« Il Campiello » de Carlo Goldoni, à la Comédie-Française

"Je ne sais pas dire si tu es beau ou si tu es laid... mais beau ou laid, le beau, c’est ce qui plaît " : ainsi Gasparina fait-elle ses adieux au Campiello, avant de quitter définitivement cette placette de Venise pour convoler avec son chevalier à la figure aimante.
"Si la vie est cruelle, souvent incompréhensible et injuste, elle ne cesse pas d’être belle. Le théâtre goldonien est une double et continue déclaration d’amour au monde et au théâtre..." : ainsi Jacques Lassalle, en renouant ses liens avec la Comédie-Française, qu’il administra de 1990 à 1993, évalue-t-il, dans son entretien avec Isabelle Baragan en charge de la communication, la mission de la prestigieuse Maison :
"Après avoir été le contre-modèle, la Comédie-Française est devenue notre nouveau théâtre national populaire."
Que Goldoni puisse ainsi servir de passage de témoin à Muriel Mayette, désormais en responsabilité du destin de la troupe de Molière "où chacun sait, tout à la fois, être choriste et soliste", et voilà toutes les pendules qui se remettent à l’heure d’une vocation artistique fédératrice.
Et pourtant, derrière la pudeur d’une ambition optimiste, Jacques Lassalle évoque présentement "l’ambivalence, ce que Duras appelait l’ombre intérieure". C’est aussi ce Goldoni-là qu’il veut fouiller, "l’homme des humeurs noires, des graves périodes dépressives, habité par l’intuition d’un arrière-pays soumis à l’inconscient et aux pulsions incontrôlées".
Ainsi, en deux ou trois brèves répliques, apparemment anodines, à propos d’une fleur offerte d’une fenêtre à l’autre, l’auteur est en mesure de dépeindre le sentiment d’enfermement, où des jeunes femmes recluses derrière leurs volets s’apprêtent à braver l’interdit, quand l’instinct d’insoumission pourrait en un défi radical se transmuer de la provocation jusqu’à la violence : "Si je ne vois personne, je viens moi-même."
Comment ne pas discerner alors, derrière les transes de la comédie, la métaphore d’un monde contemporain où le rapport de forces entre dominants et révoltés ne cesse de s’attiser, à l’instar d’une tour de Babel édifiant la confusion relationnelle en langage universel ?
Cependant, Goldoni vu par Lassalle, c’est aussi la perspective d’une immense nostalgie, celle qui embrase les sens derrière le masque du courroux, celle qui feint la fureur pour mieux cacher l’amour, celle qui anime le jeu de société pour en ressentir son besoin de chaleur.
Il campiello de Goldoni, ce pourrait être Jour de fête de Jacques Tati ou même Le fabuleux voyage d’Amélie Poulain, l’ouverture d’un microcosme vers un imaginaire où les vertus de l’âme humaine entreraient en résonance avec l’aspiration d’un monde autre, tout en éprouvant avec délectation "le mal du pays".
Palabres, conciliabules et fêtes vont se dérouler en frasques du carnaval de Venise, c’est donc bien l’esprit de troupe qui fera la ronde à ce temps joyeux, livrant, sous une musique originale de Jean-Charles Capon, tous les comédiens à leur vivacité primesautière :
Alain Pralon, Christine Fersen, Catherine Hiegel, Claude Mathieu, Anne Kessler, Denis Podalydès, Jérôme Pouly, Julie Sicard, Loïc Corbery, Léonie Simaga, Grégory Gadebois, Marion Picard, Louis Salkind, Dominique Compagnon et Philippe Gouinguenet.
Photo DR. Cosimo Mirco Magliocca
- IL CAMPIELLO - *** Theothea.com - de Carlo Goldoni - avec Anne kessler & Denis Podalydés - mise en scène : Jacques Lassalle - Comédie-Française -