vendredi 6 janvier 2017 - par Frédéric Degroote

Dollé, Clérambault et Scarlatti : les goûts réunis du label Paraty

Fin d’année 2016, le label Paraty a sorti plusieurs disques. Retours sur trois d’entre eux qui présentent un répertoire peu pratiqué voire inédit.

 

Le premier disque s’attaque à l’œuvre pour viole de gambe de Charles Dollé (c.1710-c.1755), compositeur dont la fortune discographique reste maigre malgré l’indéniable qualité de sa musique.

Tirées du deuxième recueil publié en 1737, les pièces choisies pour l’album appartiennent à cette période de déclin pour la viole où l’ombre de Marin Marais et les frasques d’Antoine Forqueray demeurent les derniers feux du genre. Le traité d’Hubert Le Blanc intitulé Défense de la basse de viole contre les entreprises du violon et les prétentions du violoncelle parait d’ailleurs à peine trois ans plus tard. Peu de documents nous sont parvenus sur Charles Dollé. Le compositeur n’a pas eu l’honneur de devenir musicien du roi et les zones d’ombre sur sa vie demeurent dès lors plus nombreuses que pour certains de ses prédécesseurs. Pour autant, le disque montre combien le compositeur possède un univers poétique bien à lui. Profondément inscrites dans le style français, les trois suites présentes ici évoquent tour à tour la veine mélodique hypnotique de Marin Marais (Rondeau le Turpaux de la Troisième suite en la majeur) — Dollé a écrit aussi un Tombeau de Marais le Père de toute beauté —, la justesse de François Couperin (Sarabande de la Deuxième suite en do mineur) ou la virtuosité d’Antoine Forqueray (Carillon de la Troisième suite en la majeur).

Ce disque est assurément une des meilleures surprises de cette fin d’année 2016. Vigueur et jeunesse caractérisent Robin Pharo et ses acolytes qui font ressentir toute la passion et le talent qu’ils ont pour cette musique. On apprécie le velouté de la sonorité des violes de Robin Pharo et Ronald Martin Alonso, le formidable continuo formé par Thibaut Roussel, Loris Barrucand et Ronan Khalil, la respiration insufflée aux préludes et aux sarabandes, ainsi que l’énergie déployée plus généralement, toujours en phase avec le discours de chaque pièce. Voilà assurément un premier disque accompli et rempli de tendresse qui devrait, on l’espère, en amener d’autres !

 

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L’Anonyme Parisien
Pièces pour viole de gambe de Charles Dollé

Robin Pharo, viole de gambe et direction
Ronald Martin Alonso, viole de gambe
Thibaut Roussel, théorbe et guitare baroque
Loris Baruccand, orgue
Ronan Khalil, clavecin


2016 Paraty 416145



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Du catalogue de Louis-Nicolas Clérambault (1676-1649), l’œuvre vocale sacrée en occupe plus de la moitié, regroupée entre sources tant imprimées que manuscrites. Pourtant, ce n’est pas forcément ce pan de l’œuvre auquel on pense lorsqu’il s’agit de promouvoir le compositeur : ses pièces pour clavier et ses cantates profanes sont parmi les plus appréciées et les plus enregistrées. 

L’enregistrement que propose Fabien Armengaud et l’Ensemble Sébastien de Brossard fait la part belle à huit motets pour voix d’hommes, la plupart conservés sous forme manuscrite et dédiés au culte marial. Ce qui ressort comme une évidence à l’écoute du disque, c’est la constante adéquation entre texte et musique. Clérambault fait montre d’une palette de couleurs nuancés, d’effets rythmiques et harmoniques afin de jouer sur les dynamiques et les contrastes. A cet égard, le motet tiré du psaume 76 (c.130) est éloquent par le rare traitement réservé aux vers décrivant le passage de la Mer Rouge et le déchainement des éléments : eaux troublées, tonnerre, tremblements, autant d’images que le compositeur prend soin de caractériser par une écriture quasi opératique.

L’Ensemble Sébastien de Brossard retrouve Cyril Auvity en haute-contre, Jean-François Novelli en taille et Alain Buet en basse-taille, entourés d’une équipe instrumentale aussi experte que leurs collègues chanteurs dans l’interprétation de cette musique essentiellement inédite. Les trois voix parviennent à se fondre dans l’écriture polyphonique et à donner le meilleur d’elles-mêmes dans les passages solistes afin de restituer les caractéristiques et les subtilités des partitions. Cette parution discographique est une entreprise bénie pour un répertoire qui n’est somme toute pas souvent mis en avant, qui plus est avec les qualités intrinsèques que porte ce projet.

 

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Louis-Nicolas Clérambault
Motets à trois voix d’hommes et symphonies

Cyril Auvity, haute-contre
Jean-François Novelli, taille
Alain Buet, basse-taille

Ensemble Sébastien de Brossard
Fabien Armengaud, orgue, clavecin et direction



2016 Paraty 516141


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Le dernier disque nous emmène en Italie, et plus précisément à Rome. Œuvre centrale du disque, la Messa Clementina d’Alessandro Scarlatti (1660-1725) pousse les portes de la Chapelle Sixtine bien que le compositeur n’en fit jamais partie. En réalité, Scarlatti a écrit deux Messa Clementina, une en 1705 l’autre en 1716, et les a offertes au pape Clément XI dans l’espérance d’une reconnaissance professionnelle et d’améliorer son statut. 

Ce disque s’attache à restituer la Messa Clementina I écrite en 1705 et largement diffusée grâce aux 25 manuscrits copiés jusqu’au XIXe siècle. L’auditeur pourra être dérouté dès les premières mesures car ce que cette messe renferme tient plus d’une esthétique conservatrice, presque « Renaissance », que de la musique « baroque ». En effet, loin des cours princières et des lieux de modernité, la Chapelle Sixtine est l’occasion pour une certaine école romaine de cultiver une musique digne du rituel et de la symbolique que le lieu incarne ; une musique a cappella, c’est-à-dire une musique vocale polyphonique sans accompagnement instrumental et dont la figure de proue est Giovanni Pierluigi da Palestrina (c.1525-1594), représenté dans le disque par deux motets. Pour autant, Scarlatti ne fait pas que modeler son écriture dans celle de l’école romaine, il la rehausse en incorporant des tournures harmoniques modernes à des moments clés du texte.

Le Parnasse français dirigé par Louis Castelain délivre une interprétation juste qui rend compte d’une profonde connaissance de l’œuvre (parlant de projet fouillé, on citera aussi les excellents textes du livret de Luca Della Libera et du chef). Que ceux qui apprécient un Scarlatti plus maniériste se rassurent, les deux derniers motets ajoutés en fin de programme et composés à la même époque de la messe renvoient à une écriture familière — et singulièrement le Salve Regina — où les dissonances et les audaces contrapuntiques semblent ne jamais s’arrêter. Il reste immanquablement à espérer que la musique de cette qualité chez Scarlatti continue de fleurir au disque. Et pourquoi pas une anthologie ou une intégrale des Responsori per la Settimana Santa ?
 


Alessandro Scarlatti
Messa Clementina

Le Parnasse français
Louis Castelain, direction

2016 Paraty 316153


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