jeudi 20 septembre 2012 - par Taverne

Etes-vous plutôt « fêtes galantes » ou « natures mortes » ?

C'est la question que l'on vous aurait posée dans la France aristocratique du XVIIIème siècle pré-révolutionnaire. Etes-vous rococo ou admirateur de l'oeuvre de Chardin qui mènera plus tard André Gide à l'"extase" ? Alors que Watteau, Boucher et Fragonard, Van Loo, rivalisent de chatoiement et de légèreté, Chardin figent les scènes, introduisant tout d'abord un peu de vie dans ses premières natures mortes (un chat, un chien...), puis plus rien. Econome des couleurs, il sut composer des symphonies en utilisant toutes les nuances d'une même couleur.

A ma droite, Jean Antoine Watteau (1684 - 1721), Jean-Honoré Nicolas Fragonard (1732 - 1806), François Boucher (1703 - 1770). A ma gauche, Jean Siméon Chardin (1699 – 1779). N'y voyez aucune allusion politique. Tout les oppose. Les trois premiers font dans le léger et dans la plus extrême frivolité, Chardin , lui, fuyant le luxe de son siècle, préféra les natures mortes, les peintures de genre et les pastels. Tous quatre ont produit des chefs-d'oeuvre dont nous présenterons ici les tableaux les plus célèbres en illustration (et les oeuvres quasi-complètes en vidéo).

Watteau

Ci-dessus "Pierrot" (anciennement intitulé "Gilles")

Watteau était né à Valenciennes, ville flamande qui venait de devenir française. Il est un des créateurs représentants du mouvement rococo. Inspiré par la commedia dell'Arte, il aime à représenter le théâtre dans ses tableaux. Ses tableaux les plus célèbres sont un Pierrot (anciennement intitulé Gilles) et ses deux Pèlerinages à l'île de Cythère. Watteau, qui aimait Rubens (il admira son oeuvre dédiée à Marie de Médicis) et Venise, retint du premier le réalisme généreux et de Venise la théâtralité. Véronèse l'influença aussi beaucoup. Il mourut de la tuberculose à seulement 37 ans.

"Watteau, ce carnaval où bien des coeurs illustres,
Comme des papillons, errent en flamboyant,
Décors frais et légers éclairés par des lustres
Qui versent la folie à ce bal tournoyant ;"


Baudelaire "Les Phares"

Boucher et Fragonard

Fragonard

Ci-dessus "Le Verrou"

Il fut peintre d'histoires, de genre et de paysages. Il est l'arrière grand oncle de l'artiste-peintre Berthe Morisot, une célèbre impressionniste du siècle suivant (lire sur Agoravox : "Berthe Morisot, la femme impressioniste"). La famille de Fragonard comprenait de nombreux artistes : Marguerite Gérard, sa belle-sœur et élève, remarquable peintre intimiste, Marie-Anne Gérard, son épouse, miniaturiste charmante, Alexandre-Évariste Fragonard, son fils, Théophile Fragonard, son petit-fils, fils d'Alexandre. Son cousin, Honoré Fragonard, est un anatomiste célèbre dont les « écorchés » sont conservés dans le musée Fragonard (École Nationale Vétérinaire de Maisons-Alfort).

Boucher

Ci-dessus "L'Odalisque"

Peintre emblématique du style rococo, il fut aussi membre de la célèbre goguette de la Société du Caveau. Il y apportait ses dessins qui firent parfois, l'objet de chansons. A son retour d'Italie, ses succès dans la haute société et la protection de Madame de Pompadour, assurèrent sa réussite. Il peignit pour Madame de Pompadour une série de tableaux : la "Nativité" (1750, Lyon, Musée des Beaux-Arts), "La Toilette de venus", "Venus consolée par l'Amour" (1751, New York Métropolitain Museum), "Le lever du Soleil" et "Le coucher du Soleil" (1753, Londres, Wallace Collection) , "Les Quatre Saisons" (1755,New York, Frick Collection). Il affectionna les nus féminins et fut pour cela surnommé de son vivant "Le Peintre des Grâces".

Chardin

Ci-dessus "La Raie"

Il est probable que deux de ses tableaux, "la Raie" et "le Buffet" lui aient ouvert les portes de l'Académie royale. Ces deux taleaux aujourd'hui au Louvre, furent copiés plus tard par Henri Matisse. Lorsqu'il se rendit compte qu'il ne pouvait pas vivre uniquement de ses natures mortes, chardin se mit à peindre ses premiers tableaux à figures. Très laborieux, il manquait d'imagination et éprouvait de grandes difficultés à composer ses tableaux, ce qui expliquerait en partie le fait qu'il reproduisit la même structure pour plusieurs scènes.

D'origine modeste, Chardin ne put pas se payer le voyage initiatique en Italie pour sa formation. Il reporta beaucoup d'espoirs sur son fils Jean Pierre qui remporta en 1754 le Premier Prix de l'Académie et entre à l'École Royale des élèves protégés. Le fils put accomplir ce que le père ne put réaliser dans sa jeunesse : poursuivre ses études de peinture à Rome. Hélas ! Il sera enlevé par des corsaires anglais au large de Gênes en 1762. Il sera libéré mais il mourra en 1767 à Paris, à moins qu'il ne se soit suicidé à Venise.
 

Ah ! J'oubliais ! Si vous hésitez à répondre à la question du titre, inutile de vous prendre la tête car, de toute façon, le retour du classicisme balaiera très vite tout cela avec l'arrivée de Jean-Louis David ((1748 - 1825)...
 



4 réactions


  • Taverne Taverne 20 septembre 2012 11:10

    Le mystérieux Verrou :

    Fragonard l’exécuta pour le marquis de Véri, qui souhaitait un pendant à « L’Adoration des bergers ». Ainsi s’opposent amour profane et amour sacré. Certains détails intriguent. En effet, si l’homme verrouille la porte, pourquoi la chambre est-elle déjà dans un désordre (lit désordonné, vase renversé, laissant présager un tumulte de jeunes tourtereaux) ? Quel que soit le sens qu’on lui prête, le tableau est en rupture avec la production antérieure de Fragonard. Il le peint après 1774 et un second séjour en Italie qui revivifie son inspiration. Inhabituel chez Fragonard, le dessin n’est pas crédible, le bras de l’homme est trop long, et le cou inexistant. La lumière est posée sur le couple, comme un projecteur, alors que des tentures de baldaquin situé hors champ accentuent encore l’impression d’une scène théâtrale ; les étoffes constituent en effet plus de la moitié de la surface peinte totale.

    Le verrouillage reste un mystère. C’est comme si en fermant le verrou de la porte, le peintre fermait du même geste ce secret d’alcôve.


  • Taverne Taverne 20 septembre 2012 11:20

    L e mystère de la Raie :

    Chardin introduit un peu de vie dans cette nature morte avec le chat et avec, ce chat, l’idée de désordre imminent, car l’animal s’apprête à faire tomber les huîtres...Autre procédé pour rendre plus vraie la scène, le peintre introduit des lignes obliques (le couteau dépassant de la table pour donner un peu de profondeur). Le croc auquel est suspendue la raie intrigue. En effet, il n’était pas de coutume pour les cuisinières de suspendre les raies vidées. Dans la peinture hollandaise et flamande, on peut voir des animaux percés d’un croc mais jamais suspendus, seulement posés sur un étal. Peut-être le peintre a-t-il voulu montrer les ouïes de la raie comme un leurre pour le spectateur (on dirait des yeux...)


    • Taverne Taverne 20 septembre 2012 11:24

      De plus, la position centrale de vision d’épouvante donne de l’équilibre au tableau et le centre attire immanquablement le regard du spectateur. Alors, leurre ou pas leurre, monseigneur ? Qu’en aurait-dit Paul Villach ?


  • Taverne Taverne 20 septembre 2012 16:17

    Mon ami moinsseur,
    Et moinsseuse ma soeur,

    Songez à la douce heure
    De toutes ces douceurs

    Répandues sur la toile
    Par d’aussi belles toiles !

    A ces beaux fonds sonores
    Dont l’oreille s’honore,

    A ces bijoux, ces arts
    Qu’a pas connus César.

    Amen.


Réagir