lundi 2 octobre 2006 - par Theothea.com

« Il Campiello » de Carlo Goldoni, à la Comédie-Française

 

"Je ne sais pas dire si tu es beau ou si tu es laid... mais beau ou laid, le beau, c’est ce qui plaît " : ainsi Gasparina fait-elle ses adieux au Campiello, avant de quitter définitivement cette placette de Venise pour convoler avec son chevalier à la figure aimante.

"Si la vie est cruelle, souvent incompréhensible et injuste, elle ne cesse pas d’être belle. Le théâtre goldonien est une double et continue déclaration d’amour au monde et au théâtre..." : ainsi Jacques Lassalle, en renouant ses liens avec la Comédie-Française, qu’il administra de 1990 à 1993, évalue-t-il, dans son entretien avec Isabelle Baragan en charge de la communication, la mission de la prestigieuse Maison :

"Après avoir été le contre-modèle, la Comédie-Française est devenue notre nouveau théâtre national populaire."

Que Goldoni puisse ainsi servir de passage de témoin à Muriel Mayette, désormais en responsabilité du destin de la troupe de Molière "où chacun sait, tout à la fois, être choriste et soliste", et voilà toutes les pendules qui se remettent à l’heure d’une vocation artistique fédératrice.

Et pourtant, derrière la pudeur d’une ambition optimiste, Jacques Lassalle évoque présentement "l’ambivalence, ce que Duras appelait l’ombre intérieure". C’est aussi ce Goldoni-là qu’il veut fouiller, "l’homme des humeurs noires, des graves périodes dépressives, habité par l’intuition d’un arrière-pays soumis à l’inconscient et aux pulsions incontrôlées".

Ainsi, en deux ou trois brèves répliques, apparemment anodines, à propos d’une fleur offerte d’une fenêtre à l’autre, l’auteur est en mesure de dépeindre le sentiment d’enfermement, où des jeunes femmes recluses derrière leurs volets s’apprêtent à braver l’interdit, quand l’instinct d’insoumission pourrait en un défi radical se transmuer de la provocation jusqu’à la violence : "Si je ne vois personne, je viens moi-même."

Comment ne pas discerner alors, derrière les transes de la comédie, la métaphore d’un monde contemporain où le rapport de forces entre dominants et révoltés ne cesse de s’attiser, à l’instar d’une tour de Babel édifiant la confusion relationnelle en langage universel ?

Cependant, Goldoni vu par Lassalle, c’est aussi la perspective d’une immense nostalgie, celle qui embrase les sens derrière le masque du courroux, celle qui feint la fureur pour mieux cacher l’amour, celle qui anime le jeu de société pour en ressentir son besoin de chaleur.

Il campiello de Goldoni, ce pourrait être Jour de fête de Jacques Tati ou même Le fabuleux voyage d’Amélie Poulain, l’ouverture d’un microcosme vers un imaginaire où les vertus de l’âme humaine entreraient en résonance avec l’aspiration d’un monde autre, tout en éprouvant avec délectation "le mal du pays".

Palabres, conciliabules et fêtes vont se dérouler en frasques du carnaval de Venise, c’est donc bien l’esprit de troupe qui fera la ronde à ce temps joyeux, livrant, sous une musique originale de Jean-Charles Capon, tous les comédiens à leur vivacité primesautière :

Alain Pralon, Christine Fersen, Catherine Hiegel, Claude Mathieu, Anne Kessler, Denis Podalydès, Jérôme Pouly, Julie Sicard, Loïc Corbery, Léonie Simaga, Grégory Gadebois, Marion Picard, Louis Salkind, Dominique Compagnon et Philippe Gouinguenet.

Photo DR. Cosimo Mirco Magliocca

- IL CAMPIELLO - *** Theothea.com - de Carlo Goldoni - avec Anne kessler & Denis Podalydés - mise en scène : Jacques Lassalle - Comédie-Française -



5 réactions


  • Anaxagore (---.---.207.82) 2 octobre 2006 11:19

    Et voilà, quelqu’un a écrit à ma place ce que je pensais de la pièce. J’ai vu la première : extraordinaire. Juste un bémol : la pièce est extraordinaire parce qu’elle est servie par une troupe non moins extraordinaire. Chaque fois que je me rends à la Comédie Française, je ne puis m’empêcher de penser que je comprends pourquoi c’est LA référence en matière de théâtre.

    Au fur et à mesure que je regardais et écoutais la pièce, je me suis dit : finalement le monde ne change pas. Tout cette scène pourrait se déouler dans un village populaire de banlieue (parisienne ou non) et finalement, tous ces « jons » comme dirait Gasparina, je les ai croisés à de multiples reprises dans mon existence.

    Je trouve que Zorzetto et Lucietta sont criants de vérité. Un vrai petit couple de cité d’aujoud’hui, avec toute sa violence et ses contradictions. Combien de jeunes femmes n’a-t-on pas vu ainsi amoureuses de leur fiancé jaloux. Loïc Corbery et Léonie Simaga, c’est un couple magique, sur scène. J’ai adoré Anne Kessler : incroyable sa polyvalence. En bacchante, en décembre dernier, elle m’avait déjà impressionné, mais en Gasparina, elle touche un sommet, avec ses « geons »... Mon fiston aîné qui a 6 ans a beaucoup aimé, lui aussi la pièce, et en particulier cette tradition vénitienne évoquée par Donna Pasqua : le proutprouton... smiley

    Non vraiment, tout y est. Juste une déception : ile st vrai que le rôle du gamin est mineur, mais malgré tout, j’ai trouvé que Marion Picard faisait tâche sur tout le reste de la troupe. Ce n’est sans doute pas le rôle qui lui convenait, et on l’a sentie très empruntée, presque débutante dans son rôle, comme si elle passait un oral.


  • ohlala (---.---.124.230) 2 octobre 2006 21:36

    Je ne sais pas qui est l’auteur de cet article, Theothea.com, mais je trouve qu’il fait tache sur AgoraVox. Ce Goldoni (de loin pas la meilleure pièce de Goldoni) a été descendu partout, Le Monde, Masque et la plume, etc...

    La chronique precédente (L’albatros, idem) + cet article donnent une idée du théâtre que fréquente(nt) le(s) signataire(s)) .Aucune crédibilité. Et Jelinek, non ? ça ne vous dit rien ? Ou c’est trop moderne ? plutôt que ces spectacles faciles dans le sens du poil.


  • L'Hérétique Anaxagore 7 octobre 2006 02:27

    Oui, il est vrai que « la critique » a assassiné la pièce : on se demande bien pourquoi. Peut-être n’y ont-ils rien compris, ou bien pire encore, comme cela arrive souvent chez certains de ces critiques, ne sont-ils pas allés voir la pièce...

    Le critique de Libération reproche à Lassale et Fiorentino d’avoir fermé le décor, et juge les personnages étriqués : mais justement, je trouve que c’est ce qui fait la force de la pièce. Ces critiques ne peuvent pas comprendre cela parce qu’ils ne savent pas ce qu’est un quartier populaire, puisqu’ils ne vivent la plupart du temps que parmi les bobos du 5ème, 6ème et 7ème arrondissements de Paris.

    Les personnage ssont étriqués parce qu’ils sont simples, et l’espace semble rétréci comme nos quartiers sont souvent rétrécis : on constate souvent, par exemple, que les jeunes des diverses banlieues sortent rarement de leurs quartiers, et, s’ils se rendent à Paris vont toujorus au même endroit. Il me semble que les gens du peuple que l’on retrouve dans cette pièce agissent de même, tout simplement, parce que la plupart du temps, la vie de tous les jours s’organise à huit-clos ou presque.

    Je trouve au contraire que cette mise en scène renvoie une image des rapports humains ordinaires dans un lieu ordinaire criante de vérité.

    C’est une pièce sur la vie de quartier, finalement, avec des sortes de Groseille (voir la vie est un long fleuve tranquille) ordinaires qui se querellent, mais se retrouvent dès qu’il y a un pigeon pour festoyer.


    • Theothea.com Theothea.com 7 octobre 2006 05:00

      Bien Vu Anaxagore !... Je souscris volontiers à votre perception représentative d’une réalité contemporaine... Le véritable écueil de la critique institutionnelle est de se lire et de se recopier mutuellement !... Ce qui par contre est très amusant et instructif pour l’observateur est de chercher les leaders !...


  • anonyme (---.---.210.185) 29 octobre 2006 12:40

    merci à tous ceux ...de ce siècle ou d’un autre siècle, ...merci à Goldoni de nous rappeller ...que ce qui est beau est ce qui plait ... ...liberté trop longtemps oubliée en cette période de dictature de la pensée unique, de la pensée conforme... ...merci à ceux qui osent une programmation et une mise en scène qui sait plaire aux petits comme aux grands...aux pauvres comme aux riches, aux bacs + 10 comme aux bacs - 10 ... ...


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