mardi 7 mars 2017 - par Frédéric Degroote

Fruits mûrs et moins mûrs de Glossa

Années après années, le label espagnol Glossa continue d’ajouter à son catalogue des réalisations parmi les plus intéressantes et sur lesquelles il faut s’arrêter régulièrement. Contrairement aux disques mis en avant ici précédemment, les résultats s’avèrent radicalement différents pour chacune de ces trois nouveautés faisant la part belle au monde de l’opéra.

 

Ce n’est pas la première fois que l’opéra ballet — et non une commedia per musica comme indiquée — La liberazione di Ruggiero dall’isola di Alcina de Francesca Caccini (1587-1640) est enregistré mais rien jusqu’à présent n’avait fait chavirer les coeurs, si ce n’est ce que Gabriel Garrido en fit en concert durant l’année 2002. Sur papier, cette captation tombe donc à point nommé et ne peut que rendre justice à ce qui est avant tout le premier opéra composé par une femme, le premier opéra sur Alcina et le premier opéra italien représenté à l’étranger (Varsovie, 1628). 

Hélas, c’est avec un sentiment mitigé que l’on quitte le disque, partagé entre la conviction absolue que la musique est d’une richesse inouïe et la déception d’une direction suivie d’un casting desquels l’on pouvait légitimement s’attendre à mieux. Dès le départ, le manque de contrastes est criant et les chanteurs ne semblent dès lors pas aider à surmonter cet obstacle. L’Alcina d’Elena Biscuola et le Ruggiero de Mauro Borgioni manquent tous deux de caractère et le sort paraît s’acharner encore plus sur les petits rôles. En vérité, les idées les plus intéressantes et les personnages qui revêtent un peu de chair émanent des interventions d’Emanuela Galli et de Francesca Lombardi Mazzulli. Ensuite, on s’interrogera sur la pertinence des improvisations à la percussion et du choix de certains ballets, peu en adéquation avec l’époque de Francesca Caccini (piste n°27 notamment). Enfin, si le disque se laisse écouter et constitue tout de même une trace pérenne de meilleure qualité que les précédentes tentatives, tout ceci donne le goût d’un rendez-vous manqué.



Francesca Caccini
La liberazione di Ruggiero dall’isola di Alcina (Florence, 1625)

Albastrina — La Pifarescha
Elena Sartori, direction


2017 Glossa GCD 923902


 

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En avril 2016, le chef György Vashegyi, son Orfeo Orchestra et son Purcell Choir donnaient à entendre de grands motets de Mondonville (1711-1772) fort remarqués par la critique. Moins d’un an plus tard, les hongrois s’attaquent à l’œuvre profane du même compositeur, jetant sous les projecteurs Isbé, pastorale héroïque donnée à Paris en 1742. Compositeur essentiellement apprécié pour le répertoire sacré et la musique instrumentale, Mondonville vécut avec Isbé un succès en demi-teinte, comparé au modèle de l’époque, Issé de Destouches, et au maître qu’était Rameau malgré une volonté évidente de différer de celui-ci. Pourtant, la partition témoigne d’une écriture sans cesse raffinée, où les trouvailles se situent tant dans les textures instrumentales que dans l’inventivité des récitatifs, loin de la tradition française.

Pour cette recréation, le pari est à la hauteur de la partition et il demeure sans aucun doute une des plus belles réalisations discographiques de ce début d’année 2017. Le chef hongrois dirige cette musique avec talent et peut compter sur des solistes qui partagent de réelles affinités avec le répertoire baroque français. Outre les habituels et excellents Alain Buet et Chantal Santon-Jeffery (admirable Venez Petits Oiseaux au premier acte, succès repris maintes fois à l’époque), il faut surtout souligner l’Isbé toute tragédienne de Katherine Watson (voyez l’air Laisse-moi soupirer, importune grandeur au quatrième acte), le beau Coridon de Reinoud Van Mechelen et surtout l’Adamas du baryton Thomas Dolié qui fait montre ici de toute l’étendue de son potentiel.
L’œuvre se termine sur un duo extrêmement touchant entre Isbé et Coridon, rehaussé par le choeur, et assène le coup de grâce : cette pastorale héroïque est une véritable réussite à mettre dans toutes les oreilles !

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Jean-Joseph Cassanéa de Mondonville
Isbé
Pastorale héroïque en cinq actes (Paris, 1742)

Purcell choir
Orfeo Orchestra
György Vashegyi, direction

2017 Glossa GCD 924001 (3 CD’s)


 

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Chaque année, le label espagnol met à l’honneur la soprano italienne Roberta Invernizzi avec un récital. Non seulement cette année elle est à l’affiche de l’opéra Catone de Georg Friedrich Händel (1685-1759), enregistré avec les Auser Music de Carlo Ipata (Glossa GCD 923511), mais elle s’illustre aussi dans un disque solo consacré au même compositeur, mettant en valeur les reines et les princesses de Händel que sont Berenice, Cleopatra ou — nous y revenons — Alcina. De plus, les reines en question sont aussi ces prima donna pour lesquelles Händel a composé les airs regroupés dans le disque : Margherita Durastanti, Francesca Cuzzoni, Faustina Bordoni et Anna Maria del Pò.



Les extraits proposés sont tirés des opéras LotarioPoroBereniceGiulio Cesare, ScipioneAlcina et Giustino. Et quand bien même l’on pourrait regretter un énième récital dédié au compositeur, un énième récital quelque peu « marketing », avec une pochette somme toute racoleuse où Roberta Invernizzi n’a jamais semblé aussi bien apprêtée, le chant développé tout au long du disque opère un charme indéniable sur l’auditeur. 
Roberta Invernizzi, à 50 ans passés, possède un organe vocal de première fraîcheur, agile et expressif, et n’a plus rien à prouver dans un répertoire qu’elle maitrise à la perfection, continuant d’être l’interprète idéale pour cette musique. Elle insuffle vie à chaque mot, contrecarrant ceux qui considèrent la musique de Händel comme mécanique et sans relief. Le bémol du disque ? L’accompagnement de l’Accademia Hermans dirigée du clavecin par Fabio Ciofini, à laquelle on peut justement regretter une certaine approche scolaire et une texture orchestrale maigre, aux antipodes des passions dont est constamment imprégnée la ligne vocale de la soprano (écoutez Se pieta di me non senti tiré de Giulio Cesare, piste 9). Une leçon de chant donc, à défaut d’une leçon de musique.
 

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Queens
Handel Operas Arias

Roberta Invernizzi, soprano

Accademia Hermans
Fabio Ciofini, direction


2017 Glossa GCD 922904


Ces disques peuvent être directement achetés via Glossa



1 réactions


  • Frédéric Degroote Frédéric Degroote 9 mars 2017 12:34

    Bonjour Ridipayass,


    Vous avez raison. Mais de plus en plus de disques sont disponibles en streaming ou font l’objet chez les éditeurs comme Glossa de fiches dans lesquelles plusieurs extraits sont disponibles. Je vous avoue que j’ai préféré privilégier le texte au son par manque de temps. Mais aucun reproche ne m’a été fait, du tout.

    Merci de votre mot.

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