Gueule de breton
Comme Mahmoud Darwich a incarné la Palestine, Xavier Grall a incarné la Bretagne. Comme Darwich, il a exalté sa terre jusqu’à la rendre mythique. Comme lui, il a affirmé avec force son identité minoritaire. Vivant, Xavier Grall était un génie. Mort, il est devenu une légende. Aujourd’hui, en Bretagne, il est difficile de l’évoquer sans céder à la fascination pour le barde immense qu’il fut et le souffle prodigieux qu’il a mis dans son oeuvre.
Dans le cadre du Festival interceltique de Lorient, l’Oratorio pour Xavier Grall rendait hommage pour la deuxième année consécutive à Xavier Grall, écrivain, poète et journaliste. Les textes de Grall sont d’une telle puissance qu’ils suscitent dans le public une émotion palpable qui "remue les tripes" des spectateurs. Xavier Grall, poète de grande renommée en Bretagne, fut l’homme d’une quête, le Don Quichote celte à la recherche de son inaccessible étoile, celle d’une Bretagne à la fois rénovée et mythique.
La quête de Grall commence quand il a 40 ans : il se découvre breton. Bien sûr, il est breton puisque né à Landivisiau dans le Finistère. Mais, après ses études de journalisme à Paris, il restera vivre dans la capitale loin de ses racines.
Grall journaliste :
Il devient un journaliste reconnu, secrétaire général de la "Vie Catholique" en 1961, il collabore notamment au journal "Le Monde" en 1977 et à l’hebdomadaire "La Vie". Il consacre des livres à Mauriac, Bernanos, James Dean ou Arthur Rimbaud. Il est aussi un redoutable pamphlétaire. Les colères de Grall furent aussi célèbres que furent sincères et indéfectibles ses élans fraternels envers l’humanité souffrante.
Le retour au pays :
Vers l’âge de 40 ans, il prend subitement conscience d’une identité qu’il avait enfouie. Il décide de son retour au pays natal. En 1973, il s’installe avec sa famille à Pont Aven. Il doit renoncer au confort de sa vie parisienne. C’est sa seconde naissance. "Et c’est alors que je me suis re-bretonisé, dans le plaisir et dans les larmes car, enfant j’avais reçu une éducation française".
"Tu te découvres Breton comme il n’est pas permis de l’être. (...) Et tu penses que ton pays ça existe, bon Dieu, terriblement. Tu te récupères. Tu te regardes en face. Tu te décolonises. Tu es Berbère, Kabyle, Breton." Grall se souvient qu’il a fait la Guerre d’Algérie et que cette épisode de sa vie l’a conduit peu à peu à se détacher de la belle idée qu’il avait de son pays.
On retrouve aussi dans ces mots le pourfendeur de la bête raciste et le combattant de l’anti-colonialisme qu’était Xavier Grall. Défenseur de la diversité culturelle, il fut un temps l’élève de Léopold Sedar Senghor.
Xavier Grall a coupé les ponts avec la vie parisienne et s’est amarré pour toujours à la Bretagne. Son poème "Allez dire à la ville" témoigne de cet ancrage et de ce non retour :
"Allez dire à la ville.
c’est ici que je loge
cherchez, vous ne me trouverez pas
c’est ici, c’est ici que les lézards
réinventent les menhirs
c’est ici que je m’invente
j’ai l’âge des légendes
j’ai deux mille ans
... Allez dire à la ville
C’est le divorce avec la France et l’affirmation de la celtitude :
"Latins, vous m’avez crevé les yeux !
Je suis Celte. Je suis Breton.
Je suis le barde condamné.
Ma démence fait ma force.
Parfois, au fond de l’ivresse, flamboie la voyance".
Ferveur militante :
Mais c’est aussi la déception : sa Terre promise, son Amérique, ne ressemble pas à la Bretagne qu’il avait rêvée de Paris.
"Mais enfin, ce rapatriement si ardemment désiré, voici que je le réalisais et que les pluies mortelles se jetaient à ma face, que je trouvais un peuple affaissé, sans rêve et sans projet, voici que la Bretagne se résignait à suivre ses maîtres sans trop rechigner".
Il se mettra alors en tête de rêver sa Bretagne mythique pour lui donner corps et vie dans son oeuvre poétique. Commencera aussi alors, avec le chanteur Glenmor, une vie de militant fervent pour la promotion de l’identité bretonne, la régénérescence de la nation bretonne. Il entre en guerre contre les "embaumeurs de cadavres" qui se tournent exclusivement vers les gloires du passé. Il publie "Le Cheval couché" pour dénoncer le "folklorisme fossilisant" du Cheval d’orgueil de Per Jakez Hélias.
Pour Grall, il faut rêver la Bretagne avant de la faire. L’action poétique précède l’action politique. Il faut en quelque sorte marcher devant soi : "Ici plus que partout ailleurs, le poète précède le tribun. Il n’est de libertés réelles, établies, qui n’aient d’abord été imaginées. L’esprit sur la route marche devant les peuples".
Ferveur catholique :
Au seuil de la mort, Xavier Grall compose un poème d’un lyrisme époustouflant, un appel à Dieu d’un talent prodigieux "SOLO" publié chez Calligrammes (Quimper) devenu la maison d’édition "Les vents m’ont dit" :
(extrait)
"Seigneur me voici c’est moi
je viens de petite Bretagne
mon havresac est lourd de rimes
de chagrins et de larmes
j’ai marché
Jusqu’à votre grand pays
ce fut ma foi un long voyage
trouvère
j’ai marché par les villes
et les bourgades
François Villon
dormait dans une auberge
à Montfaucon
dans les Ardennes des corbeaux
et des hêtres
Rimbaud interpellait les écluses
les canaux et les fleuves
Verlaine pleurait comme une veuve
dans un bistrot de Lorraine
Seigneur me voici c’est moi
de Bretagne suis..."
La lecture de ce long poème déclenche immédiatement des sentiments puissants, plus encore quand elle se fait en récital, à haute voix. Des passages de ce texte résonnent pour toujours dans le coeur de ceux qui le découvrent pour la première fois.
Xavier Grall fascine encore aujourd’hui, non seulement pour ses poèmes de toute beauté, mais aussi pour avoir été le porte-drapeau d’une Bretagne renaissante, pour ses engagements politiques également, et enfin pour sa "gueule de breton", une gueule de barde décharnée à la fin de sa vie par une maladie des voies respiratoires qui lui fut fatale. Car, par une ironie du destin, c’est le souffle qui manqua à ce grand poète amoureux des vents et souffleur de tempêtes !