mardi 12 décembre 2006 - par Azür

Il Consigliere

Petite conversation téléphonique avec la maison « Maya Selva Cigares » (1) remontant à l’hiver 2004/2005 :

Le Requérant : Bonjour, j’aimerais présenter le Robusto de Flor de Selva à une soirée club ce printemps. Pouvez-vous m’envoyer un peu de doc sur la marque ?

La Secrétaire : Ne quittez pas, je vais vous passer quelqu’un.

La Voix : Oui ?

Le Requérant : Bonjour, j’aimerais présenter le robusto de Flor de Selva à une soirée club ce printemps. Pouvez-vous m’envoyer un peu de doc sur la marque ?

La Voix : C’est une bonne idée, mais vous ne préfèreriez pas qu’on vous donne un coup de main pour votre soirée ?

Le Requérant : C’est-à-dire ?

La Voix : Eh bien... je pourrais venir si on tombait d’accord sur une date.

Le Requérant : Eh, mais on est un tout petit club, tout récent et qui n’a même pas d’existence légale !

La Voix : Et alors ? Vous organisez une soirée cigare. Vous présentez un Flor de Selva. C’est suffisant.

Le Requérant : Eh bien si vous voyez les choses sous cet angle, est-ce que le 27 avril vous irait ?

La Voix : Ca tombe très bien, j’ai juste un creux à ce moment-là !

Le Requérant : Formidable ! Je vais prendre votre nom.

La Voix : Aldo Pajarin.

Le Requérant : ...................

La Voix : Allo ?

Le Requérant : Vous êtes... l’Aldo Pajarin qu’on voit en photo dans les magazines lors des remises de trophées ?

La Voix : Eh bien maintenant en plus de l’image, vous avez le son !

Le Requérant : Mais nous sommes un tout petit cercle qui réunit en moyenne une demi-douzaine de personnes, et vous ferez le voyage de Paris pour nous rencontrer ?

La Voix : Ce n’est pas nous qui allons négliger les petits débuts !

La soirée du 27 avril 2005 remporta un franc succès, et d’autres s’ensuivirent... Mais au fait, qui est Aldo Pajarin ? Celui que dans les milieux autorisés on appelle Il Consigliere de Maya Selva (2)...

La rencontre des deux personnages fut du reste des plus inattendues. Aldo Pajarin, grand fumeur de havanes devant l’Eternel, reçut un jour un appel d’un ami qui avait postulé pour un emploi auprès d’une société inconnue, en vue de créer un réseau de distribution pour un nouveau cigare. Ce dernier, le sachant amateur de cigares, lui demanda de lui obtenir des rendez-vous avec les propriétaires des grandes civettes parisiennes. Ce qui fut fait. Mais entre-temps, le jeune homme, démarché par un chasseur de têtes, se vit proposer un poste qu’on ne refuse pas. Ne voulant pas laisser son presque employeur en carafe, il se tourna à nouveau vers Aldo Pajarin. C’est ainsi que ce dernier fit en 1995 la connaissance d’une jeune femme de caractère, créatrice d’une ligne de cigares ne demandant qu’à se développer. Elle l’invita à déjeuner à Asnières. Ils passèrent un après-midi ensemble et après avoir dégusté quelques barreaux de chaises, il fut convaincu que ce nouveau label avait un avenir. Initialement amateur de habanos, son éclectisme naturel lui permettait d’avoir ouverture d’esprit nécessaire pour apprécier aussi un cigare hondurien, à la seule condition que ce dernier soit bon. A l’issue de cet entretien Maya lui tendit les clefs de son cabriolet Rower rouge et lui dit : « Vous commencez tout de suite. » C’est ainsi qu’Aldo Pajarin devint l’avocat commis d’office au barreau de chaise Flor de Selva et qu’il parcourut l’hexagone en tous sens avec pour chauffeur Marie-France, son épouse.

Car il ne faudrait pas oublier que le cher homme a eu et continue d’avoir une vie avant et à côté de la société Maya Selva Cigare ! Initialement éditeur, puis galeriste, il s’associa et se maria avec Marie-France, également galeriste de son état. A l’époque, après avoir édité malheureusement sans grand succès plusieurs recueils de poèmes contemporains, il les fit illustrer par des artistes, ce qui le conduisit à ouvrir une galerie pour y présenter des ouvrages devenus œuvres d’art. Entre autres coups d’éclat, il monta en 1978 avec Raymond Pagès (3) et le concours des hôtels Méridien, une exposition itinérante qui démarra à Montréal. A travers « Des livres comme vous n’en lirez jamais », le visiteur pouvait rencontrer Le Livre bâillonné enfermé dans un cachot, le Livre ppolicier ouvert sur le bitume parisien, Le Traité d’architecture penché comme la Tour de Pise, Le Livre mer sous la forme d’une vague en pâte à papier couverte de vagues caractères d’imprimerie. Cette exposition devant se terminer à Paris, il partit à la recherche d’une galerie plus grande que la sienne. Et c’est à cette occasion qu’il rencontra Marie-France Cornette Lelièvre et ils fondèrent la Galerie Cornette-Pajarin (4) rue Lamartine à l’Espace Lamartine dans le 9e arrondissement. Les temps devenant plus durs, ils se rabattirent sur le Marais, rue du roi de Sicile, où ils reçurent des artistes comme Paul Lemercier, Oreste Zevola Martin Mc Nulty, Alexandra Roussopoulos, Jean-Baptiste Bernardet, Monique Tello, Mirna Krezic, Jacqueline Jouanneau.

Le livre a, dans l’existence d’Aldo Pajarin, une importance capitale. Ses souvenirs d’enfance le renvoient au grenier de son grand-père paternel à Gouesnac’h (Finistère) (5) où il se réfugiait les jours de crachin. Il y avait une bibliothèque composée en grande partie d’ouvrages gagnés par ses ancêtres lors des remises de prix. Il passa de nombreuses heures en compagnie des héros d’Erckmann-Chatrian, visita la France dans un fauteuil en voyageant avec André et Julien à travers Le tour de la France par deux enfants de G. Bruno et toujours dans cette ambiance si particulière où les odeurs de cuir, de papier et... de tabac s’entremêlaient. Comme la plupart de ses voisins, son grand-père cultivait son tabac, qu’il séchait dans le grenier et consommait toute l’année. C’est ainsi qu’Aldo Pajarin en vint à aimer passionnément la littérature et le tabac !

« C’est l’enfance qui, sans le vouloir, forge la vie d’adulte. Toutes les impressions fortes ressenties pendant notre enfance ont des conséquences sur nos choix d’adultes », dit-il. Mais en plus de le dire, il l’incarne. Sa passion l’entraîna bien au-delà de ses songes, puisqu’après le monde du livre et des arts, il eut une nouvelle vie dans l’univers du tabac et de l’artisanat, ce qu’il n’aurait jamais imaginé dans ses rêves d’enfants. L’échographie n’existant pas encore dans les temps précédant sa naissance, il n’est ainsi pas possible de remonter au-delà de sa petite enfance. Mais il y a déjà beaucoup à dire sur l’homme d’aujourd’hui, notamment sur l’amateur de cigares.

Aldo Pajarin a le souci du travail bien fait et un immense respect pour les artisans du tabac. Oui, les artisans du tabac, car pour lui le tabac c’est le cigare roulé main. Donc, exit l’industrie et les trusts cigarettiers ! Quand il parle de tabac, il est à des années-lumière de la cigarette aromatisée à la vanille ou au clou de girofle ! Laissons-le s’exprimer :

- Avant de rencontrer Maya, et donc de connaître les cigares honduriens, je fumais beaucoup cubain. Partagas était ma manufacture préférée et j’aimais aussi beaucoup le Lonsdale de chez H. Upmann, qui ne se fabrique plus aujourd’hui. Je fumais souvent les Davidoff cubains à l’époque où ils étaient vendus en duty free dans les avions, notamment le Château Margaux (corona). Le cigare n’avait pas la vogue qu’il a actuellement. Il y avait moins de références et moins de fioritures autour. Mais dans ce petit choix, il y avait vraiment de quoi satisfaire tous les goûts. Il y avait plus d’universalité. Maintenant, je pense qu’il y a trop. Les buralistes ne peuvent de toute façon pas avoir tout.

- C’est très bien de lire les revues. Ca donne des pistes, mais c’est l’amateur qui doit se faire sa propre idée en ne tenant compte que de sa sensibilité et de ses attirances. Deux individus apprécieront forcément différemment le même cigare, même s’ils s’accordent pour dire qu’il est bon ou mauvais. Et c’est normal car nous sommes uniques. De plus, même si la liga définit une recette pour chaque vitole, par son processus de fabrication, chaque cigare est forcément unique.

- Le cigare, ce n’est pas un produit. C’est un univers qui reste le refuge d’un savoir-faire, d’une culture, d’une intelligence. Quelque chose d’aussi éphémère, qui demande deux ans à deux ans et demi de travail pour aboutir, ne peut être n’importe quoi. Mais je ne fais pas de prosélytisme. Je ne tiens pas à ce que les non-fumeurs commencent à fumer. J’aimerais juste que les fumeurs qui veulent continuer à fumer, fument ce qu’il y a de meilleur.

- Je n’ai pour ma part, jamais fumé de cigarette. C’est trop éloigné de ma conception du tabac et c’est aux antipodes du tabac des origines, ainsi que de la philosophie et des croyances qui en sont issues. Et les origines du tabac, consommé sous forme de cigare, sont en Amérique centrale, comme l’ont démontré les travaux de l’archéologue René Vial. Mais quand j’ai commencé à présenter les cigares de Maya Selva aux civettes, personne ne connaissait le Honduras. En dehors de Cuba et de la République dominicaine, les civettes n’avaient rien en rayons. Alors il a fallu expliquer et faire découvrir, comme moi-même j’avais découvert peu de temps auparavant ce terroir se trouvant dans un petit triangle appelé El Paraiso, Le Paradis ! Et comme ces cigares m’ont interpellé par leur typicité, ils ont pareillement plu aux buralistes car à mi-chemin entre les terroirs dominicains et cubains.

- D’une manière générale les cigares honduriens sont moins linéaires que les dominicains mais pas aussi évolutifs que les cubains. Ils sont moins puissants que les cubains mais plus que les dominicains. Ils ont une palette aromatique plus riche que les dominicains mais moins que les cubains. Et c’est pour cela qu’ils peuvent rassembler et permettre les échanges entre débutants et aficionados expérimentés.

- Quand nous avons commencé à commercialiser Flor de Selva, il y a plusieurs choses qui ont concouru à notre réussite. A l’époque, les cubains étaient moins nombreux. Certains avaient d’énormes problèmes de tirage. Depuis, ça s’est heureusement considérablement amélioré. En fait Maya et moi étions particulièrement atypiques : une femme créatrice de cigares et un VRP sans cravate ni attaché-case, ça suscite la curiosité. Et puis, plus important que tout le reste, les premiers cigares de Maya étaient déjà bons et bien roulés. Nous avons donc profité, bien malgré nous, du passage à vide des havanes et de notre originalité pour amener sur le marché une réalisation artisanale que nous refuserons toujours d’appeler un produit.

Est-il vraiment nécessaire de poursuivre ? Si ce n’est juste pour dire qu’Aldo Pajarin refuse également d’associer les mots livre et produit...

Azür

1. cf : http://www.mayaselva-cigares.com/

2. cf : http://www.agoravox.fr/article.php3?id_article=6439

3. cf : http://www.s140507331.onlinehome.fr/html/artistesediteurs/cv_pages.htm

4. cf http://perso.orange.fr/montimage/alex/textes.htm

5. cf : http://mairie.orange.fr/mairie-de-gouesnach/



5 réactions


  • Formol (---.---.206.13) 12 décembre 2006 15:00

    Euh c’est censé etre un site d’information pas de pub smiley


  • Azür 12 décembre 2006 23:23

    La pub, c’est comme le diable... ...elle est là où l’on souhaite la voir !

    Par ailleurs, s’il n’est plus possible de communiquer sur ce qui, pour ceux dont je fais partie, relève d’un certain un art de vivre et repose sur des fondements culturels ancestraux, nous allons à très court terme sombrer rapidement corps et âmes dans le politiquement correct typiquement étasunien...

    Humainement parlant, les parcours de Maya Selva et d’Aldo Pajarin sont intéressants à plus d’un titre, or ce n’est pas la grande presse qui va en faire écho. Mais heureusement il y a Internet et Agoravox.

    Les amateurs de cigares hecho a mano, c.a.d haut de gamme car roulés main, entretiennent avec le tabac le même rapport que les œnologues ont aux boissons alcoolisées. Et ils aimeraient bien que le dit grand public se laisse un peu éclairer à ce propos afin que les procès d’intention qui leur sont faits cessent une fois pour toutes.

    Sachant qu’un cigare de qualité coûte entre 6 et 15€, je regarde à deux fois avant de l’acheter et j’attend le moment propice pour l’allumer quitte à rester plusieurs jours sans fumer. Par ailleurs les multiples mains qui ont concouru à sa fabrication au cours des 292 étapes nécessaires à son élaboration méritent un minimum de respect.

    Viendrait-il à l’idée de quelqu’un de blâmer les producteurs virtuoses et les consommateurs avertis de grands crus du Médoc ?


  • louis mandrin (---.---.36.85) 13 décembre 2006 00:01

    revigorant comme une bouffée de « Romeo y Julietta »


  • Azür 13 décembre 2006 00:17

    Merci Louis Mandrin, le précurseur des dutty free !


Réagir