samedi 16 août 2008 - par Voris : compte fermé

Gueule de breton

Comme Mahmoud Darwich a incarné la Palestine, Xavier Grall a incarné la Bretagne. Comme Darwich, il a exalté sa terre jusqu’à la rendre mythique. Comme lui, il a affirmé avec force son identité minoritaire. Vivant, Xavier Grall était un génie. Mort, il est devenu une légende. Aujourd’hui, en Bretagne, il est difficile de l’évoquer sans céder à la fascination pour le barde immense qu’il fut et le souffle prodigieux qu’il a mis dans son oeuvre.

Dans le cadre du Festival interceltique de Lorient, l’Oratorio pour Xavier Grall rendait hommage pour la deuxième année consécutive à Xavier Grall, écrivain, poète et journaliste. Les textes de Grall sont d’une telle puissance qu’ils suscitent dans le public une émotion palpable qui "remue les tripes" des spectateurs. Xavier Grall, poète de grande renommée en Bretagne, fut l’homme d’une quête, le Don Quichote celte à la recherche de son inaccessible étoile, celle d’une Bretagne à la fois rénovée et mythique.

La quête de Grall commence quand il a 40 ans : il se découvre breton. Bien sûr, il est breton puisque né à Landivisiau dans le Finistère. Mais, après ses études de journalisme à Paris, il restera vivre dans la capitale loin de ses racines.

Grall journaliste :



Il devient un journaliste reconnu, secrétaire général de la "Vie Catholique" en 1961, il collabore notamment au journal "Le Monde" en 1977 et à l’hebdomadaire "La Vie". Il consacre des livres à Mauriac, Bernanos, James Dean ou Arthur Rimbaud. Il est aussi un redoutable pamphlétaire. Les colères de Grall furent aussi célèbres que furent sincères et indéfectibles ses élans fraternels envers l’humanité souffrante.

Le retour au pays :

Vers l’âge de 40 ans, il prend subitement conscience d’une identité qu’il avait enfouie. Il décide de son retour au pays natal. En 1973, il s’installe avec sa famille à Pont Aven. Il doit renoncer au confort de sa vie parisienne. C’est sa seconde naissance. "Et c’est alors que je me suis re-bretonisé, dans le plaisir et dans les larmes car, enfant j’avais reçu une éducation française".

"Tu te découvres Breton comme il n’est pas permis de l’être. (...) Et tu penses que ton pays ça existe, bon Dieu, terriblement. Tu te récupères. Tu te regardes en face. Tu te décolonises. Tu es Berbère, Kabyle, Breton." Grall se souvient qu’il a fait la Guerre d’Algérie et que cette épisode de sa vie l’a conduit peu à peu à se détacher de la belle idée qu’il avait de son pays.

On retrouve aussi dans ces mots le pourfendeur de la bête raciste et le combattant de l’anti-colonialisme qu’était Xavier Grall. Défenseur de la diversité culturelle, il fut un temps l’élève de Léopold Sedar Senghor.

Xavier Grall a coupé les ponts avec la vie parisienne et s’est amarré pour toujours à la Bretagne. Son poème "Allez dire à la ville" témoigne de cet ancrage et de ce non retour :

"Allez dire à la ville.

Terre dure de dunes et de pluies
c’est ici que je loge

cherchez, vous ne me trouverez pas

c’est ici, c’est ici que les lézards

réinventent les menhirs

c’est ici que je m’invente

j’ai l’âge des légendes

j’ai deux mille ans

... Allez dire à la ville que je ne reviendrai pas."

C’est le divorce avec la France et l’affirmation de la celtitude :

"Latins, vous m’avez crevé les yeux !
Je suis Celte. Je suis Breton.
Je suis le barde condamné.
Ma démence fait ma force.
Parfois, au fond de l’ivresse, flamboie la voyance
".

Ferveur militante :

Mais c’est aussi la déception : sa Terre promise, son Amérique, ne ressemble pas à la Bretagne qu’il avait rêvée de Paris.

"Mais enfin, ce rapatriement si ardemment désiré, voici que je le réalisais et que les pluies mortelles se jetaient à ma face, que je trouvais un peuple affaissé, sans rêve et sans projet, voici que la Bretagne se résignait à suivre ses maîtres sans trop rechigner".

Il se mettra alors en tête de rêver sa Bretagne mythique pour lui donner corps et vie dans son oeuvre poétique. Commencera aussi alors, avec le chanteur Glenmor, une vie de militant fervent pour la promotion de l’identité bretonne, la régénérescence de la nation bretonne. Il entre en guerre contre les "embaumeurs de cadavres" qui se tournent exclusivement vers les gloires du passé. Il publie "Le Cheval couché" pour dénoncer le "folklorisme fossilisant" du Cheval d’orgueil de Per Jakez Hélias.

Pour Grall, il faut rêver la Bretagne avant de la faire. L’action poétique précède l’action politique. Il faut en quelque sorte marcher devant soi : "Ici plus que partout ailleurs, le poète précède le tribun. Il n’est de libertés réelles, établies, qui n’aient d’abord été imaginées. L’esprit sur la route marche devant les peuples".

Ferveur catholique :



Au seuil de la mort, Xavier Grall compose un poème d’un lyrisme époustouflant, un appel à Dieu d’un talent prodigieux "SOLO" publié chez Calligrammes (Quimper) devenu la maison d’édition "Les vents m’ont dit" :

(extrait)

"Seigneur me voici c’est moi
je viens de petite Bretagne
mon havresac est lourd de rimes
de chagrins et de larmes
j’ai marché
Jusqu’à votre grand pays
ce fut ma foi un long voyage
trouvère
j’ai marché par les villes
et les bourgades
François Villon
dormait dans une auberge
à Montfaucon
dans les Ardennes des corbeaux
et des hêtres
Rimbaud interpellait les écluses
les canaux et les fleuves
Verlaine pleurait comme une veuve
dans un bistrot de Lorraine
Seigneur me voici c’est moi
de Bretagne suis
..."

La lecture de ce long poème déclenche immédiatement des sentiments puissants, plus encore quand elle se fait en récital, à haute voix. Des passages de ce texte résonnent pour toujours dans le coeur de ceux qui le découvrent pour la première fois.

Xavier Grall fascine encore aujourd’hui, non seulement pour ses poèmes de toute beauté, mais aussi pour avoir été le porte-drapeau d’une Bretagne renaissante, pour ses engagements politiques également, et enfin pour sa "gueule de breton", une gueule de barde décharnée à la fin de sa vie par une maladie des voies respiratoires qui lui fut fatale. Car, par une ironie du destin, c’est le souffle qui manqua à ce grand poète amoureux des vents et souffleur de tempêtes !



10 réactions


  • Jean-paul 16 août 2008 15:17

    N’oublions pas non plus que les Bretons sont un peuple de grands voyageurs .Vous trouverez des Bretons partout dans le monde et fier de l’etre .


    • La Taverne des Poètes 16 août 2008 16:19

      Un voyage à Pékin un peu décevant pour la petite bretonne Elodie Guegan (son site officiel) qui s’est blessée au talon d’Achille..

      Mais voici ce que dit un proverbe chinois à propos des voyages : "Il n’y a que les fous et les Européens qui voyagent !" J’en reparlerai...


    • La Taverne des Poètes 16 août 2008 22:28

      Lisez donc les poèmes de Xavier Grall et vous entrerez dans une dimension qui n’a rien à voir avec les chansonnettes de Carla Bruni. On ne peut que sortir enrichi de la lecture de l’oeuvre de Grall. "Enrichi" dans un sens véritable, pas "bling bling".


  • La Taverne des Poètes 16 août 2008 22:03

    Liens vers les poèmes de Xavier Grall cités dans l’article :


    - "Allez dire à la ville"

    - "Solo"




  • eric fabre-maigne 16 août 2008 22:04

    Merci beaucoup pour cet article sur Xavier GRALL, immense poète trop oublié que j’apprécie au point d’avoir créé en 1999 GENESE, un concert poétique qui lui était consacré, puis enregistré avec Jean-Pierre ALARCEN, grand musicien hélas lui aussi oublié, et que je projette de reprendre prochainement avec 3 musiciens, un pianiste Jean-Luc AMESTOY, une chanteuse, François GUERLIN, et un percussionniste, Pascal PORTEJOIE. En attendant, je lis ses œuvres à 2 voix dans les Librairies et les Bibliothèques, avec Eric FRAJ.

    Les œuvres de Xavier GRALL (Genèse, Solo, Chant de la Sone et des tombes, Le rituel breton etc.) étaient disponibles aux Editions CALLIGRAMES, 18 rue Elie Fréron 29000 QUIMPER.

    Je recommande les disques «  Allez dire à la ville  » et «  Xavier Grall chanté par DAB  » de Dan Ar BRAZ, «  L’inconnu me dévore  » par Yves le BRANNELEC, chez Keltia Musique.1 place au Beurre 29000 QUIMPER.

    «  Genèse  » que je lui ai consacré est disponible au siège des BALADINS D’ICARIE, chez Lionel BERTHON, 10 chemin des Graves 31780 CASTELGINEST.

     Cordialement.
    E.FABRE-MAIGNÉ
    Chevalier des Arts et Lettres
    Directeur artistique des Baladins d’Icarie 

     

     


    • La Taverne des Poètes 16 août 2008 22:18

      Merci pour ces références utiles. "Calligrammes" est devenu la librairie "Les vents m’ont dit", même adresse.
      "L’inconnu me dévore " est aussi le spectacle qui était donné à l’Oratorio Festival interceltique de Lorient.


  • Gül 16 août 2008 22:10

    Bonjour cousin breton !!

    Tout ce qui met la Bretagne en valeur me plaît...tu as donc une fan potentielle en ma personne (pas forcément objective, mais, je lutte ! smiley )

    Merci pour l’article.


    • La Taverne des Poètes 16 août 2008 22:23

      Merci. J’ai beaucoup hésité avant de rédiger cet article. Je m’attaquais à un gros morceau...Je pense à ceux qui découvrent pour la première fois les poèmes de Xavier Grall. Pour eux, ce sera le choc. Peut-être même le coup de foudre.





  • Pourquoi ??? 17 août 2008 09:17

    Merci, Taverne,

    Excellent article. J’ai lu Grall il y a plus de 30 ans. Il fait partie de ces découvertes qui marquent à jamais votre subconscient. Comme Glenmor.

    A ma connaissance jamais enseignés, sans doute trop marqués "Têtes de cons" ?

    Petit message perso : Quand reverrons-nous l’Hirondelle ? ( @ hihihi, cherche pas, c’est codé, mais tu peux toujours passer un bon dimanche à chercher la clef. Le temps que tu trouves, c’est à nous que ça fera des vacances : Amzer zo !)


  • eric fabre-maigne 17 août 2008 17:18

    Nouveau venu, je m’étonne des interventions de hihihihi (?) sur un article dont le sujet semble à des années lumières de ses centres d’intérêt.
    Il faut donner à entendre Xavier Grall, cet insurgé de la beauté qui voulait plus d’espace pour le rêve, plus de liberté pour l’Homme, qui désirait re-enchanter le monde pour mieux l’habiter, qui exaltait cette part de grandeur et de noblesse dans l’homme, ce par quoi l’être humain ne peut être réduit à son utilité ou à son inutilité dans une société de consommation et de gaspillage, célébrant un autre monde de plein vent et de lumière que côtoyaient ses ailes de géant, ce monde ignoré par nos gouvernants mais qui tisse jour après jour la trame d’une vie, le murmure d’une éternité oubliée.
    A des années lumières, comme je le disais en commençant, de nos dirigeants actuels.
    Merci encore à La Taverne des Poètes.
    Cordialement.
    Elrik Fabre-Maigné
    Chevalier des Arts et Lettres

     


Réagir