lors qu’elles transportaient plus de monnaie fiduciaire que d’effets personnels. 

Ce n’est pas ce qui m’a le plus accroché cette litanie de noms de chefs d’États africains, les Omar Bongo & co, qui ont pillé leurs pays sans que les gens du quai d’Orsay ne paraissent s’en émouvoir outre mesure. Sans doute faut-il y voir de la résignation, ou du renoncement pour parler gaulliste.

Je lui préfère l’évocation de cette France qualifiée avec condescendance par certains de profonde et où : « Il y a toujours au bout d’une départementale un clocher roman que je ne connais pas, une Bovary locale qui daigne s’intéresser à ma prose  ». 

Cela vient à point nommé nous rappeler que Tillinac a débuté comme correspondant local de La Dépêche du Midi du clan Baylet. Il y a connu Jacques Chirac à ses débuts, il se sont liés d’amitié, même si Tillinac prend maintenant ses distances alors que pour asseoir, à droite, le leadership du maire de Paris il ne regimbait pas à pourfendre autrefois dans « Le Monde » le représentant de la droite cachemire, Édouard Balladur (2). C’est peu dire qu’il a détesté les années 2004-2007 quand la repentance servait à lier la sauce des plats qui mijotaient au sein du service politique des journaux et/ou des cabinets. On la pratiquait il est vrai à tout crin : collaboration, colonisation, conspiration ; la France était sommée de s’excuser de tout. Comme si l’Histoire était affaire de civilité !

Mais remettons Denis Tillinac sur le métier, son métier le temps d’un double septennat ou à peu près, celui d’éditeur. Revenons à ce qu’il nomme “mes années Table Ronde”. Il y aura publié de la poésie, genre réputé très difficile à vendre, notamment Bernard Delvaille, là pour le coup c’est en intégralité, chapeau bas Monsieur ! des essais comme « Les frères séparés  » de Maurizio Serra, son dernier - et excellent - choix d’éditeur, ou encore les souvenirs rugbystiques de Denis Lalanne qui nous rappelle « Le temps des Boni  », ce temps béni du rugby d’avant le professionnalisme et les maillots rose bonbon du Stade Français, ah ! cette finale de 1963, Dax-Mont-de-Marsan.

Cependant, c’est assez rare pour être souligné, ne croyez pas qu’il tire la couverture à lui, bien au contraire, il rend par exemple un très bel hommage (le livre lui est dédié) à Marie-Thérèse Caloni, la cheville ouvrière de la maison, elle décèdera l’été deux mille six d’un cancer. Alice Déon assurera la relève. Mais, comme le chantait Brassens (3) : « Le cœur, hélas, n’était pas dans le coup », Tillinac s’en ira car, sans doute : « vient un âge de la vie où plutôt que de débusquer le talent d’un tendron en littérature, on préfère relire les classiques ».

Si Baudelaire et Balzac ont vécu rue Corneille, Tillinac aussi. Le bail est échu ? On ne saurait s’en plaindre. Sans cela nous n’aurions pas eu cette “chronique d’une dépossession”, chant du cygne d’un homme dans les veines de qui ne cesse de circuler le venin de la mélancolie (4) ; bref un lointain parent de René. Toujours Chateaubriand.

(Denis Tillinac, « Rue Corneille », éditions de La Table Ronde, Paris, 2009, 18 €)

Michel FRONTÈRE

Notes

(1) in « La pluie sur les carreaux dessine des fantômes », éditions Le cherche midi, Paris, 2005, 9 € 
(2) « François Mauriac disait de Laniel : ” Cet homme sent le lingot. ” Sans imputer mécaniquement la formule à Balladur, on notera que ses apôtres les plus empressés [on peut penser à Nicolas Sarkozy] sont basés dans la banlieue ouest où le mètre carré n’est pas donné. Disons que le balladurisme sent un peu le lingot. Ou le magot  », Denis Tillinac, Débats Droite. Beaucoup de bruit pour rien in « Le Monde », édition du 7 octobre 1994
(3) in « Cupidon s’en fout »
(4) « Le Venin de la mélancolie », éditions de La Table Ronde, 2004, 17 € 50 



6 réactions


  • franck2009 11 mai 2009 12:43

    Denis Tillinac doit largement sa carrière à l’élection de Jacques Chirac. Il est actuellement dans les petits papiers de Nicolas Sarkozy.

    Chercher l’erreur.


  • ZEN ZEN 11 mai 2009 12:59

    Les Vietnamiennes sont maintenant presque toutes en scooter et en jean, guidon d’une main , portable de l’autre...


  • Michel Frontère Michel Frontère 11 mai 2009 13:57

    @franck2009 : vous avez partiellement raison, car il doit surtout sa carrière à l’académicien Michel Déon, mais de toute façon c’est l’écrivain qui m’intéresse. De même que j’apprécie l’écriture de Pierre Drieu La Rochelle alors qu’il a collaboré pendant la guerre ...

    @zen : exact, on peut ajouter qu’elles doivent aussi porter aujourd’hui un masque pour les protéger de la pollution, mais cette vision, si j’en crois le poème auquel il est fait allusion dans mon article, daterait de 1999. 


    • franck2009 11 mai 2009 17:52

      Je reconnais ne l’avoir jamais lu. L’entendre s’écouter parler m’ayant largement suffit.

      C’est un peu l’homme qui délivre son message dans Marianne que je vise et pas tellement l’écrivain.

      Je reconnais que déjà sous Chirac il m’horripilait. Son pseudo message du terroir qui s’aligne sur le pouvoir parisien et une réelle gourmandise pour les honneurs. En effet, voilà quelqu’un qui se défend toujours de vouloir bénéficier d’une prébende particulière et que nous retrouvons toujours dans un exercice de lèche bottisme périlleux car il en va par exemple de l’héritage gaullisme et au hasard de l’indépendance du pays, pour mieux complaire aux atlantistes au pouvoir.

      Vous voyez que moi et la littérature...c’est un peu comme Tillinac et la fidélité.


  • Michel Frontère Michel Frontère 11 mai 2009 18:35

    @ franck2009 : c’est dommage ces attaques ad hominem (avec “m” à la fin ou “n” ?), encore une fois ce qui m’intéressait c’était le bilan d’un éditeur à la tête d’une maison d’édition, « La Table Ronde », dont j’aime le style des auteurs et j’ai même essayé, pour tout vous dire, d’y être publié y compris du temps de Tillinac (je ne suis pas rancunier) et y compris, plus récemment, en proposant de verser une participation substantielle aux frais mais en vain, hélas !

    Mon article était, je le reconnais, bienveillant par rapport à Denis Tillinac mais je reconnais que s’éloigner comme il le fait maintenant de Chirac pour se rapprocher de Nicolas Sarkozy ça fleure un opportunisme très radical.

    @Le furtif : vous fantasmez à bon compte sur les Vietnamiennes, franchement c’était je pense un bon titre pour mon article mais ça se limitait à ça. C’est tout ce que vous avez à dire ?


  • Bill Grodé 11 mai 2009 18:39

    Très bel article sur un écrivain plus connu pour son amitié présidentielle que pour ses livres, et qui donne envie de les découvrir ;
    Contrairement à certains commentateurs, j’aime bien l’entendre parler, et je suis persuadé que son attachement à sa Corrèze est tout à fait sincère.
    Et pour enfoncer un peu le coin entre la position d’un écrivain et ses idées, je connais beaucoup d’amateurs de Céline qui ne sont pas, mais alors pas du tout, dans son camp politique. Merci.


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