Et Ed Wood rencontra la concurrence, ou « On y rit, on ira »
Depuis longtemps déjà, me taraudait l’envie de dévoiler à la face du monde l’injustice subie par un des piliers de la culture populaire nationale. Un article de presse et la chaleur aurorale me décidèrent enfin à lever les derniers soupçons qui planaient encore sur celui qu’on peut qualifier d’Empereur du Nanar.

Non je ne vous parlerai pas d’un ex-ministre entaulé, braillard olympien provençal, non plus d’un doc sac à riz, non plus d’un béat bronzant aux caméras monégasques, encore que ce dernier aurait quelques locaux points communs avec mon sujet. Mon propos veut réhabiliter un ogre, un monstre, une icône gargantuesque que le cinéma français s’épuise à cacher. J’ai nommé le régional de l’étape : Emile Couzinet.
Certains mal disant, méconnaissant le personnage, pourraient être troublés par la confluence de nos prénoms et argueraient un nombrilisme pernicieux, il n’en est rien et je le prouverai.
Emile Couzinet est né en bord d’estuaire à Bourg-sur-Gironde en l’an de brasse crawlée 1896, après quelques années à traquer la pibale, à croquer le virjus et à courir gueuses et pavés, il devint projectionniste itinérant, sorte de colporteur d’antan converti en manivelle. Après la Der des Der, ses pérégrinations cinématographiques l’escortèrent jusqu’à Royan, azuréenne perle des Charente, où, époque oblige, il s’imposa à la direction du casino municipal. C’est ici qu’il fonda ce que deviendra Emile Couzinet, l’homme, le cinéaste, le créateur et en 1920 la Burgus Films, société de distribution. En suivant l’engouement du cinéma des années folles, il ouvrit le "Gallia" à Agen, puis étendit son empire sur la capitale girondine avec cinq autres salles dont il était, pour certaines, architecte et décorateur allant jusqu’à copier les fastes du Rex parisien.
Cependant, pour notre héros, le cinéma ne se cantonnait pas en écrans et projecteurs, il passa derrière la caméra, sortit sa plume et produisit ses pellicules, en résultèrent vingt-deux longs métrages, une quinzaine de publicités et quelques documentaires. Le nabab possédait et maîtrisait personnellement le cycle complet, du scénario (sous le pseudonyme Robert Eyquem) à la projection, de la réalisation à la distribution. En 1937, les dépendances du casino furent transformées en plateaux, les "Studios Royan Côte de Beauté", jusqu’à la Seconde Guerre mondiale, après moult jaloux bombardements U.S. hollywoodiens, en 1944 il décida de construire de vraies et ultramodernes studios, les "Studios de la Côte d’Argent", dans l’agglomération bordelaise.
La Burgus Films muta en société de production et il créa un consortium de distribution avec ses concurrents en place : la Gallia-Cinéi ; ainsi il détenait le quasi-monopole du 7e art sur la région.
Mais quels étaient ces films enchapés de plomb, d’aucuns, critiques émérites de tabloïds ampoulés, diront que naquirent des studios de la rue de Tauzin les pires navets de production nationale, d’autres appréciaient le concept végétalien Couzinet, le public bordelais ne se trompa pas et ces toiles firent un tabac jusqu’à la fin des quinquises. L’homme aimait à dire qu’il ne briguait aucune palme d’or préférant distraire travailleurs et ménagères, cinéma populaire, truculent, graveleux parfois, mais précurseur des bidasseries sous-douées, florilèges d’humour carabin. Il alliait le burlesque (régionalité partagée avec Max Linder) aux costumes, naviguait d’un Pagnol dérisoire au pastiche de Giono, il flairait la bonne humeur, troquant le puritanisme d’outre-Atlantique contre un grivois sein dénudé attirant foudres calotines et gogos en goguettes. Son travail, pourtant, ne manquait pas de sérieux, il était en constante recherche de l’acteur, du réalisateur, du professionnel qui donnerait à sa production cette envergure absente, essayant d’engager le réalisateur René Pujol, débauchant à de multiples reprises Gaby Morlay, utilisant Jean Tissier ou Louis Seigner, découvrant Robert Lamoureux, il lança la carrière de Jean Carmet et pied de nez à la vantardise eut pour assistant un certain Sergio Leone.
Ce dilettante du 7e rêve avait édifié une logique industrielle n’ayant nulle part son pareil, maîtrisant la création de l’œuf à l’écran, dominant avec ses fidèles compagnons, le décorateur affichiste René Renneteau, le monteur André Sarthou et le célèbre musicien Vincent Scotto, tous les aspects d’une filmographie achevée bien que délirante. Victime de la critique assassine et aux prémices d’une nouvelle décennie, un dernier film boudé dans les bégaiements de Pierre Repp, la naissance de la nouvelle vague et le public versatile vinrent à bout de l’empire Couzinet. En 1964, le Génie du Nanar s’éteint, enfoui sous l’édredon des conventions verticauricularisées.
Emile Couzinet : La filmographie
Si vos détours vacanciers vous mènent en la cité de Royan (17) ne manquez pas l’exposition "Couzinet un cinéaste à Royan" au Musée municipal jusqu’au 14 décembre.
Viens de paraître : "Citizen Couzinet, Hollywood sur Gironde" de Françoise Mamolar aux éditions Bonne Anse.
Si vous avez aimé "Ed Wood" de Tim Burton vous aimerez "Hollywood-sur-Gironde, ou la fabuleuse aventure d’Emile Couzinet" d’Eric Michaud.