jeudi 18 mai 2006 - par Serge Weidmann

Internet honore Tocqueville

le_web_honore_tocquevilleHier, j’ai failli tomber à la renverse en lisant Valeurs mutualistes de mai-juin 2006, la revue de la MGEN (Mutuelle générale de l’Education nationale), dont le vieux briscard libéral que je suis est resté adhérent, bien qu’elle défende, contre vents et marées, une Sécurité sociale à bout de souffle. Elle offre quelques avantages, pas autant que d’autres mutuelles professionnelles qui font beaucoup mieux qu’elle et évitent de sombrer dans la moralité socialo-laïcarde qui reste, hélas ! l’apanage militant des fonctionnaires de notre Education nationale.

 

 

Pourquoi cette chute, évitée de justesse, me direz-vous ? Parce que, vous répondrai-je, à la page « Culture », je remarquai un article très élogieux sur Alexis de Tocqueville. Et je lus, ravi :

« Si son oeuvre est toujours restée très populaire aux Etats-Unis, elle a longtemps été occultée en France jusqu’à ce que Raymond Aron participe à sa redécouverte dans les années 1950. L’an passé en était une nouvelle occasion avec la commémoration du bicentenaire de sa naissance. Dans la foulée de cet évènement, le Haut comité des célébrations nationales a choisi de dédier le parcours multimédia 2005 de la collection de documents électroniques « Célébrations nationales » à celui qui demeure l’un des penseurs les plus éminents de la démocratie : Alexis de Tocqueville. »

 

 

On dira ce qu’on voudra, mais ça fait du bien de voir le vice rendre hommage à la vertu. Et de lire, sous une plume apparemment libérée, que la France boude ses grands penseurs libéraux. La suite de l’article nous informe qu’un site internet officiel lui est dédié : www.tocqueville.culture.fr

 

 

 

 

Je visitai aussitôt ce site. Il est très riche, bien documenté et offre toute une palette d’informations sur l’homme, son oeuvre littéraire et son action politique. Celle-ci est, malheureusement, un peu occultée par celle-là. A tort, car Alexis de Tocqueville, élu député en 1839, se bat, dès le début de son mandat, pour l’abolition de l’esclavage. Face aux débats sans fin -une spécialité française- sur le sujet, au Parlement, contre ceux qui veulent légiférer, temporiser avec des arguments comme : « Eduquons les esclaves avant de les libérer », il oppose une seule attitude : la liberté tout de suite : « L’esclavage est une de ces institutions qui durent mille ans si personne ne s’avise de demander pourquoi elle existe, mais qu’il est presque impossible de maintenir le jour où cette demande est faite », dit-il dans le rapport de la Commission parlementaire relative aux esclaves des colonies.

 

 

 

 

La gauche française, qui a tant fait pour qu’on revienne sur le sujet, a omis de rendre hommage au libéral Tocqueville, qui, au nom même de l’idée de liberté, qu’il plaçait avant toutes les autres, fut à l’avant-garde de l’abolition de l’esclavage en France (les Anglais l’avaient aboli dès 1838) avant que Schoelcher la réalise, dix ans plus tard, en 1848.

 

 

 

 

On ne saurait être surpris de voir Tocqueville mener, plus tôt que les autres, avec plus de force et de conviction qu’eux et sans atermoiments, cette bataille-là. Il était libéral, et c’est au nom de la liberté qu’il a tout fait pour donner à ces êtres humains, traités comme des marchandises, la dignité à laquelle ils avaient droit. C’est le même combat que mènent aujourd’hui ses successeurs, certes pour des enjeux moins cruciaux et dans des situations moins dramatiques : libérer les hommes de toutes les chaînes qui les entravent.

 

 

 

 

Serge Weidmann

 

Photo retraitée à partir du tableau de François Biard : L’abolition de l’esclavage le 27 avril 1848.

 

 

 

 

 

 

 

 



9 réactions


  • Antoine (---.---.205.251) 18 mai 2006 12:18

    Ah enfin cela rafraîchit, merci de nous faire un rappel sur Tocqueville, cela change des grands bétisiers (apparents sans doute) que l’actualité nous assène.

    Récréation !


  • Marsupilami (---.---.227.94) 18 mai 2006 13:11

    Ouaf,

    Bon article sur le grand Tocqueville (vous savez, le mec qui a précédé BHL aux USA). Dommage que l’auteur se soit senti obligé de nous sortir son petit couplet sur la « moralité socialo-laïcarde ». C’est un crime, d’être moral, social-démocrate et défenseur de la laïcité ?

    Houba houba !


  • Ana Lucia Araujo 18 mai 2006 13:48

    Bon rappel, y compris la peinture de Biard !


  • Marc P (---.---.224.225) 18 mai 2006 14:05

    Bonjour,

    Comme quoi on a bien 2 Tocqueville, certes à resituer dans le contexte historique, mais curieusement j’ai découvert le 2ème très tard... allez savoir pourquoi...

    http://www.monde-diplomatique.fr/2001/06/LE_COUR_GRANDMAISON/15321

    Merci pour cet article intéressant même s’il est « un peu orienté »... ou « dés-orienté »... (comme le site en son honneur je trouve...)

    Cordialement.

    Marc P


  • (---.---.215.93) 18 mai 2006 17:05

    Marc P « Comme quoi on a bien 2 Tocqueville, certes à resituer dans le contexte historique, »

    le contexte historique importait peu à La Boétie, à Montesquieu, chateaubriand, ou Zola pour l’antisémitisme

    comment peut croire le premier Tocqueville quand le second Tocqueville s’est réattribué les fameux mots de Montagnac : « qui veut la fin veut les moyens. Selon moi, toutes les populations [d’Algérie ] qui n’acceptent pas nos conditions doivent être rasées, tout doit être pris, saccagé, sans distinction d’âge ni de sexe ; l’herbe ne doit plus pousser où l’armée française a mis le pied. »


    • Marc P (---.---.224.225) 18 mai 2006 17:18

      Merci pour votre réaction quant aux 2 Tocqueville,

      Je pense que nous sommes d’accord mais il ne faut pas il pas avoir à l’esprit que nous parlons depuis le 21 eme siecle ?...

      Après mes lectures sur le 2eme Tocqueville il m’apparaît peu sympathique, mais pour leur epoque, Montesquieu et Zola n’étaient ils pas très, très, très en avance ? lucides ? honnêtes ? courageux ? singuliers ? humains ? libres penseurs ? un peu tout ça à la fois, sans doute...

      Cordialement...

      Marc P


  • (---.---.215.93) 18 mai 2006 17:59

    il est vrai qu’en général, il ne faut pas projeter sur le passé des jugements moraux anachroniques car souvent l’histoire réécrite n’est d’aucune utilité, mais quand l’histoire tend à glorifier un passé pas avéré ou dans notre cas, partiellement, il faut le signaler car sinon comment comprendre l’homme Tocqueville et la phrase citée plus haut et qu’il a fait sienne alors même qu’il écrivait dans son rapport de 1847, un brin plus lucide

    « La société musulmane, en Afrique, n’était pas incivilisée ; elle avait seulement une civilisation arriérée et imparfaite. Il existait dans son sein un grand nombre de fondations pieuses, ayant pour objet de pourvoir aux besoins de la charité ou de l’instruction publique. Partout nous avons mis la main sur ces revenus en les détournant en partie de leurs anciens usages ; nous avons réduit les établissements charitables, laissé tomber les écoles, dispersé les séminaires. Autour de nous les lumières se sont éteintes, le recrutement des hommes de religion et des hommes de loi a cessé ; c’est-à-dire que nous avons rendu la société musulmane beaucoup plus misérable, plus désordonnée, plus ignorante et plus barbare qu’elle n’était avant de nous connaître. »

    de plus je préfère la France de la raison critique, qui ne chancelle pas devant l’examen de son passé, et la France des grandes proclamations qui émoustille l’esprit et encourage le cœur. je n’aime pas la France de certains excités, celle de l’esclavage, de la colonisation, de la déportation et aussi celle du mépris d’immigrés qui l’ont défendue et qui l’ont reconstruite !


    • Marc P (---.---.87.91) 18 mai 2006 19:09

      Je ne suis pas sur d’avoir tout compris mais ce que j’ai compris, je l’approuve et vous le dites mieux que moi...

      J’essayais simplement de dire que le 2ème Tocqueville a bien calmé mon respect à son égard... et même davantage...

      Mais je ne suis pas du tout certain que si j’avais été son contemporain, j’aurais eu l’indépendance d’esprit, l’intelligence ou l’honnêteté d’échapper aux points de vue souvent ignobles qui s’imposaient ou prévalaient, il y a 170 ans...

      En tous cas vos propos m’ encouragent et m’ont permis de découbrir que Montaigne et la Boetie je crois étaient tous 2 maranes...

      Je pense qu’au regard de l’approche de son histoire, je préfère la même France que vous et peut être le même monde que vous....

      Mais c’est le 1er Tocqueville que l’on m’a enseigné à l’école : j’ai 50 ans.... comme quoi beaucoup de progrès sont extrêment récents et encore à faire...

      Merci pour vos réactions...

      Bien à vous.

      Marc P


  • gandhi (---.---.227.16) 19 mai 2006 17:31

    LES IMPASSES DU DÉBAT SUR LA TORTURE EN ALGÉRIE

    Quand Tocqueville légitimait les boucheries

    LA guerre d’Algérie a une longue histoire. Elle commence le 31 janvier 1830 lorsque Charles X décide de s’emparer d’Alger. Officiellement, il s’agit de venger une offense faite au consul de France par le dey Hussein et de détruire la piraterie qui sévit dans la région. Officieusement, l’objectif est de restaurer le prestige de la royauté et de prendre pied en Afrique du Nord pour éviter de laisser le champ libre à l’Angleterre. La monarchie de Juillet hérite du fardeau.

    L’« aventure » coûte cher, elle mobilise des effectifs militaires importants et elle rapporte peu. Des voix nombreuses s’élèvent à l’Assemblée pour exiger le retrait des troupes françaises, d’autres pour leur maintien et une occupation limitée, d’autres enfin préconisent la domination, la guerre à outrance indispensable pour détruire la puissance d’Abd el-Kader et ruiner les tribus qui le soutiennent. A la fin de l’année 1840, les partisans de cette politique l’emportent.

    Le 29 décembre, le général Thomas Bugeaud, qui vient d’être nommé gouverneur de cette colonie, arrive en Algérie. La véritable conquête débute avec massacres, déportations massives des populations, rapt des femmes et des enfants utilisés comme otages, vol des récoltes et du bétail, destruction des vergers, etc. Louis-Philippe d’abord, Louis-Bonaparte ensuite récompenseront les officiers par de prestigieuses promotions. Les monceaux de cadavres kabyles et algériens (1) permettent aux généraux de l’armée d’Afrique de faire de brillantes carrières.

    « J’ai souvent entendu en France des hommes que je respecte, mais que je n’approuve pas, trouver mauvais qu’on brûlât les moissons, qu’on vidât les silos et enfin qu’on s’emparât des hommes sans armes, des femmes et des enfants. Ce sont là, suivant moi, des nécessités fâcheuses, mais auxquelles tout peuple qui voudra faire la guerre aux Arabes sera obligé de se soumettre », écrit Alexis de Tocqueville avant d’ajouter : « Je crois que le droit de la guerre nous autorise à ravager le pays et que nous devons le faire soit en détruisant les moissons à l’époque de la récolte, soit dans tous les temps en faisant de ces incursions rapides qu’on nomme razzias et qui ont pour objet de s’emparer des hommes ou des troupeaux (2). »

    Ainsi s’exprime celui qui a écrit de la démocratie en Amérique lorsqu’il rédige, en octobre 1841, après avoir séjourné dans le pays, son Travail sur l’Algérie. La colonisation en général et celle de l’Algérie en particulier lui tiennent à coeur. Deux lettres, plusieurs discours sur les affaires extérieures de la France, deux voyages, deux rapports officiels présentés, en mars 1847, à la Chambre des députés, à quoi s’ajoutent de nombreuses observations et analyses disséminées dans sa volumineuse correspondance. Tocqueville théorise l’expansion française en Afrique du Nord.

    Fidèle à sa méthode, il rassemble une documentation importante, car il projette de rédiger un ouvrage sur l’Inde et la colonisation anglaise pour la comparer à celle menée par les Français dans la Régence d’Alger comme on disait alors. Enfin, il étudie le Coran et, au terme de ses lectures, conclut que la religion de Mahomet est « la principale cause de la décadence (...) du monde musulman ». Il faut donc tenir Tocqueville pour une figure importante de la colonisation moderne à laquelle il a consacré beaucoup de temps et d’énergie entre 1837 et 1847.

    Qu’en disent les spécialistes français ? Peu de choses. Soit ils feignent d’ignorer ce corpus fort riche, soit ils euphémisent les positions de leur idole afin de ne pas nuire à son image de libéral et de démocrate (3). Il est vrai que la fréquentation assidue de De la démocratie en Amérique et de L’Ancien Régime et la Révolution est plus propice aux canonisations académiques que l’examen précis des textes qui portent sur l’Algérie. Ces textes, pourtant tous publiés, ne hantent pas les membres de l’honorable république des lettres qui explorent la pensée de Tocqueville, et s’émerveillent de la subtilité de ses analyses. On y apprend pourtant beaucoup sur certaines de ses conceptions et, plus largement, sur les premières années de la conquête, sur les origines et l’organisation de l’Etat colonial. On y découvre le Tocqueville apôtre de la « domination totale » en Algérie et du « ravage du pays (4) ».

    L’importance qu’accorde Tocqueville à la conquête de ce pays s’appuie sur des analyses de la conjoncture internationale et de la place de la France dans le monde, d’une part, et sur l’évolution des moeurs nationales, d’autre part. L’écrivain n’a que mépris pour la monarchie de Juillet qu’on découvre, sous sa plume, médiocre et pusillanime. Néfaste pour les affaires intérieures du pays, ce régime l’est plus encore pour les affaires extérieures en une période où la crise de l’Empire ottoman, en Afrique et au Proche-Orient notamment, bouleverse la situation dans les régions concernées et crée des occasions nouvelles pour les puissances européennes. Encore faut-il, pour s’en saisir, faire preuve d’audace et ne pas craindre l’Angleterre.

    Mettre un terme au déclin de la France, restaurer son prestige et sa puissance, telle est l’obsession de Tocqueville qui est convaincu que, en l’absence d’une vigoureuse politique de conquêtes, le pays sera bientôt relégué au second rang et la monarchie menacée dans son existence même. Dans ce contexte, se retirer d’Algérie serait irresponsable. Il faut y demeurer, et le gouvernement doit encourager les Français à s’y installer pour dominer le pays et contrôler aussi la Méditerranée centrale, grâce à la construction de deux grands ports militaires et commerciaux : l’un à Alger, l’autre à Mers El-Kébir.

    La réalisation de ces desseins est propre à restaurer l’orgueil national qui est attaqué par « l’amollissement graduel des moeurs » d’une classe moyenne dont le goût des « jouissances matérielles » se répand dans l’ensemble du corps social en lui donnant « l’exemple de la faiblesse et de l’égoïsme (5) ». La guerre et la colonisation se présentent donc comme des remèdes aux maux sociaux et politiques qui affectent la France. C’est pourquoi Tocqueville se prononce pour des mesures radicales qui doivent permettre de s’emparer sans coup férir de l’Algérie et de rompre avec dix ans d’atermoiements. « La guerre d’Afrique est une science »

    DOMINER pour coloniser et coloniser pour assurer la pérennité de la domination, telles sont les orientations qu’il n’a cessé de défendre. Quant aux moyens, il sont dictés par les fins... Abd el-Kader se déplace constamment dans le pays en s’appuyant sur de nombreuses tribus qui lui procurent des hommes, des armes et de la nourriture ; il faut traquer le premier sans relâche et, surtout, anéantir les structures économiques et sociales des secondes afin d’atteindre les fondements de la puissance de ce chef et de ruiner son prestige.

    Après s’être prononcé en faveur de l’interdiction du commerce pour les populations locales, Tocqueville ajoute : « Les grandes expéditions me paraissent de loin en loin nécessaires : 1° Pour continuer à montrer aux Arabes et à nos soldats qu’il n’y a pas dans le pays d’obstacles qui puissent nous arrêter ; 2° Pour détruire tout ce qui ressemble à une agrégation permanente de popu lation, ou en d’autres termes à une ville. Je crois de la plus haute importance de ne laisser subsister ou s’élever aucune ville dans les domaines d’Abd el-Kader (6). »

    L’auteur de De la démocratie en Amérique approuve sans réserve et défend, publiquement et à plusieurs reprises, les méthodes de Bugeaud. Elles consistent à mettre le pays à sac, à s’emparer de tout ce qui peut être utile pour l’entretien de l’armée en « faisant vivre ainsi la guerre par la guerre », comme l’affirme le général Lamoricière, et à repousser toujours plus loin les autochtones de façon à s’assurer de la maîtrise complète des territoires conquis. Ces objectifs une fois atteints par l’emploi d’une terreur de masse autoriseront l’implantation et le développement de nombreuses colonies de peuplement, qui rendront impossible le retour des anciennes tribus.

    Tocqueville ne compte pas uniquement sur la puissance du sabre, il entend couvrir ces usurpations et les étendre par le recours à la force du droit. Il prévoit la mise en place de tribunaux d’exception qui, au moyen d’une procédure qu’il qualifie lui-même de « sommaire », procéderont à des expropriations massives au profit des Français et des Européens. Ainsi pourront-ils acquérir des terres à bas prix et faire vivre des villages que l’administration coloniale aura pourvus de fortifications, d’une école, d’une église et même d’une fontaine, précise le député de Valognes, soucieux du bien-être matériel et moral des colons. Regroupés en milices armées dirigées par un officier, ils assureront la défense et la sécurité de leurs personnes et de leurs biens cependant que le réseau formé par ces villages permettra de tenir efficacement les régions conquises. Quant aux populations locales, repoussées par les armes puis dépouillées de leurs terres par les juges, elles décroîtront sans cesse, affirme Tocqueville.

    Tel qu’il le conçoit, tel qu’il s’est structuré aussi, l’Etat colonial se présente d’emblée comme un double Etat d’exception par rapport au régime qui prévaut dans la métropole : il repose sur deux systèmes politico-juridiques de nature différente qui s’organisent, en dernière analyse, sur des fondements raciaux, culturels et cultuels. Celui qui est applicable aux colons leur permet de jouir seuls de la propriété et de la possibilité d’aller et venir mais d’aucune des libertés politiques, car toutes doivent être suspendues en Algérie, selon Tocqueville. « Il doit donc y avoir deux législations très distinctes en Afrique parce qu’il s’y trouve deux sociétés très séparées. Rien n’empêche absolument, quand il s’agit des Européens, de les traiter comme s’ils étaient seuls, les règles qu’on fait pour eux ne devant jamais s’appliquer qu’à eux (7). »

    C’est clair, précis et concis. Les hommes venus de cette Europe glorieuse et éclairée ont droit aux droits ; quant aux autres, aux « barbares », ils ne sauraient goûter aux plaisirs de l’égalité, de la liberté et de l’universalité de la Loi. Ni aujourd’hui ni demain puisque Tocqueville ne fixe aucun terme à cette situation. Aussi n’est-il pas surprenant que le second système, celui qui est applicable aux Kabyles et aux Arabes, ressortisse à un état de guerre permanent destiné à les maintenir sous le joug brutal des colons et d’une administration dotée de pouvoirs exorbitants.

    En 1847, après plusieurs années de conflits impitoyables, Tocqueville écrit avec emphase : « L’expérience ne nous a pas seulement montré où était le théâtre naturel de la guerre ; elle nous a appris à la faire. Elle nous a découvert le fort et le faible de nos adversaires. Elle nous a fait connaître les moyens de les vaincre et (...) d’en rester les maîtres. Aujourd’hui on peut dire que la guerre d’Afrique est une science dont tout le monde connaît les lois, et dont chacun peut faire l’application presque à coup sûr. Un des plus grands services que M. le maréchal Bugeaud ait rendus à son pays, c’est d’avoir étendu, perfectionné et rendu sensible à tous cette science nouvelle (8). » Les crimes de l’armée et de l’Etat français en Algérie, les discriminations érigées en principe et inscrites dans le droit : des exceptions ? Une longue histoire.

    Olivier Le Cour Grandmaison

    Recopié depuis Le Monde Diplomatique à des fins de culture pour les jeunes générations qui pourraient malencontreusement se faire manipuler par des beaux parleurs...

    Ah la culture.


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