samedi 14 avril 2012 - par Paul ORIOL

Exhibitions, inhibitions

« Exhibitions, l'invention du sauvage » est une intéressante exposition présentée au musée du quai de Branly. Elle montre « comment ces spectacles, à la fois outil de propagande, objet scientifique et source de divertissement, ont formé le regard de l’Occident et profondément influencé la manière dont est appréhendé l’Autre depuis près de cinq siècles.
L’exposition explore les frontières parfois ténues entre exotiques et monstres, science et voyeurisme, exhibition et spectacle, et questionne le visiteur sur ses propres préjugés dans le monde d’aujourd’hui. »

Malgré l'attention apportée à ne pas mélanger les genres et à éviter le simplisme militant qui guette ce type de travail, surtout dans la période actuelle où les dérapages contrôlés mais intéressés et dangereux sont fréquents, y compris en haut lieu, l'exposition n'échappe pas et ne peut probablement pas échapper à sa situation dans le temps et dans l'espace. C'est une exposition qui se situe en France au XXIè siècle.

Dater la découverte de l'autre dans le regard occidental, du 15ème siècle, est évidemment discutable. Parce que l'autre a, probablement, toujours existé peut-être même avant le regard, dans l'imagination.

Dans les églises, à partir du 13ème siècle, apparaissent les gargouilles, utilitaires certes mais avec des sculptures qui font une large place à l'imagination, leur donnant un aspect terrifiant pour remplir une seconde fonction : éloigner les mauvas esprits et protéger la maison de Dieu.

Mais l'imaginaire terrifiant est n'est une création ni du Moyen Age, ni de l'Occident. Dans l'antiquité, les centaures ont pu illustrer l'affrontement entre civilisés et autres (sauvages ?), les chimères fantastiques et les dragons crachant le feu et dévorant les humains sont retrouvés dans des mythologies très diverses.

A coté de cet imaginaire, la nature donne vie à des créatures que l'on va appeler «  monstre  » : «  celui dont l'aspect nous est inhabituel par la forme de son corps, sa couleur, ses mouvements, sa voix, et même les fonctions, parties ou qualités de sa nature.  » (Saint Augustin). L'éthymologie du mot témoigne de son utilisaton. Le « monstre » est présenté au regard des curieux parce qu'il est « inhabituel » et bien que naturel, il paraît comme une anomalie de la puissante nature.

L'Occident a inventé ou découvert l'autre, comme chaque civilisation, chaque peuple, chaque village invente ou découvre son « autre  ». Il est bien connu que les peuples parlant d'eux-mêmes, se nomment souvent en des termes qui veulent dire «  humains, personnes  » (Inuits), «  peuple du ciel  » (Zoulou), «  homme libre  » ou «  rebelle  » (Imazighen), « noble et libre » (Imajeren/Touareg), « vrais hommes issus de cette terre  » (Anishinaabe)... Ils sont, souvent, beaucoup moins flatteurs pour désigner leurs voisins : « mangeurs d'homme  » (Mohawaks pour les Alonguins), « serpents à sonnettes » (Iroquois pour les Alonguins), perçus comme concurrents, dangereux ou ennemis...

Une période importante dans l'histoire de l'Autre en Europe, est la « découverte » des Amériques, de l'or et des Amerindiens dont certains sont ramenés à la cour comme pièce à conviction. Ces peuples, inférieurs bien sûr, vont être réduits en esclavage malgré Charles Quint qui interdit cette pratique en 1526, malgré la bulle du pape Paul III en 1537, malgré Bartolomé de Las Casas. Premières condamnations de l'Occident chrétien, déjà peu efficaces dans le contexte colonial de l'Espagne.

Le continent noir va être une réserve d'esclaves, pas seulement pour l'Occident. Mais le recours au continent noir par la traite pour l'esclavage occidental va fournir une main d'oeuvre peu chère, soumise et abondante. Cette situation connaîtra de « beaux jours » jusqu'au XIXème siècle. Malgré de multiples révoltes notamment la Révolution haïtienne menée par d'anciens esclaves (Toussaint Louverture, Jean-Jacques Dessaline) qui aboutit à la création de la première république noire, deuxième Etat indépendant des Amériques.
Si l'esclavage est aboli en France une première fois en 1792, Napoléon en 1802 permet son rétablissement sous la pression des colons des Antilles et l'abolition définitive n'aura lieu qu'en 1848... avec quelques entorses. Et le développement colonial.

Mais l'Autre (par excellence en Occident ?), n'est-ce pas aussi le juif, avec un antijudaïsme qui remonte au moins au IIIème siècle avant notre ère et qui a été accentué par la condamnation du peuple déicide et mangeur d'enfants chrétiens...

On pourrait dire aussi que « l'autre » se décline d'abord et partout (?) au féminin dans un monde pas seulement occidental où la femme se voit le plus souvent reconnaître une place seconde.

Mais le véritabe sujet de l'exposition, ce n'est pas la découverte de l'autre, ce n'est pas l'esclavage, ce n'est même pas la présentation d'êtres humains particuliers, inquiétants ou spectaculaires, soumis au regard curieux ou voyeur, intéressé ou méprisant, inquiet ou concupiscent, à la cour, dans les salons ou même à la foire du Trone, c'est le rôle de l'hexibition et la mise en scène à une échelle plus importantes de ces étranges étrangers dans la représentation de certains peuples façonnant leur infériorité et facilitant l'expansion coloniale.

Dans ce nouveau regard, dans cette nouvelle appréhension, la science et la poltique vont jouer un rôle très différent mais très important.

Désormais, la science peut tout étudier « objectivement ». D'autant que Darwin a désacralisé l'homme. L'homme n'a pas été créé par Dieu, il est le fruit d'une longue histoire. La science étudie, décrit, classe tous les êtres vivants, flore et faune. Rien n'interdit de classer les hommes comme on classe les plantes ou les animaux. Leur unicité « sacrée » n'avait pas empêché la hiérarchisation. La science jusitifie le classement et va essayer de prouver la hiérarchie. Les hommes sont évidemment différents. Dans la tête de tout un chacun et donc dans celle des savants qui sont de leur époque et cette différence va impliquer une hiérarchie. A partir de mesures diverses, d'observations, anatomiques, culturelles..., ils vont s'efforce de démontrer cette hiérarchie.

La question est toujours la même : diversité et/ou égalité ? Du constat, les hommmes sont différents, on passe au postulat, les hommes sont inégaux. Postulat de départ, qui va entrainer la recherche de preuves scientifiques de cette inégalité : on va alors hiérarchiser en fonction de telle particularité physique ou comportementale... A l'inverse, la déclaration des droits de l'homme postule l'égalité des hommes « en droits et en dignité », entraine pour beaucoup un refus de l'évidente diversité. Notamment par peur d'une tentation hiérarchisante dont on a connu les effets au XXème siècle... (Peut-on parler de races humaines ?)

Les conclusions des savants du XIXème siècle, « savants de leur temps », vont être très utiles aux politiques. Ils ont entretenu l'idée de supériorité. Qui était « légitimée » par une supériorité indéniable, celle des armes, des moyens techniques qui vont permettre l'extension et l'exploitation coloniales et aussi l'ouverture de nouveaux champs à la rivalité au delà des océans, sur l'ensemble de la planète, entre impérialismes européens.

Les discours sur l'inégalité considérée comme essentielle, définitive, permet l'exploitation et même l'esclavage, sans problème, des êtres inférieurs, hommes ou bêtes. L'inégalité temporaire, remédiable, justifie un colonialisme moral, émancipateur, «  civilisateur  ». Les exhibitions ethniques vont populariser ces deux types d'exploitation, la colonisation et toutes les aventures « exotiques ». La mise en esclavage des vaincus n'est pas un phénomène nouveau, il est ici justifié par une supériorité qui n'est pas seulement celle des armes. Qui est démocratisée par les exhibitions.

L'exposition est très riches en documents de cette époque qui a vu à la fois une professionalisation de la mise en scène de ces exhibitions, de tournées allant de ville en ville, professionnalisation même des « acteurs de la sauvagerie », exhibés, jouant un rôle, souvent rémunérés. Ils venaient de tous les continents « aborigènes, les femmes à plateaux, les amazones, les charmeuses de serpents, les funambules japonais ou les danseuses du ventre orientales, mais aussi le Clown Chocolat dessiné par Toulouse-Lautrec ou encore le personnage mythique de Buffalo Bill qui présente son show autour de l’archétype de l’Amérindien exhibé, qui marquera à jamais l’imaginaire du Far West ».

C’est un « sauvage » fabriqué, inventé, pour le spectacle que découvre, sans le savoir, le public.

Parmi les documents présentés, la « Vénus hottentote » réapparue, sur les écrans, en 2010 dans le film d'Abdellatif Kechiche, la « Vénus noire ». Venue du Cap, Saartjie Baartman a été exposée d'abord en cage, à Londres, puis est venue à Paris où elle mourra.

Après le public des foires, c'est devant les yeux de scientifiques et de peintres qu'elle est exposée nue, transformée en objet d'étude. Peu de temps plus tard, le rapport qui en résulte compare son visage à celui d'un orang outang et ses fesses à celles des femelles des singes mandrills. Devant le moulage de son corps qui est resté au musée de l'Homme jusqu'en 1974, l'anatomiste Cuvier dira « Je n'ai jamais vu de tête humaine plus semblable à celle des singes ». Mais les choses ne sont pas simples et Cuvier aurait parlé d'une dame sauvagesse de qualité, parlant trois langues et bonne musicienne.
Ce n'est qu'en 2002 que ses restes ont été remis à sa communauté d'origine, la communauté Khoikhoï (hommes des hommes).

Elle avait tout pour être l'Autre car comme le dit Abdellatif Kechiche : « Les hommes ont beaucoup opprimé les femmes dans l’Histoire. Noire et différente, Sarah synthétise en elle tous les motifs d’oppression ».

« L'invention » de l'autre ne veut pas dire qu'il n'existait pas auparavant comme l'Amérique existait avant sa « découverrte » par les Européens. Il existait mais il ne devient « autre » que par le regard des... autres. L'exposition montre bien que l'autre inventé à cette époque, et qui nous marque encore aujourd'hui, n'a pris cette forme et cette ampleur que parce qu'elle répondait aux besoins de la société à un certain moment.

Il reste à avancer vers une société qui reconnaisse et la diversité et l'égale diginité de toutes les personnes.

L'exposition se termine par une question posée au visiteur sur le regard qu'il porte sur les divers « autres » de notre société.


Exhibitions, l'invention du sauvage, musée du Quai Branly 29/11/2011 – 03/06/12. Meilleure exposition 2011 aux Globes de cristal art et culture



3 réactions


  • abdou 14 avril 2012 16:34

    ARROGANCE-HUMILITE

    je crois que tous être regarde l’autre avec mépris a commencé par son voisin pour terminer avec d’autre nationalité ou religion, mais quelqu’un qui est normalement construit ne laisse pas son égo l’emportés sur son humanité car quelque soit les différences nous avons tous la même origine ( au sens religieux ou darwinien).
    quand en regarde de prés en vois que la cause principale de cette maladie (parce que c’en est une et grave encore) est l’arrogance par excellence.je suis le plus fort ; je suis le plus riche ; je suis le plus beaux ; je suis le plus...etc, en peut continuer ainsi infiniment.celui qui pense ainsi ne peut regarder l’autre que d’en haut (COMME LE MONTRE SI BIEN LA PHOTO DE L’ARTICLE). Si j’incarne la civilisation l’autre la barbarie, simplement parce qu’il s’habille ou parle différemment  
    Ce qui est vrai pour la personne l’est pour les états à la différence que sa devient catastrophique ( Hitler et la race arienne par arrogance a décimé des millions ) .Il suffit de lire et écouté pour se rendre comte comment les super-états traite les autre.
    CONCLUSION : MESSIEURS LES PLUS...MEFIER-VOUS L’HISTOIRE ET IMPITOYABLE, après l’arrogance viens l’humiliation.Seul l’humilité gagne. 

  • Aita Pea Pea Aita Pea Pea 14 avril 2012 19:15

    Bonsoir Mr Oriol , meme l’imaginaire occidental appliqué à la Polynésie ,le paradis,les femmes......les polynésiens en ont marre et préféreraient que l’on s’intéresse à leur culture ,si riche !!!


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