Intimes langueurs. Airs de cour de Marc-Antoine Charpentier par Cyril Auvity et L’Yriade
C’était en 2007 chez Zig-Zag Territoires que Cyril Auvity et L’Yriade présentaient leur premier programme français composé pour l’occasion de deux cantates sur le thème d’Orphée — respectivement écrites par Louis-Nicolas Clérambault (1676-1749) et Jean-Philippe Rameau (1683-1754) — et entrecoupé d’airs de cour de Michel Lambert (1610-1696) et Marc-Antoine Charpentier (1643-1704). La révélation de ce disque suscitait l’envie d’une suite tant l’adéquation entre les musiciens et la musique était grande. Après un disque Bononcini (Ramée), voici donc arrivée chez Glossa la suite discographique tant attendue si l’on omet les disques des Talens Lyriques de Christophe Rousset consacrés aux tragédies lyriques de Lully où Cyril Auvity figure en bonne place (Cf. Bellérophon, Phaeton, Amadis, chez Aparté).
Le présent album approfondit les airs de cour de Marc-Antoine Charpentier, ce qui apparaît comme un excellent choix dans la mesure où Tristes déserts concluait déjà magistralement le premier opus et que l’air Auprès du feu l’on fait l’amour constituait un bis apprécié lors des concerts de l’ensemble. Les Stances du Cid et neuf airs (sur la trentaine existant) forment le corpus Charpentier de ce disque, faisant la part belle à des pages d'une inspiration harmonique extrême pour l’époque. Le programme est complété par deux airs de cour de Michel Lambert, dont une seconde version de Vos mépris chaque jour, plus libre, à comparer inévitablement avec celle présente sur Orphée. Enfin, outre les interludes instrumentaux tirés des Nations de François Couperin (1668-1733) et qui renforcent cette dualité des goûts réunis français et italiens, la surprise vient d’une pièce du compositeur Jacques Morel (c. 1700-1749) intitulée Tombeau de Mademoiselle… mais sur laquelle le livret reste muet. Mentionnons simplement que ce M. Morel était aussi joueur de viole et élève de Marin Marais, justifiant qu'on lui connait essentiellement des publications de pièces pour violes. A supposer que c’est bien ce Morel - d’autres musiciens dans les mêmes décennies portaient ce nom -, la pièce vocale semble apparaître soit dans des recueils de Christophe Ballard, à l’instar des airs de cour de Charpentier publiés chez le même éditeur (les Recueils d’airs sérieux et à boire), soit dans Le Mercure Galant.
Cyril Auvity captive à nouveau dès les Stances du Cid par son attachement à chaque mot et par une science de la déclamation qui n’a rien perdu de son naturel ni de sa clarté. Entre récit et air, il est judicieux de confier ces pièces de Charpentier à une voix de haute-contre car la tension n'en est que plus palpable dans les passages aigus. Il en découle ici un engagement dramatique supérieur à ce que nous pouvions entendre sur le précédent album Orphée. Cyril Auvity possède certes une voix qui exprime à merveille le tourment et la tendresse mais aussi un timbre délicat qui ne tombe pas dans la préciosité. On appréciera ainsi la parcimonie dans l’utilisation de l’ornementation, qualité qu'on lui connaissait déjà.
Enfin, le disque ne serait pas une réussite sans les instrumentistes de L’Yriade, tant dans les pièces instrumentales de Couperin qui entrent parfaitement en résonance avec le programme vocal et qui permettent une écoute renouvelée de ce répertoire pas si souvent (bien) joué, que dans l’accompagnement du continuo où les musiciens font corps avec le discours du chanteur (pensons à la chaconne Sans frayeur).
Avec cette confirmation tenue haut la main, Cyril Auvity montre qu'il est un des meilleurs serviteurs actuels de la musique baroque française. Glossa serait bien avisé de dépasser cette première collaboration avec L’Yriade encore plus réussie qu’imaginée.
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Marc-Antoine Charpentier
Stances du Cid - Airs de Cour
Extraits ici en bas de page
Cyril Auvity, haute-contre
L’Yriade
2016 Glossa GCD 923601
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